Créé en 1993 à Noyal-Chatillon (Ille-et-Vilaine), le centre de loisirs accueillant à parité enfants handicapés et valides était le premier du Réseau Loisirs Pluriel. Depuis, 16 autres ont ouvert pour les 3-13 ans, essentiellement en Bretagne et Pays de la Loire, complétés par 12 espaces jeunes 13-18 ans et 3 Pôles Ressources. Malgré leurs 30 années d’existence, ces centres de loisirs n’entrent toujours pas dans une « case » de l’édifice administratif leur assurant ainsi un financement pérenne. Cette situation a entraîné des carences l’an dernier, conduisant à la fermeture des centres pendant le mois de décembre, comme l’explique la directrice du Réseau, Emmanuelle David.
Question : Qui finance vos centres de loisirs ?
Emmanuelle David : Nos financeurs principaux sont les Caisses d’Allocations Familiales, les communes où sont implantés nos centres de loisirs, et les départements. Mais nos centres n’accueillent pas que les enfants de la ville hôte, et on essaie de convaincre les municipalités voisines de couvrir les frais pour leurs enfants, que ces communes ne disposent pas d’accueil de loisirs ou ne puissent accueillir dans leur centre des enfants handicapés. Chez Loisirs Pluriel, l’encadrement est d’1 animateur pour 3 enfants, contre 1 pour 12 en centre pour enfants valides. Le coût est nettement plus élevé, même si de plus en plus d’enfants handicapés sont accueillis en centres de loisirs ordinaires. Le maire de Quéven (Morbihan) a été moteur sur cette approche, il a réuni l’ensemble des maires de l’intercommunalité Lorient Agglomération et leur a proposé de financer notre centre de loisirs, qu’ils aient ou pas d’enfants concernés, un financement par péréquation solidaire.
Question : Mais ce volontariat solidaire ne crée pas un cadre de prise en charge pérenne. Quelles autres solutions espérez-vous ?
Emmanuelle David : La deuxième solution que l’on teste, c’est le rapprochement avec les Agences Régionales de Santé. Même si on n’est pas dans le médico-social, les enfants et jeunes accueillis sont fréquemment en établissements médico-sociaux avec lesquels on travaille, en lien avec les éducateurs, la protection de l’enfance. On cherche comment travailler avec les ARS dans un cadre nouveau qui sorte des cases. Les CAF sont toujours présentes, mais avec une part variable de financement selon les départements. Cet argent peut être pris sur du fonctionnement, des fonds locaux ou nationaux. J’espère que la prochaine convention d’objectifs et de gestion de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales mettra toujours l’accent sur le handicap.
Question : Quel est l’engagement des dirigeants politiques ? Par le passé, certains sont venus dans vos centres en visite officielle, avec des journalistes…
Emmanuelle David : Je ne suis là que depuis peu [21 mois NDLR], je n’ai pas d’antériorité sur l’investissement des politiciens nationaux. On part à leur reconquête, mais venir et ne rien faire derrière, je n’en vois pas l’intérêt. On retravaille tout ça pour que Loisirs Pluriel redevienne connu. On est un acteur entièrement privé, avec une convention nationale signée avec la CNAF, c’est tout. Chaque association du réseau va chercher ses financements complémentaires avec l’appui de la fédération, auprès d’une dizaine d’acteurs publics et parapublics. Pour pérenniser, on doit avoir des conventions pluriannuelles, et que tout le monde nous accorde le crédit et l’expertise de notre compétence, en se rendant compte que ça a un coût, alors qu’on utilise encore des contrats à moindres frais de 55€/jour par animateur, avec des contrats précaires. Ces modalités sont extrêmement coûteuses du fait du taux d’encadrement et la limite de 24 enfants par centre.
Question : Qui sont ces animateurs et quelle formation leur demandez-vous ?
Emmanuelle David : Ils ont un profil d’animateur classique, un peu comme tous les titulaires du BAFA. Ce sont des gens dans la bienveillance, qui font avec les enfants et pas à leur place, et s’adaptent à ce que l’enfant peut faire. Ils suivent trois jours de formation complémentaire chaque année. La clé, c’est le projet Loisirs Pluriel, dans la mixité valides handicapés, avec des choses totalement folles qui se font. Par exemple, j’ai rencontré une directrice qui voulait faire un mini-séjour, ils sont partis à 18 sous la tente pendant deux jours avec des enfants qui n’étaient jamais sortis ainsi ! On emploie la médiation animale avec des réactions incroyables, les ados font des sorties au restaurant : c’est tout un art, comme prendre le métro ou le bus, des choses pour nous très simples mais complètement dingues pour eux. C’est une ouverture au monde extérieur avec ses difficultés et ses beautés. Pour certains ados, le centre de loisirs est le seul lieu de socialisation. Pourtant, on rencontre des difficultés de financement du fait de la faible action publique en faveur de l’adolescence en cadre ordinaire. On vit une période où les Maisons des Jeunes et de la Culture et les actions vers les jeunes sont peu financées. L’intégration de jeunes handicapés se fait moins que pour les autres, alors qu’à l’adolescence ils ressentent colère et frustration.
Question : Dans ce contexte défavorable, quelles sont vos perspectives pour éviter d’autres périodes de fermeture faute d’argent ?
Emmanuelle David : Pendant la fermeture de décembre 2022, on a reçu beaucoup de réactions non publiques, des courriers ont été remontés aux ministères provenant d’élus. On a été informés d’appels à projet. On a rencontré les ministères fin décembre, on doit les travailler au corps, sans forcément créer une case administrative. Loisirs Pluriel apporte du répit aux parents et contribue à leur maintien dans l’emploi. Pourtant, on est resté sur un modèle de centre de loisirs. On affronte aussi la problématique des couches administratives, parce que les jeunes de 13 à 18 ans, qui s’en occupe : le département, la région ? Alors on va se positionner sur la partie répit aux familles, pour contourner la difficulté.
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2023.