On l’entend et le lit régulièrement, l’État de droit est menacé dans de multiples pays, Union Européenne comprise. En Pologne, l’exécutif (Président et Gouvernement) veut régenter la justice en nommant des magistrats à sa main. En Hongrie, les libertés publiques sont réduites sur fond de monopolisation de tous les organes du pouvoir par le parti majoritaire national-xénophobe FIDESZ. Et en France, le ministre des Comptes publics écarte le 12 février une décision de justice concernant une disposition fiscale : le Conseil d’État a jugé le 30 novembre dernier que les activités ouvrant droit au crédit d’impôt pour l’aide à domicile s’entendait selon la législation « à l’exclusion des sommes versées en rémunération des activités exercées en dehors de ce domicile. » La plus haute juridiction de droit public a rappelé le ministère des Comptes publics au respect de la loi, fondement essentiel d’un pays démocratique régi par l’État de droit : dans un tel régime, un ministre ne peut faire régner sa loi.
C’est pourtant ce qu’Olivier Dussopt a fait en contournant la décision du Conseil d’État par l’invocation d’une circulaire qui n’a pas force de loi. Avec comme conséquence de faire porter sur les contribuables un risque juridique pouvant les conduire à rembourser une partie du crédit d’impôt qui leur aura été versé. Que dit le Conseil d’État de cette situation inédite ? « Cette décision [du 30 novembre 2020] juge d’une part que ne peuvent bénéficier du crédit d’impôt des prestations effectuées en dehors du domicile, quand bien même elles seraient comprises dans une offre incluant un ensemble d’activités effectuées à domicile. L’instruction fiscale qui donnait cette lecture du texte est donc annulée. Cette décision retient d’autre part une définition assez large de ce qui constitue une activité effectuée au domicile, puisqu’elle y inclut, par exemple, ‘la garde d’enfants, l’assistance dans les actes quotidiens des personnes âgées, les travaux ménagers ou la livraison de repas à domicile’ (§ 9). La décision est en cela fidèle aux conclusions du rapporteur public qui invitait le Conseil d’État à ‘retenir de la notion de services à la personne au domicile cette acception assez compréhensive de services rendus au domicile du bénéficiaire, en se plaçant résolument du point de vue de celui-ci’ pour ne pas ‘déstabiliser tout un secteur et miner au passage l’objectif central de lutte contre le travail illégal qu’a poursuivi le législateur en instituant le crédit d’impôt. »
Toutefois, le Conseil d’État précise : « Le ministre ne peut pas passer outre cette décision, il doit s’y conformer comme toute autorité administrative. Il peut cependant prendre position en disant qu’en substance, les règles actuelles vont rester les mêmes, en s’appuyant non pas sur la prise en compte de prestations faites à l’extérieur mais incluses dans un package avec des prestations à domicile (ce que la décision du Conseil d’État interdit) mais, désormais, sur une lecture assez large de la notion même de prestations faites à domicile. Enfin, tout ceci étant une interprétation de la loi (article 199 sexdecies du code général des impôts), le législateur est bien entendu libre de la modifier. » Il apparaît clairement que si le ministre peut faire « une lecture assez large de la notion même de prestations faites à domicile », il ne peut s’asseoir comme il l’a fait sur une décision de justice qui lui vaut des désagréments : les organismes du secteur de l’aide aux personnes sont très vite montés au créneau pour pointer les difficultés et obtenir le retour à la situation précédente. Mais agir ainsi, même pour des intentions louables pas ailleurs, revient à ignorer le droit et son État.
Qu’en dit Philippe Bas, lui-même conseiller d’État, sénateur et ancien ministre en charge des Personnes handicapées de 2005 à 2007 ? « Il considère que la décision du Conseil d’État doit être appliquée dans toute sa portée en faveur des personnes handicapées, énonce sa porte-parole. Cette décision est conforme à la volonté du législateur et Philippe Bas s’opposerait à toute modification de la loi qui viendrait restreindre les droits des personnes handicapées. »
Laurent Lejard, mars 2021.