C’est le fait du prince qui aura eu raison d’une dizaine d’années d’atermoiements ; centre de formation d’enseignants spécialisés pour élèves handicapés, l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (INSHEA) installé depuis sa création en 1971 dans l’ancienne école de plein-air de Suresnes (Hauts-de-Seine) doit déménager à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) dans de nouveaux locaux.
Maître d’ouvrage, l’Établissement public d’aménagement universitaire de la région Île-de-France (Epaurif) dispose de 26 millions d’euros pour engager dans un an la construction de 6.000m² de locaux livrés fin 2025, la ville ayant acquis le terrain pour 1,8 millions. Renommé Institut National Supérieur de formation et de recherche pour l’Éducation Inclusive (INSEI), l’établissement sera l’un des composants du futur Pôle National pour l’Éducation Inclusive (PNEI) rattaché à l’université de Cergy-Pontoise (Val d’Oise). Son actuel site, partiellement classé monument historique, accueillera le musée-mémorial du terrorisme annoncé par la Présidence de la République le 11 mai 2021 : « Le Chef de l’État a retenu une implantation à Suresnes, à l’immédiate proximité du Mémorial de la France combattante [du Mont-Valérien]. Ce nouveau musée, s’inscrivant ainsi dans un parcours mémoriel, prendra place dans les locaux actuels de [l’INSHEA] qui doit prochainement déménager à Saint-Germain-en-Laye. » Toutefois, il aura fallu 21 mois pour que ce départ soit officialisé par un décret modifiant également les statuts et missions de cet Établissement Public Administratif.
Un musée-mémorial du terrorisme sur un site classé
Ce sont 50 années d’histoire du terrorisme en France qui seront au coeur de ce musée, avec des évocations plus anciennes (les anarchistes, la guerre d’Algérie), entre documents et bornes interactives. « L’état du projet est bien avancé, explique Élisabeth Pelsez, directrice de la mission de préfiguration. Le projet scientifique et culturel a été remis au Président de la République en mars 2022. On va maintenant entrer dans une phase de programmation de travaux. » Le musée sera déployé dans les bâtiments classés de l’école de plein-air, construite de 1932 à 1935 avec la volonté du maire socialiste de l’époque, Henri Sellier, d’améliorer le quotidien et la santé d’enfants de Suresnes issus de milieux ouvriers ; la ville était alors industrialisée et une grande partie de sa population vivait sans salle de bains et sanitaires individuels, dans la pollution et de mauvaises conditions d’hygiène. Une école unique, bâtie sans escaliers dans un vaste parc à flanc de coteau et protégé des vents, composée d’un long bâtiment contenant maternelle, cantine, gymnase, douches, logements, et des pavillons à grandes baies s’ouvrant totalement sur le parc ; aux beaux jours, la classe se transportait sur l’herbe !
Actuellement assez dégradés, les pavillons vont être restaurés dans l’aspect d’origine pour recevoir les différents modules du musée. Comme les bâtiments sont reliés par des rampes couvertes, pentues mais praticables en fauteuil roulant, les futurs visiteurs seront protégés de la pluie. « Nous n’avons l’usage que de la parcelle classée, au nord, ajoute Élisabeth Pelsez. Le projet est que le pavillon hexagonal devienne le mémorial, avec l’inscription des noms des victimes d’actes terroristes en France et des Français tués à l’étranger. Son soubassement pourrait servir de crypte. Ce projet sera coconstruit avec des associations de victimes. » Ce pavillon dominant l’ancienne « place thérapeutique » dans le bassin dans lequel les enfants se baignaient, est entièrement fermé de larges baies vitrées coulissant intégralement dans ce soubassement, réalisation rare que l’on ne trouvait alors que dans les luxueuses villas : Tugendhat, à Brno en Tchéquie, et… Berghof d’Adolf Hitler en Allemagne.
Un Institut nomade
Le musée-mémorial du terrorisme doit ouvrir en 2027, avant la fin du second et dernier mandat d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, un délai assez contraint. « La libération du site est prévue pour fin septembre 2025, reprend Élisabeth Pelsez, avec une mise à disposition progressive des locaux par l’INSEI. » Disposant d’un budget de 95 millions d’euros, elle espère une livraison du bâti rénové fin 2026, et 150.000 visiteurs par an. L’accès s’effectuera par l’entrée nord-est, à une centaine de mètres du vaste parking du Mont-Valérien desservi par une large avenue. « On veut garder la mémoire du lieu, conclut Élisabeth Pelsez ; en conservant un pavillon à l’identique, avec le mobilier Prouvé, et des douches, pour pouvoir raconter l’histoire du lieu, des femmes et des enfants qui l’ont fréquenté. »
Mais comment l’Institut travaillera-t-il pendant les nombreux mois précédant la livraison de ses nouveaux locaux ? « On va resserrer l’activité sur l’immeuble des années 50 et dans des préfabriqués, justifie la directrice de l’INSEI, Murielle Mauguin. Ce sera un moment assez compliqué à vivre, avec des conditions de travail dégradées, la fermeture de l’hébergement transformé en bureaux, la fin de la restauration collective en septembre 2024. On va devoir se séparer d’une partie du personnel. » De ce fait, les stagiaires devront loger et se nourrir ailleurs, ce qui pourrait entraîner la multiplication par 4 ou 5 du coût total de formation : ceci commence à attirer l’attention des Rectorats de métropole et d’Outremer qui adressent leurs enseignants, et fait craindre une baisse de fréquentation ; actuellement, l’Institut reçoit annuellement 1.500 personnels de l’Education nationale pour des actions de formation continue courtes et longues, dont le certificat d’aptitude professionnelle aux pratiques de l’éducation inclusive (CAPPEI) avec des spécialisations surdité (Langue des Signes Française) et cécité (braille, tactile) qu’il est le seul à dispenser. Cette hausse du coût alliée à une réduction de capacité d’accueil du fait d’installations provisoires risque de réduire le nombre annuel d’enseignants spécialisés et porter préjudice, finalement, aux élèves handicapés.
L’autre risque repose sur les missions définies par le décret réformant l’Institut. « On a déjà vu une tendance à faire des CAPPEI généralistes pour enseigner devant tous les élèves handicapés, sans spécialité, complète Murielle Mauguin. Là-dessus, on est très vigilant, on veut aller très prudemment vers l’intégration et garder nos spécificités. » Elle pointe ainsi le rapprochement avec l’université de Cergy, voire la fusion avec l’INSPE de Saint-Germain-en-Laye évoquée par le maire de cette ville lors du conseil municipal du 12 mai 2022 : « Le ministère de l’Éducation nationale trouve intéressante l’idée de fusionner et d’avoir une approche commune et cohérente entre le principe de former des maîtres, et celui de former des maîtres à l’inclusion. Ainsi, un certain nombre d’activités et de personnels de l’INSPE, y compris permanents, qui sont sur le site Pasteur vont déménager dans le futur bâtiment. » Ce qui suscite la prudence de l’Institut : « Je suis déterminée à défendre notre expertise et les ressources nécessaires en complément, conclut Murielle Mauguin. Recherche et formation sont indissociables ; pour nous, l’adossement à la recherche participe à la conception des contenus d’enseignements. »
Inquiétudes syndicales
Le déroulement des opérations inquiète le Syndicat national des personnels titulaires et contractuels de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture (SNPTES) qui alerte le public. « On n’a pas d’autre information que le décret, déplore son secrétaire général adjoint, Alain Favennec. On a rendez-vous avec la direction de l’INSEI en avril. L’expérience montre qu’un tel déménagement casse complètement l’outil. D’un point de vue syndical, on pense aux collègues passionnés par leur travail qui vivent une période d’incertitude, on redoute que certains ne suivent pas au moment du déménagement, comme on l’a constaté lors de celui du CNDP Canopé à Poitiers (Vienne). » Les agents ont en effet le droit de chercher et demander une autre affectation, d’autant plus que le transfert de l’INSEI s’accompagne d’une fusion pour créer le PNEI. « Il y a l’idée de se rapprocher d’un centre de recherche de l’université de Cergy, poursuit Alain Favennec. Le changement de vocation vers la formation de formateurs ressortira des nouveaux locaux. On sait que les INSPE considèrent qu’ils connaissent tout, réalisent déjà des initiatives et veulent tout traiter eux-mêmes, mais est-ce que la formation des enseignants au PNEI sera équivalente à l’actuelle ? » C’est sur le devenir de la formation des enseignants spécialisés en fonction de chaque handicap que le SNPTES s’interroge, et finalement sur l’enseignement prodigué aux élèves handicapés.
Laurent Lejard, mars 2023.