Publiée fin janvier, une enquête sur les pratiques du plus important groupe privé d’EHPAD fait scandale. On y apprend notamment que les soins, l’aide humaine, les repas et les produits d’hygiène nécessaires aux pensionnaires âgés sont rationnés pour améliorer la rentabilité financière. Immédiatement, les politiciens de tous bords ont réagi à coup d’indignation, de demande d’enquête parlementaire, de poursuites et sanctions à l’encontre des dirigeants de ce groupe. Mais de quoi parle-t-on ?
D’un système conçu au fil du temps par les dirigeants et gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédés ces dernières décennies. Ce sont eux qui ont accepté le développement de groupes privés d’EHPAD dont la rentabilité tourne autour de 20% pour les deux français les plus importants, Orpea et Korian. Ce sont les ministres et parlementaires de droite et de gauche qui ont adopté les « niches fiscales » qui permettent à ces groupes de construire sans engager d’argent : les chambres sont vendues aux particuliers en amendement Scellier (de droite en 2008) devenu Duflot (de gauche en 2014) puis Pinel (de gauche un an plus tard.) Cette acrobatie financière correspond à une subvention d’État par ricochet puisque la réduction d’impôt consentie aux « investisseurs » constitue une aide à l’achat.
S’ajoute à cette ingénierie financière un recrutement en personnels à la limite de la norme réglementaire qui se traduit rapidement en lacune du fait des cadences de travail, générant une fatigue des aides humaines engendrant arrêts-maladie et démissions, ainsi que des tensions psychologiques entraînant parfois des brutalités sur les pensionnaires âgés dépendants. C’est le système de rentabilisation qui maltraite les personnels et crée de la maltraitance pour les usagers-clients que l’on peut qualifier d’institutionnelle.
Ces dernières années, les alertes sur les conditions de vie dégradées en EHPAD se sont multipliées, accompagnées de grèves, manifestations, pétitions. La pandémie de Covid-19 et les périodes de confinement de 2020 ont mis en exergue les difficultés de leurs personnels globalement dévoués, sérieux, humains, mais en permanence à la limite de la rupture. Dans le même temps, les groupes privés n’ont pas modifié leurs critères de gestion qui visent toujours à contenir les dépenses et maintenir le niveau de rentabilité. C’est sur ce modèle économique que les dirigeants et politiciens de tous bords n’ont pas voulu agir. A quand, donc, le prochain scandale ?
Laurent Lejard, février 2022.