Comment qualifier les récentes déclarations des ministres des Finances et du Budget : indécence, cynisme, morgue ? Ces trois termes collent parfaitement aux propos de Bruno Le Maire, en charge de l’Economie et des finances, et Gérald Darmanin, chargé des Comptes publics. Pour ce dernier, « Il y a trop d’aides sociales en France », et elles sont « des trappes à inactivité ». En clair, donner aux personnes privées d’emploi une aide sociale minimale leur permet de vivre à ne rien faire aux crochets de la société, il faut les contraindre à travailler en réduisant ou supprimant cette aide. Son collègue Bruno Le Maire est sur une ligne complémentaire : « Expliquer qu’on va réduire la dépense publique sans rien toucher aux aides sociales, ce ne serait pas cohérent et pas juste ni lucide vis-à-vis des Français « . Une suite de l’action menée depuis un an avec Gérald Darmanin et qui a conduit le budget de l’Etat à se priver de plus de 5,5 milliards d’euros d’impôt sur la fortune et taxation des bénéfices spéculatifs. Après avoir réduit les recettes publiques provenant des contribuables les plus aisés, la logique de ces deux ministres « décomplexés » les amène à vouloir réduire d’autant les prestations sociales aux personnes les plus pauvres en prenant comme prétexte une oisiveté supposée. Cela s’appelle une politique de classe, riches contre pauvres, qui cherche à désigner à la vindicte des gens « qui travaillent et se lèvent tôt » ceux qui vivraient aux dépens de leurs impôts et des taxes qu’ils paient, eux qui ne sont pas riches et fiscalement privilégiés.
Les personnes qui touchent l’Allocation aux Adultes Handicapés ne seraient toutefois pas concernées selon Gérald Darmanin mais son souhait de suppression de la prime d’activité toucherait tous les allocataires qui travaillent. Son collègue Bruno Le Maire ne fait pas, lui, de distinction : « Il y a des inégalités importantes et nous les compensons par des aides sociales toujours plus élevées. Nous voulons rompre avec ça et traiter ces inégalités à la racine, en formant mieux, en qualifiant mieux, en donnant des emplois. C’est ce que nous avons commencé à faire. Ça nous autorise ensuite à réduire le montant des aides sociales qui sont distribuées pour compenser ces inégalités ». Cela s’appelle une politique d’activation, prônée depuis au moins vingt ans par l’Inspection Générale des Finances dans plusieurs rapports relatifs à l’AAH et proposant de la réserver aux seules personnes considérées dans l’incapacité de travailler, soit moins du quart des allocataires actuels, l’économie pour la dépense publique serait de près de 8 milliards d’euros.
On en n’est pas encore là mais les services des deux ministres ont ressorti des cartons les propositions qu’ils remettent à chaque nouveau Gouvernement, ce que le précédent secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, qualifie de « musée des horreurs » : coupes dans les aides sociales et nouvelles taxes à la consommation, l’imagination des hauts-fonctionnaires grassement rémunérés de Bercy ne connaît pas de limite. Une note interne de sa Direction du Budget veut « transformer les prestations sociales » en restreignant les conditions d’attribution, en les conditionnant à la prise en compte des revenus de la famille (pour l’APL étudiants) ou du patrimoine (prendre la maison d’une personne âgée dépendante pour lui verser l’allocation d’autonomie), en intégrant le montant de l’AAH dans les revenus servant au calcul de l’APL pour la diminuer notablement. Et dans le même temps, le Gouvernement réfléchit à imposer aux salariés une nouvelle journée de solidarité non payée pour financer les aides aux personnes âgées ou handicapées que les ministres des Finances et du budget veulent réduire.
Pressurer les pauvres pour enrichir les riches, ainsi apparaît au grand jour la ligne budgétaire du pouvoir actuel.
Laurent Lejard, juin 2018.