Le 1er janvier 2018 voyait l’entrée en vigueur d’une importante réforme du stationnement payant dans les rues. Dépénalisé et décentralisé, il devenait la responsabilité exclusive des communes qui en définissaient les conditions de paiement. Bien évidemment, les usagers handicapés titulaires d’une carte européenne ou mobilité inclusion stationnement conservaient la gratuité accordée par la Nation en mars 2015. Sauf que quelques villes ont cédé à la sirène commerciale qui, en échange d’une centaine de milliers d’euros, vend une voiture équipée d’un système de Lecture Automatique de Plaques d’Immatriculation (LAPI) assurant le contrôle et la verbalisation de milliers de voitures à la journée. Ces « sulfateuses à PV » sont d’une remarquable efficacité, comme l’a constaté un usager lyonnais en visite à Marseille : quatre jours de stationnement, un Forfait Post Stationnement à payer pour chaque journée, 100% de taux de contrôle ! Des systèmes similaires sont envisagés pour verbaliser des véhicules trop âgés pour entrer dans certaines villes à Zones à Faibles Emissions, restriction dont sont exemptée les voitures transportant une personne handicapée (lire l’actualité du 6 décembre 2018).
Le 15 janvier 2018, l’Association des Paralysés de France saisissait par courrier le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérard Collomb, des conséquences de cette automatisation sur les usagers bénéficiant d’une gratuité nécessitant un contrôle visuel de la présence d’une carte de stationnement. « La mise en oeuvre de cette réforme pose déjà quelques difficultés pour les personnes en situation de handicap qui bénéficient de la gratuité du stationnement suite à la loi n°2015-300 du 18 mars 2015 visant à faciliter le stationnement des personnes en situation de handicap titulaires de la carte de stationnement, écrivait son président, Alain Rochon. D’une part, un certain nombre de collectivités demande aux titulaires de la carte de stationnement de signaler leur numéro de plaque d’immatriculation. Cela signifierait que chaque titulaire de la carte devrait systématiquement se signaler en mairie dès qu’il se déplace dans une ville. Cette démarche est irréalisable pour les personnes en situation de handicap. D’autre part, comme la carte de stationnement est attachée à la personne, et non pas au véhicule, la vérification des numéros de plaque d’immatriculation ne permettra pas d’assurer la gratuité de la place de stationnement pour les titulaires de la carte. » Le constat était clair : telle que déployée dans certaines villes, la réforme du stationnement remettait en cause les droits des usagers handicapés.
Pourtant, ce que l’APF rejetait en janvier, elle l’accepte en décembre ! Dans l’intervalle, elle a participé à la rédaction, avec plusieurs organismes, d’une Notice de recommandations à l’usage des collectivités locales. L’essentiel du document (non accessible au grand public) détaille ces cartes, les points à contrôler pour s’assurer de leur validité et détecter les contrefaçons, et une rubrique consacrée aux véhicules LAPI. Les rédacteurs rappellent que « la gratuité des places de stationnement sur voirie pour les personnes en situation de handicap doit continuer à être la règle, sans imposer de démarches qui seraient perçues comme discriminantes pour ces usagers, c’est-à-dire qui ne seraient pas demandées aux autres usagers […] En ce qui concerne la compatibilité des dispositifs ‘LAPI’ avec l’application de la garantie de la gratuité pour les personnes en situation de handicap, la CNIL recommande que des agents se rendent sur place pour constater visuellement la présence ou non d’une CES ou d’une CMI-S ». Et de citer en exemple la procédure instaurée à Marseille présentée « dès 2017 à toutes les associations locales représentatives des personnes handicapées, qui l’ont validée »… parmi lesquelles l’APF.
Or il est faux d’affirmer que la procédure marseillaise respecte les recommandations de la Commission Nationale Informatique et Libertés qui stipulent : « S’agissant de la possibilité de réaliser ce constat et d’établir le FPS à distance, la Commission constate l’impossibilité de mettre en oeuvre cette pratique au regard notamment des difficultés qu’elle poserait pour les personnes bénéficiant de la gratuité du stationnement en raison de leur handicap. En effet, il n’est pas possible de réaliser à distance le contrôle de la détention d’une carte européenne de stationnement. Un tel contrôle nécessite que l’agent se rende sur place. » Ce n’est pas le cas à Marseille dont la procédure d’établissement de FPS à distance est la règle. Lorsque des agents se rendent sur place, c’est uniquement pour vérifier la présence d’une carte de stationnement à l’intérieur des véhicules dont l’usager s’est signalé comme PMR sur horodateur ou appli mobile.
En quoi consiste « l’exemple » marseillais ? Les résidents handicapés (et eux seuls) peuvent obtenir un abonnement gratuit en faisant inscrire pendant deux ans, sur un registre, un numéro de plaque d’immatriculation en se rendant dans les bureaux du gestionnaire, situés en plein centre-ville dans un secteur instationnable ! Ils effectuent une démarche « irréalisable » pour le président de l’APF. Les non-Marseillais doivent, eux, se rendre à l’horodateur le plus proche pour entrer dans la machine le numéro d’immatriculation de leur voiture. Les rédacteurs ont simplement oublié que Marseille demeure la championne de France de l’inaccessibilité, ce qui ne garantit pas l’usage généralisé des horodateurs. Dernière possibilité, éditer un ticket gratuit au moyen d’une appli mobile.
« Nous souhaiterions que vous puissiez apporter les clarifications nécessaires aux collectivités locales pour que la gratuité des places pour les personnes en situation de handicap continue à être la règle appliquée sans démarches supplémentaires que l’obtention de ladite carte de stationnement », concluait le courrier du président de l’APF au ministre de l’Intérieur, qui n’a d’ailleurs pas répondu. C’est l’APF France Handicap qui fournit elle-même la réponse : elle accepte désormais ces « démarches supplémentaires » et que les usagers handicapés s’informent au préalable sur la réglementation du stationnement dans les villes où ils se déplacent. La loi du 18 mars 2015 facilitait leur stationnement automobile, la réforme la complique. L’APF l’admet… comme elle a accepté la création d’un quota de logements accessibles et l’évolutivité des autres, ouvrant un boulevard au Gouvernement qui n’a pas manqué d’en tirer argument (lire l’actualité du 14 avril 2018).
L’année 2018 aura été marquée par deux reniements majeurs de l’une des principales associations nationales de défense des personnes handicapées. Fera-t-elle mieux en 2019 ?
Laurent Lejard, décembre 2018.