A la mi-août, tout devrait être réglé : l’ordonnance et les textes réglementaires réformant l’accessibilité de la voirie, du cadre bâti et des transports auront été publiés au Journal Officiel pendant la torpeur estivale et les vacances de la plupart des Français, y compris des dirigeants et militants associatifs. Ces derniers se sont d’ailleurs fort peu mobilisés : deux actions « péages gratuits » en juillet dans le seul département de Haute-Garonne, c’est fort peu à l’échelle d’un pays de 67 millions d’habitants… Bref, le déchiquetage de l’accessibilité va passer presque comme une lettre à la poste, ouvrant une nouvelle politique en direction des personnes handicapées. L’allègement de l’obligation de mise en accessibilité va recréer dans notre pays une véritable doctrine d’exclusion sociale et professionnelle. « Si une mairie ne peut pas mettre un ascenseur pour des raisons logistiques, expliquait le 9 juillet dernier au quotidien La Croix la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, il faudra que le service soit disponible au rez-de-chaussée. » Cela veut dire qu’une telle mairie ne pourra employer ou maintenir dans l’emploi une personne à mobilité réduite. La volonté de sacrifier l’accessibilité sur l’autel des économies budgétaires va générer un resserrement des opportunités d’emploi puisque si les services publics seront tenus de proposer des mesures de substitution à leur inaccessibilité, des travailleurs handicapés devront aller oeuvrer ailleurs… s’ils y trouvent des transports accessibles et un logement adapté.
Bien évidemment, les politiciens actuellement au pouvoir viendront encore dire et répéter que dix années de délai pour mettre immeubles et transports en accessibilité sont nécessaires et que l’allègement drastique des normes en la matière est indispensable, du fait des restrictions financières résultant de la crise économique contre laquelle les mêmes politiciens sont incapables d’agir efficacement. Une campagne gouvernementale de propagande financée par l’argent public déferlera à la rentrée dans les médias pour expliquer à la population que le report et l’allégement de l’accessibilité sont réalisés pour le bien des personnes handicapées. Gageons même que quelques ministres viendront vanter leur action en faveur de l’emploi, alors qu’aucune réglementation sur l’accessibilité des locaux professionnels n’est incluse dans la réforme en cours, poursuivant ainsi la logique des gouvernement précédents conduits par François Fillon, qui n’étaient toutefois pas parvenus à introduire dans la loi quelques dérogations pour les constructions neuves.
Pour réussir là où leurs prédécesseurs de droite avaient échoué, les gouvernements Ayrault et Valls ont su endormir et manipuler les dirigeants des grandes associations nationales dites « de défense » des personnes handicapées. Lesquels ont gobé l’affirmation selon laquelle le Gouvernement devait directement légiférer par ordonnance afin de ne pas laisser les lobbys tenailler les parlementaires si un projet de loi était élaboré. Et pour faire passer l’argument, une longue concertation à plusieurs étages, qui a duré un an et demi, a accouché de propositions consensuelles.
Cette démarche, saluée par la plupart des associations nationales qui croyaient avoir fait avancer quelques billes et limiter les dégâts, n’était que diversion : les projets d’ordonnance législative et de textes réglementaires contiennent tout autre chose, essentiellement des allègements considérables des normes d’accessibilité, une complexité administrative indéchiffrable, même par ceux qui ont eu la charge de la présenter aux associations membres du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH), et des délais de mise en oeuvre qui font passer la France pour un pays sous-développé. Ces associations ont d’ailleurs délibéré « à l’aveugle », donnant un avis sur des textes que le Gouvernement fait évoluer en permanence, comme le concédait devant la réunion plénière du CNCPH le directeur de cabinet de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées. L’instance de concertation qu’est le CNCPH a été bafouée, manipulée, priée de donner un avis sur des textes mouvants, avant que le Conseil d’Etat ne se prononce en droit, ce qui devrait encore modifier leur rédaction…
On pourrait se consoler en pensant que la leçon sera enfin comprise et retenue par les dirigeants associatifs. Mais la lecture du communiqué diffusé le 17 juillet dernier par le président de la Fédération des Aveugles de France, Vincent Michel, en fait douter : « De fait, la Fédération des Aveugles et Handicapés Visuels de France éprouve le plus grand mal à croire la parole politique et les promesses sans lendemain, systématiquement contredites par les projets de décrets et d’arrêtes proposés par l’administration. Aujourd’hui, le contrat de confiance entre les politiques et les associations est donc sérieusement remis en cause par ce double discours et les Aveugles de France se posent la question de leur présence future lors de la Conférence Nationale du Handicap (CNH) prévue en fin d’année. » Le Président de la République, qui en conclura les travaux, en tremble déjà !
Laurent Lejard, août 2014.