La loi 2005/102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, a instauré en son article 41 un principe d’accessibilité universelle aux personnes handicapées. « Article L.111-7 [du code de la construction] – Les dispositions architecturales, les aménagements et équipements intérieurs et extérieurs des locaux d’habitation, qu’ils soient la propriété de personnes privées ou publiques, des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des lieux de travail doivent être tels que ces locaux et installations soient accessibles à tous, et notamment aux personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique, dans les cas et selon les conditions déterminées aux articles L.111-7-7 L.111-7-3 ».
L’article 45 du même texte précise notamment les mesures à prendre en matière de transport collectif : « La chaîne du déplacement, qui comprend le cadre bâti, la voirie, les aménagements des espaces publics, les systèmes de transport et leur inter mobilité, est organisée pour permettre son accessibilité dans sa totalité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite. Dans un délai de 10 ans à compter de la date de publication de la présente loi, les services de transport collectif devront être accessibles aux personnes handicapées et à mobilité réduite […] En cas d’impossibilité technique avérée de mise en accessibilité de réseaux existants, des moyens de transport adaptés aux besoins des personnes handicapées ou à mobilité réduite doivent être mis à leur disposition. Ils sont organisés et financés par l’autorité organisatrice de transport normalement compétente dans un délai de trois ans. Le coût du transport de substitution pour les usagers handicapés ne doit pas être supérieur au coût du transport public existant. »
Ainsi, la loi de 2005 est claire : les transports collectifs doivent être mis en accessibilité. Il ne suffit pas d’ailleurs d’aménager le moyen de transport pour que la personne handicapée soit autonome mais de faire en sorte que les différentes étapes du déplacement (chaque point d’arrêt) soient accessibles et compatibles depuis le lieu de départ jusqu’au lieu de destination. En cas d’impossibilité, la loi prévoyait de mettre en place un transport de substitution, à un tarif équivalent au coût du transport existant, de telle sorte qu’il puisse être instauré une égalité entre les usagers.
Toutefois, l’ordonnance 2014-1090 du 26 septembre 2014 relative à la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées a aménagé la loi de 2005 en la réformant totalement dont notamment l’accessibilité aux transports des personnes handicapées. L’article 6 de cette ordonnance prévoit désormais que : « L’accessibilité du service de transport est assurée par l’aménagement des points d’arrêt prioritaires compte tenu de leur fréquentation, des modalités de leur exploitation, de l’organisation des réseaux de transport et des nécessités de desserte suffisante du territoire. »
Elle a également modifié l’article L1112-4 du code des transports s’agissant de l’organisation de moyens de transport de substitution : « Lorsque dans un réseau existant, la mise en accessibilité d’un arrêt identifié comme prioritaire au sens de l’article L1112-1 s’avère techniquement impossible en raison d’un obstacle impossible à surmonter sauf à procéder à des aménagements d’un coût manifestement disproportionné, des moyens de transport adaptés aux besoins des personnes handicapées ou à mobilité réduite doivent être mis à leur disposition. Ils sont organisés et financés par l’autorité organisatrice de transport normalement compétente dans un délai de 18 mois à compter de la validation de l’impossibilité technique par l’autorité administrative. […] Le coût du transport de substitution pour les usagers handicapés ne doit pas être supérieur au coût du transport public existant. »
Désormais, seuls « des points d’arrêt prioritaires » doivent être aménagés et accessibles aux personnes handicapées ou à mobilité réduite et non l’ensemble de la chaine de déplacement, comme c’était le cas avec la loi de 2005. Des mesures de substitution sont toujours prévues mais à une échelle réduite par rapport à 2005, puisqu’elles ne concernent plus que les points d’arrêts prioritaires dont la mise en accessibilité est techniquement impossible.
Ces points d’arrêt prioritaires sont définis par chaque Autorité responsable de transport et selon certains critères, dont la fréquentation, les modalités de leur exploitation, de l’organisation des réseaux de transport et des nécessités de desserte suffisante du territoire. Dans ces conditions, il apparaît que de nombreux points d’arrêts ne seront pas aménagés et accessibles, ce qui pose un problème d’égalité entre usagers. En effet, lorsqu’une personne à mobilité réduite (notamment les personnes handicapées et personnes vieillissantes utilisant un fauteuil roulant, un déambulateur, etc.) se présentera à un point d’arrêt non aménagé, son accès au transport public s’avèrera impossible et on pourra même lui opposer un refus de monter à bord et donc d’être transporté. Le fait de cibler seulement certains points d’arrêts à aménager va contraindre les personnes handicapées à parcourir davantage de chemin pour rejoindre ces points d’arrêts, et si la distance à parcourir est trop longue, elles devront renoncer à se déplacer, contrairement aux usagers dont la mobilité n’est pas réduite.
Cette ordonnance crée donc, outre une inégalité de fait entre les usagers, une discrimination à l’égard des personnes handicapées, ce qui est contraire au principe même d’accessibilité universelle de la loi de 2005 qui cherchait à lutter contre toute discrimination mais également à de nombreux textes internationaux ratifiés par la France telle que la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006 et son protocole facultatif : « Article 9. Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les Etats parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès […] aux transports » Telle également que la Convention Européenne des Droits de l’homme dont l’article 14 définit le principe de non-discrimination. Telle enfin que la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne du 18 décembre 2000 : « Article 26. L’union reconnait et respecte le droit des personnes handicapées à bénéficier de mesures visant à assurer leur autonomie, leur intégration sociale et professionnelle et leur participation à la vie de la communauté. »
Par ailleurs, le Défenseur des Droits a rendu le 11 février 2013 la décision 2013-16 concernant la loi de 2005. Il rappelle en introduction que « l’accessibilité constitue un moyen de lutter contre les discriminations en permettant aux personnes handicapées, quel que soit leur handicap, de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, sur la base de l’égalité avec les autres. » Il rappelle également que les objectifs de la loi de 2005 sont un enjeu prioritaire. Concernant les transports, il indique : « Permettre aux personnes handicapées de se déplacer, avec la plus grande autonomie possible, en dehors de leur logement et d’accéder sans entrave aux activités ouvertes à tous, suppose de rendre accessible la totalité de la chaîne de déplacement. »
Or, l’article 9 de l’ordonnance du 26 septembre 2014 supprime l’accessibilité de la totalité de la chaîne du déplacement. L’ordonnance de 2014 qui n’impose plus d’aménager l’ensemble des transports publics mais seulement certains points d’arrêts prioritaires s’analyse donc comme une restriction des droits des personnes handicapées ou à mobilité réduite qui n’est pas acceptable et qui est infondée, notamment au regard de la loi de 2005 et des textes internationaux ratifiés par la France.
Catherine Meimon Nisenbaum, avocate à la Cour, décembre 2014.