Toutes les victimes d’accidents ou d’actes violents l’ont vécu : le responsable ou l’organisme qui les indemnise tente toujours de réduire l’indemnisation en prétendant que la victime a quelque part « cherché des problèmes », est en partie responsable des dommages corporels qu’elle subit. C’est ce qui arrive à une femme du Mans (Sarthe) devenue paraplégique parce que son conjoint l’a défenestrée un soir d’août 2013. La police était intervenue à son domicile après que son conjoint y ait agressé un ami commun, les agents lui avait conseillé de ne pas dormir chez elle ce qu’elle n’avait pu faire, faute de solution alternative : plus de train pour aller chez ses parents, amis absents, Samu Social défaillant, aucun secours aux femmes victimes de violences conjugales. De retour chez elle, elle a été jetée par la fenêtre du 2e étage au milieu de la nuit. Si le conjoint purge une peine de quinze ans de prison, le Fonds de Garantie et la Commission d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) a décidé de faire porter à la victime une part de responsabilité, en réduisant la provision de 90.000€ accordée par Cour d’Assises trois ans après les faits à 67.000€. Le Fonds de Garantie invoque agir « au nom de la solidarité nationale ». La révélation publique de cette affaire en ce début d’année s’étale dans les journaux et fait scandale. La secrétaire d’État chargée des Droits des femmes, Marlène Schiappa, s’intéresse enfin aux femmes devenues handicapées par violences conjugales, elle qui, le 22 mai dernier, refusait à l’Assemblée Nationale que des dispositions spécifiques soient introduites dans le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, renvoyant le « bébé » à une grande loi spécifique sur le handicap.
Pourtant, faut-il s’étonner de ce qu’une juridiction agissant « au nom de la solidarité nationale » fasse payer son handicap à cette victime comme à toutes les autres ? C’est en effet la pratique de l’ensemble des politiques publiques dites « de solidarité nationale » de sanctionner les personnes handicapées qui demandent de l’aide. D’abord, par une avalanche de formalités pour faire reconnaitre administrativement le handicap. Ensuite par des dispositifs partiels, contraignants, stigmatisants puisqu’il faut à chaque fois justifier de son handicap : pour une carte de stationnement, une allocation ou pension, un logement, aller à l’école, obtenir un transport adapté ou même accéder aux transports en commun, se former et travailler, s’équiper d’aides techniques indispensables pour se déplacer. Ces dernières, par exemple, sont financées par des dispositifs complexes, cumulant Sécurité Sociale, Prestation de Compensation du Handicap, Fonds Départemental de Compensation, et malgré cet empilage, une partie des dépenses est laissée à la charge de la personne handicapée. La doctrine de « solidarité nationale » défendue par tous les gouvernements repose sur la justification permanente et le principe de faire payer aux personnes une partie du poids financier de leur handicap. La compensation intégrale n’existe que pour les victimes indemnisées par une assurance condamnée à payer au terme d’une procédure en justice souvent longue. C’est pourtant à ces compagnies que Marlène Schiappa annonce son intention d’écrire « pour leur rappeler qu’une femme n’est jamais, dans aucun cas, responsable des violences qu’elle subit. » Mais gageons qu’elle ne saisira pas ses collègues ministres de la Justice, des Solidarités et aux Personnes handicapées pour demander une réelle compensation des handicaps, la seule politique qui permettrait de réaliser cette « société inclusive » invoquée à longueur de discours et régulièrement démentie dans les actes.
Laurent Lejard, janvier 2019.