Il y a un an, nous vous racontions la mésaventure vécue par un automobiliste handicapé Lyonnais, Michel G, séjournant quatre jours à Marseille. Résultat, un forfait post-stationnement infligé pour chaque journée de stationnement gratuit. Parce que dans la seconde ville de France, la municipalité a une conception toute particulière : chaque titulaire d’une carte de stationnement pour personne handicapée pourtant exempté de toute formalité par la loi du 18 mars 2015 doit enregistrer sur l’horodateur le plus proche le numéro d’immatriculation du véhicule qui le transporte. Cette loi avait pourtant été élaborée parce que les horodateurs sont fréquemment inaccessibles ou hors service, et pour épargner à des personnes à mobilité parfois très réduite un double trajet piéton entre leur voiture et ces engins. Mais à Marseille, la municipalité n’a que faire de ces personnes et de cette loi, elle tient à conserver son titre de « ville la plus inaccessible de France » et rentabiliser au maximum le stationnement automobile. Alors les très efficaces voitures de contrôle automatisé infligent une sanction, un forfait de post-stationnement de 17€ aux usagers handicapés qui n’effectuent pas l’enregistrement. Notez bien qu’aucune information sur cette contrainte ne figure sur les horodateurs, il faut consulter le site web de la ville de Marseille pour le savoir.
Fort de son bon droit, Michel G a donc formulé quatre Recours Administratifs Préalables Obligatoires (RAPO), tous les quatre logiquement rejetés : la SAGS qui sanctionne est aussi celle qui décide du sort des RAPO, elle est à la fois juge et partie. Notre automobiliste a ensuite saisi la Commission du Contentieux du Stationnement Payant (CCSP), à laquelle la ville de Marseille a adressé ses « mémoires en défense » dont la lecture laisse pantois. Au-delà des habituels points de procédure, la ville invoque le contrôle de la durée de stationnement gratuit pour les véhicules de personnes handicapées, limité à 24 heures sur le même emplacement de voirie : ce contrôle est assuré par l’enregistrement du véhicule sur un horodateur. Cette limitation figure dans l’arrêté municipal P1700602 du 2 août 2017 cité par la ville de Marseille dans ses mémoires en défense : « Afin de bénéficier de la gratuité du stationnement, un usager PMR ou accompagnant d’un usager PMR doit déclarer le début de son stationnement soit via l’horodateur en saisissant l’immatriculation de son véhicule soit via le système de paiement dématérialisé. » Or cet arrêté est introuvable sur le registre des actes administratifs de la ville puisqu’il a été annulé et remplacé par l’arrêté P1901255 du 17 juillet 2019 publié le 1er septembre : « Ce remplacement avait pour but de corriger une erreur de plume, les dispositions restent inchangées », justifie un porte-parole de la municipalité, sans toutefois indiquer la date d’effet de cette annulation. Ceci est très important parce que le nouveau texte ne comporte pas la limitation à 24 heures de la gratuité pourtant opposée devant la CCSP à Michel G : « En l’espèce, par arrêté municipal P1700602, la ville de Marseille a effectivement octroyé une gratuité de stationnement dans les zones payantes aux personnes de statut PMR dans la limite de 24 heures (article 2) […] N’ayant pas saisi ces informations [horaires], le requérant s’est placé en infraction par rapport aux règles régissant le stationnement dans la commune de Marseille tout en rendant le contrôle de la durée de son stationnement impossible. Dans ces conditions, Monsieur G ne pouvait bénéficier de la gratuité prévue par la réglementation ». Beau tour de passe-passe juridique pour piétiner un droit !
Bien qu’annulée, la limitation de gratuité à 24 heures sur le même emplacement est toujours mentionnée sur la page PMR de la SAGS, et il n’est pas précisé que l’enregistrement sur horodateur sert à la vérifier et sanctionner. Qu’en est-il des résidents Marseillais handicapés qui ont été contraints d’enregistrer un véhicule en se déplaçant dans un bureau de la SAGS ? La limitation à 24 heures de la gratuité du stationnement ne leur a pas été opposée, sinon les FPS seraient tombés comme à Gravelotte… D’autant que l’enregistrement sur un fichier ne servirait à rien. L’argument ne semble donc opposé qu’aux usagers qui contestent, ce qui est pour le moins inéquitable. De plus, un véhicule stationné dans une rue puis déplacé dans la journée poiur être garé ailleurs dans la même rue est sanctionnable, le contrôle automatisé n’étant pas capable de mémoriser l’emplacement précis de chaque voiture sur la voirie. A l’analyse, cet argument est manifestement malhonnête. Pourtant, l’obligation opposée aux usagers de passage d’enregistrer sur horodateur la voiture qui les transporte a été saluée le 11 décembre 2018 par Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux personnes handicapées. Et ce procédé contraire à la loi sur la gratuité du stationnement a été érigé en exemple avec la bénédiction de l’APF France Handicap. Si les dirigeants de cette association ont toujours défendu le principe que les personnes handicapées devaient payer le stationnement comme les autres, c’est elle qui a été concertée pour élaborer un guide à destination des collectivités locales. Les personnes handicapées qui s’épuisent dans des procédures aussi complexes que coûteuses et affrontent des arguments tordus savent à qui elles doivent dire merci…
Laurent Lejard, octobre 2019.