Importée en France en 2003 par Marie-Thérèse Boisseau, alors Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, la journée de solidarité est une pratique allemande déjà ancienne. Madame Boisseau a voulu introduire dans notre pays ce principe d’une journée de travail effectuée et dont le montant du salaire serait versé dans les caisses de l’Etat qui l’utiliserait pour financer diverses actions en faveur des personnes âgées ou handicapées dépendantes. Au fil de l’évolution de cette proposition, le Gouvernement a décidé de créer une branche spécifique de protection sociale gérée par une Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. Elle doit recevoir le produit financier du jour férié travaillé non payé, estimé à 2 milliards d’euros.
Durant l’élaboration de la loi dite « dépendance » qui a défini ce dispositif, les protestations ont été nombreuses, dénonçant le rétablissement de la corvée (travail gratuit dû au Moyen- âge par les serfs et les paysans au seigneur ou au roi) et la stigmatisation des personnes handicapées ou âgées dépendantes. Plus récemment s’est adjointe une polémique sur le détournement d’une partie des 2 milliards d’euros au profit du budget de l’Etat : faisons un sort à cette polémique. Les caisses de l’Etat ne percevront pas l’argent du jour férié travaillé non payé, mais il lui fera réaliser de substantielles économies; par exemple, la création de nouvelles places en Centre d’Aide par le Travail, pour 300 millions d’euros, et la mise en accessibilité des ministères, pour 25 millions d’euros, seront financées par le jour férié travaillé non payé. En termes techniques, on appelle cela un « transfert de charges ».
Reste la stigmatisation des personnes handicapées. Madame Boisseau avait en son temps importé une idée en l’imprégnant de charité toute chrétienne. A la différence qu’elle prenait dans la poche d’un autre l’aumône versée aux pov’ z’handicapés. Au risque que ces derniers, pour lesquels le Gouvernement affirme faire déjà beaucoup, se retrouvent montrés du doigt. L’action publique en leur faveur ne résulte pas d’un débat national sur la place des personnes handicapées, comme sur celle des personnes âgées dépendantes, mais sur la nécessité de financer des dispositions tout en faisant des économies. Or, comment comprendre qu’il faille financer avec l’argent de la collectivité de nouvelles maisons de retraite dont le prix de journée payé par la personne excède ensuite le montant de la plupart des pensions ? Ce sont les familles qui sont mises à contribution, elles paient donc une deuxième fois.
Et ce qui devait être une grande action de solidarité de la Nation envers les plus faibles de ses membres devient une polémique à la française avec syndicats appelant à la grève sur fond d’allongement du temps de travail et baisse du salaire, renforcement du camp du non à la Constitution Européenne (on vote sur le texte deux semaines après le lundi de Pentecôte travaillé non payé) et Gouvernement faisant porter aux personnes dépendantes l’inconséquence de ses choix politiques et financiers…
Laurent Lejard, avril 2005