Depuis janvier dernier, les employeurs de plus de 250 salariés doivent compter parmi eux un référent handicap. Créé par la reforme du travail du 5 septembre 2018, ce référent est une personne-ressource qui conseille et assiste les différents services : sources de recrutement de travailleurs handicapés, étude d’aménagement de poste de travail pour une embauche ou un maintien dans l’emploi, évolution de carrière en tenant compte des aptitudes et des limitations, etc. Si les grandes entreprises ont développé une telle politique depuis plusieurs décennies en créant des Missions handicap dotées en personnels dédiés, les moyennes, bien que soumises à l’obligation d’emploi, n’ont pas forcément la capacité d’affecter un salarié à temps plein, d’où l’intérêt de missionner un collaborateur comme référent handicap.
C’est ce que fait Chloé Tarrieu au sein du groupe Neo-Soft, entreprise de service numérique qui emploie 1.300 salariés sur 14 sites en France et 3 à l’international. Responsable Ressources Humaines du secteur Nord-ouest, elle est référente nationale handicap depuis 3 ans. « Nous avons commencé par réaliser un état des lieux quantitatif et qualitatif de l’emploi de nos travailleurs handicapés en 2018 pour construire notre politique du handicap, professionnaliser nos acteurs internes et organiser nos actions », explique-t-elle. Il a fallu repérer les éventuels points de blocages, lever les préjugés, et surtout mobiliser et embarquer toutes les strates hiérarchiques : « Depuis, on a triplé le taux d’emploi direct. Notre politique handicap se décline en quatre axes. Cette année la formation et l’accompagnement des managers des ressources humaines et assistantes en ressources humaines avec un module e-learning, des actions auprès des consultants via un quizz pour qu’ils se challengent et testent leurs connaissances. Ensuite, recruter et intégrer pour atteindre 2,5% de travailleurs handicapés, un objectif de 30 CDI et 8 parcours en alternance outre le maintien dans l’emploi. Dernier axe, la garantie de l’égalité des chances par la formation et un soutien pour réduire l’impact des séquelles du handicap sur l’activité des collaborateurs. Enfin, la promotion de l’achat responsable de services au secteur protégé afin d’y consacrer 100.000€ en 2023, notamment lors de la renégociation de nos contrats à fort taux de main d’oeuvre. »
Chloé Tarrieu pilote cette politique nationale tout en gérant en parallèle les ressources humaines sur son territoire : « Je consacre en moyenne une demi à une journée par semaine à ma mission de référente handicap, mes autres fonctions nécessitant également un investissement fort de ma part. Pour le moment, toute la politique handicap est centralisée sur moi, mais je souhaite étendre cette mission en région et m’appuyer sur des relais locaux. » Elle espère le faire dans les 5 régions Neo-Soft. Pour élaborer la politique handicap et ses outils, Chloé Tarrieu s’est appuyée sur des cabinets externes et l’Agefiph, ce qui lui a permis de bénéficier de transfert d’expérience via ces intervenants et le réseau des référents handicap. « La création du référent apporte un plus à une mission qui devient une fonction métier, conclut-elle. Elle donne du poids à une fonction qui est assez complexe, parce qu’il faut professionnaliser. »
Autre grand groupe, l’anglo-japonais Dentsu Aegis Network est présent dans tous les métiers de la communication. En France, il emploie un millier de salariés, et sa mission handicap existe depuis deux ans. « J’ai la chance de faire le plus beau métier du monde, être au service des autres ! proclame son responsable, Christian Coquart. La Mission est centralisée, je suis clairement identifié, j’ai des relais informels dans le groupe. » Et il lui en faut pour convaincre, le handicap ne correspondant pas spontanément avec les images glamour véhiculées par la communication. « Dans toute entreprise de service, reprend Christian Coquart, il y a tout un cheminement d’acceptation, pour faire comprendre des messages : ça peut tomber sur la tête de tout le monde, 85% des handicaps surviennent au cours de la vie. On est tous handicapés, certains de la relation humaine, de la considération de l’autre, par la radinerie, ou l’extrême arrogance… » Alors il active des valeurs positives, valorisantes : talent, envie, esprit d’équipe : « Je travaille sur tout ce qui concerne l’inclusion, tout ce qui fait la richesse de l’entreprise. Ce qui est vrai dans un monde tendu, c’est que tout le monde a sa place. Dans nos métiers, il est important de créer de la différence, elle est importante pour créer de la valeur ajoutée. »
Ce qui veut dire mixer les profils et parcours de vie. « Aujourd’hui, poursuit Christian Coquart, les entreprises fonctionnent par système de croissance et de profit, mais si on ne n’intègre pas de la valeur humaine, on rate quelque chose. » C’est ce qu’il a réalisé avec l’intégration d’un athlète de haut niveau, le sprinter aveugle Timothée Adolphe alias « le Guépard blanc », qui travaille chez Dentsu Aegis avec un contrat de sportif de haut-niveau : « Sa compétence, pour nous, c’est de savoir écouter. Il a créé et anime un atelier sur l’écoute. On sait qu’on ne sait plus s’écouter, on perd cette intelligence, la capacité à ne pas juger quand on écoute. » Ainsi qu’avec l’accueil en stage de collégiens en Unités Localisées d’Inclusion Scolaire (ULIS) : « Ce qui est intéressant, c’est que les jeunes développent une créativité parce qu’ils ne sont pas dans la norme, et deviennent des génies. Le handicap en entreprise, mon combat, c’est que ce ne soit plus un sujet un jour. » Et il espère lors de la première Université des référents handicap « rencontrer des gens qui font la même chose pour échanger les bonnes idées et pratiques. »
Autre secteur professionnel où l’on ne s’attend guère à trouver des travailleurs handicapés, le service la personne dans lequel O2 est une entreprise leader avec 14.000 collaborateurs dont 500 reconnus handicapés. « On vient de réaliser une campagne de communication pour lutter contre les idées préconçues sur les contre-indications, justifie Amélie Gautier, chargée de Mission Handicap et Diversité. On met en valeur une aide ménagère sourde, une assistante de vie vivant avec une sclérose en plaques. » Cette Mission Handicap existe depuis 10 ans et accompagne les agences du réseau national, assiste et oriente tous les collaborateurs. « J’organise des classes virtuelles tous les mois pour faire le lien entre les acteurs en liaison avec les agences, poursuit Amélie Gautier. Cela ressemble à des webinars [séminaires web], pour sensibiliser et informer. On a une assistante sociale qui intervient sur des situations, et un service mobilité pour la Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences. »
La Mission s’appuie également sur le service de formation interne. « On a plus de 330 structures en France, reprend Amélie Gautier; dont 128 assujetties à l’obligation d’emploi. Mais on rencontre des difficultés à recruter parce que le secteur des services à la personne a mauvaise presse. » Avec une difficulté particulière dans le cadre de la formation en alternance via contrat de professionnalisation : « On a alerté dans la Sarthe parce que les centres de formation sont mal adaptés et qu’il est difficile de dupliquer un aménagement pour un salarié dans l’emploi et le centre. » Cela fait partie des problèmes auxquels elle espère trouver une réponse le mois prochain : « J’attends cette Université des référents handicap en entreprise avec intérêt. »
Autre entreprise dans ce domaine, l’Union des Caisses nationales de Sécurité sociale (UCANSS) : cette fédération des employeurs du Régime général de la Sécurité Sociale est au service de 300 organismes répartis au sein de quatre réseaux (Maladie, Famille, Recouvrement et Vieillesse) pilotés par les Caisses nationales, et de plus de 140.000 salariés dont 8.666 travailleurs handicapés. « En 2012, explique Simona Burgio, pilote de la Mission Handicap Nationale, un diagnostic a montré la pertinence de mieux structurer le déploiement de la politique handicap. Nous avons alors décidé de signer en 2016, en accord avec le Conseil d’orientation de l’UCANSS et les Caisses nationales, une convention avec l’Agefiph et créer une mission handicap nationale, puis nommer un référent handicap dans chaque entité territoriale et locale. Si chacun des 300 employeurs conserve son autonomie et décide de ses actions, au travers du handicap on parvient à réunir l’interbranche au niveau local et national pour partager des idées et le travail de terrain. » En clair, cette organisation du travail assure des échanges entre des entités plutôt cloisonnées, et c’est un vrai plus.
« La communauté handicap s’exprime via un réseau virtuel d’entreprise interbranche, poursuit Simona Burgio. Il permet aux organismes de communiquer sur leurs actions pour décrypter la réglementation et valoriser leurs réalisations, tels des aménagements de poste, des initiatives. C’est une manière de fluidifier l’information. » Contrairement aux idées reçues, les employés des organismes de Sécurité Sociale sont des salariés de droit privé. « Ce poste m’émerveille toujours autant, complète Simona Burgio, c’est un terrain d’étude incroyable. L’Agefiph nous a conventionné une trentaine d’actions que nous avons mises en place en accord avec les Caisses nationales des quatre branches et la direction de l’Ucanss. La force de ce réseau, ce sont les actions locales, des belles mises en valeur à voir sur la Sécu recrute. » Parmi elles, Simona Burgio relève celle primée, de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Côtes d’Armor : « Elle emploie un homme sourd s’exprimant en Langue des Signes Française qui s’est retrouvé en difficulté sur les termes techniques : l’organisme a créé un dictionnaire de mots-signes de ces termes. Les référents handicaps trouvent, avec l’appui de la Mission Handicap Nationale, du plaisir à organiser des actions en local, grâce aux outils élaborés ou mis en réseau, ils se prêtent au jeu et sont aussi force de propositions sur leur terrain. Les référents sont créatifs ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2020.
NB : Prévue les 17 et 18 mars derniers, la première Université des référents handicap en entreprise organisée par l’Agefiph a été reportée du 6 au 9 octobre 2020 sous la forme de quatre demi-journées en visio-conférence. Inscription et participation réservées aux professionnels.