Il fallait un prétexte pour satisfaire une revendication de la Conférence des Présidents d’Université, le Gouvernement l’a trouvé : ces présidents rechignaient à s’acquitter de la contribution qu’ils doivent au Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique, d’un total de 45 millions d’euros alors qu’ils avaient bénéficié d’une exonération des deux-tiers depuis sa création. Cette exonération devait en effet prendre fin cette année, et les établissements d’enseignement supérieur qui ne respectent pas la loi devaient en payer le prix. Sauf que la ministre de l’Enseignement supérieur, Najat Vallaud-Belkacem, est venue à leur rescousse le 31 août dernier en leur laissant la libre disposition des 30 millions formant la différence, afin que les universités financent des mesures de sécurité et paient des vigiles sensés assurer la protection des personnels et des étudiants contre le terrorisme.
Cela veut dire que les établissements qui ne respectent pas l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés pourront librement employer l’argent qui devait compenser ce manquement. Et que ceux qui respectent l’obligation ne recevront rien pour financer d’éventuelles mesures de sécurité. Sur ce point, la décision gouvernementale est déséquilibrée et profondément injuste, une nouvelle forme de « prime à la crapule ».
Mais c’est cette pratique gouvernementale qui consiste à siphonner régulièrement les crédits alloués aux personnes handicapées qui a particulièrement irrité journalistes et associations. Là, il s’agit de payer des « cognes », précédemment de financer des contrats aidés, avant encore de financer la formation professionnelle, renflouer l’assurance chômage, la succession des ponctions est longue et diversifiée, depuis une vingtaine d’années. Les organismes non étatiques, mais étroitement contrôlés par l’Etat, qui gèrent les aides aux personnes handicapées sont régulièrement pillés pour financer autre chose, alors que les ministres et même le Président de la République jurent main sur le coeur qu’ils oeuvrent en faveur de l’insertion de ces mêmes personnes handicapées, encore et toujours maintenues dans la précarité d’aides chichement accordées et généralement insuffisantes pour simplement vivre.
Ce double langage revient depuis vingt ans, avec une nette accentuation ces dernières années : 50 millions piqués à l’Agefiph en 2008 pour contribuer au budget d’un Etat que le premier ministre d’alors déclarait « en faillite », 100 millions de perte annuelle de financement de la formation professionnelle des personnes handicapées depuis 2010 du fait de la réforme du système, 150 millions ponctionnés en 2011 du FIPHFP pour financer l’accessibilité des administrations et autres 120 millions de ristourne aux universités depuis 2013, 174 millions puisés de 2015 à 2017 en faveur des contrats aidés dans les deux fonds pour l’emploi FIPHFP et Agefiph, 50 millions détournés en 2015 de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie pour payer le Revenu de Solidarité Active. Des organisations membres de cette CNSA viennent d’ailleurs de publier une lettre ouverte au Premier ministre pour demander que les 700 millions d’euros mis en réserve par décision des ministres de tutelle ne servent qu’à des actions en faveur des personnes handicapées ou âgées dépendantes. En pleine période de bouclage des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité Sociale, cette « cagnotte » créée par des artifices dilatoires peut être aisément siphonnée. Pendant ce temps, le chômage des travailleurs handicapés continue à augmenter, les revenus à baisser, les dépenses à s’accroitre sur fond de déshérence des politiques publiques.
Après tout, l’exemple vient de loin, au moins de la création il y a 60 ans tout juste de la vignette automobile qui devait payer « la retraite des vieux » : ils n’en ont jamais vu la couleur…
Laurent Lejard, septembre 2016.