Ils avaient jusqu’au 27 septembre 2015, les propriétaires et gestionnaires d’Établissements Recevant du Public (ERP), pour déposer un Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’Ap) ou demander un délai supplémentaire pour le faire. Selon les déclarations du 27 avril dernier de la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, 440.000 établissements avaient déposé un Ad’Ap ou une demande de prorogation de délai et les propriétaires ou exploitants de 300.000 autres ont attesté sur l’honneur de leur accessibilité. Selon elle, il resterait donc seulement un quart d’ERP dans l’illégalité.
Un chiffrage approximatif.
Pour affirmer cela, encore faudrait-il connaitre le nombre d’ERP que compte la France. A cet égard, le chiffre soutenu par les ministres successifs a varié de 650.000 à deux millions, l’actuelle secrétaire d’Etat aux personnes handicapées retenant un million environ. Or, la Direction Générale des Entreprises du ministère de l’Economie et des Finances établissait le nombre de professionnels libéraux à près de 775.000 fin 2013 et l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) comptabilisait quasiment autant de commerces (790.000) à la même période. Il convient d’ajouter à ce million et demi d’ERP les 36.000 mairies, 10.000 bureaux de poste, 1.100 musées, les services publics, salles de spectacles, stades et salles de sport, etc., et le chiffre d’ERP devrait atteindre effectivement les deux millions. Dans ce cadre, 15% des ERP sont attestés accessibles, 30% en voie de l’être par un Ad’Ap et 55% hors du dispositif, ce qui est amplement confirmé par les données analysées ci-dessous qui témoignent d’un faible engagement des propriétaires et exploitants.
Qui a déposé un Ad’Ap ?
La plupart des Préfectures publient sur leur site web des listes d’établissements attestés accessibles ou faisant l’objet d’un Ad’Ap. Comme l’architecture de ces sites Internet est identique, on les trouve généralement dans la rubrique « Politiques publiques » puis « Aménagement du territoire, construction, logement » et enfin « Accessibilité » : elles sont consultables au format PDF et téléchargeables. Leur format très administratif n’est pas simple à lire, les informations diffèrent et l’établissement de la liste des Ad’Ap peut dater. De près de six mois par exemple en Gironde, qui publie une liste établie au 25 novembre 2015 : 3.127 Ad’Ap ont été déposés, dont 2.791 acceptés et 302 rejetés, dont 50 avec une demande de prorogation de délais (34 acceptées). De plus, les sociétés ou organismes ayant leur siège en Gironde ont déposé un Ad’Ap Patrimoine regroupant tous leurs établissements comptabilisés parmi les 3.127 Ad’Ap. En fait, on ne dénombre que 545 Ad’Ap pour la métropole, Bordeaux, ce qui est fort peu en regard des 24.000 commerces recensés fin 2014 par la Chambre de Commerce et d’Industrie, dont 59% dans l’agglomération bordelaise.
A Paris, c’est la préfecture de police qui publie les listes : « Au 31 janvier 2016, sont enregistrés : 3.879 établissements ayant fourni une attestation d’accessibilité au 31 décembre 2014; 1.221 établissements attestant s’être rendus accessibles entre le 1er janvier et le 27 septembre 2015; 29.101 établissements engagés dans des agendas d’accessibilité à 3, 6 ou 9 ans. En outre, 186 demandes de prorogation du délai de dépôt de l’Ad’AP ont été enregistrées, dans le cadre de dossiers individuels ou de patrimoine, et font l’objet d’un suivi destiné à s’assurer de la réalisation de l’agenda. Dans ce cadre, ce sont 12.545 ERP dont les propriétaires ou exploitants se sont manifestés pour s’engager à déposer un Ad’AP dans les prochains mois. » Paris aurait donc près de 47.000 ERP accessibles ou en voie de le devenir, et si ce chiffre semble élevé, il doit être comparé aux 62.000 commerces et 118.000 entreprises libérales dont une bonne partie reçoivent du public. La ville de Paris a refusé de communiquer la liste de ses ERP attestés accessibles et de ceux pour lesquels un Ad’Ap est prévu, empêchant d’apprécier l’évolution de la capitale dans ce domaine.
Que peut-on apprendre ?
Pour sa part, la préfecture de l’Isère publie des listes récentes, dressées le 10 mars dernier, dans « Politiques publiques » puis « Aménagement du territoire, construction, logement » puis « Construction, logement » puis « Construction » et enfin « Accessibilité » : la liste des Ad’Ap simples (AT) n’étant pas triée, il est fastidieux de les repérer par communes et rues. On y trouve toutefois les dates d’échéances des travaux acceptés. 709 Ad’Ap individuels ont été accordés contre 231 rejetés. Les Ad’Ap Patrimoine portent sur 4.719 ERP, dont 4.539 approuvés et 180 rejetés. Si l’on compare avec les 10.000 commerces de l’agglomération grenobloise et les 5.150 sociétés de services aux particuliers recensés par la Chambre de Commerce et d’Industrie, on constate là encore que de nombreux ERP ne satisfont pas à la loi.
L’instruction des Ad’Ap a été particulièrement simple dans les Bouches-du-Rhône, troisième département de France en nombre d’habitants : 1.802 agendas concernant des établissements et des services de transport ont été approuvés par accord tacite, c’est-à-dire sans réponse écrite de l’administration dans le délai légal. Cette dernière a toutefois délivré 42 décisions favorables, et s’est donné la peine d’en rejeter 27. Si l’on ajoute les attestations d’accessibilité déposées pour 3.000 établissements, les Bouches-du-Rhône disposent donc de près de 5.000 ERP accessibles ou en voie de l’être, chiffre à rapprocher des 35.000 commerces et 101.000 sociétés de services, une bonne partie de celles-ci recevant du public. Donc 2% des Ad’Ap ont été accordés après instruction du dossier, et plus de 96% par accord tacite. Seuls 1,4% des dossiers ont été rejetés. Mais ces chiffres stupéfiants ne sont-ils le fait que d’un département ? En effet, rien ne permet de savoir si les autres décisions examinées dans le cadre de cette enquête ont été délivrées de la même manière, la mention d’accord tacite ne figurant pas dans les listes publiées.
Un phénomène que confirme Lionel Roulet, qui siège au titre de l’Association Française contre les Myopathies en commission départementale d’accessibilité de Loire-Atlantique. Il a en effet constaté que peu de dossiers passaient en commission, et elle n’aurait d’ailleurs pas le temps de tous les examiner. Les listes publiées par la préfecture comptent 3.500 attestations d’accessibilité, 1.400 ERP en prorogation de délai, 8.870 Ad’Ap approuvés (dont 1.336 simplifiés et 1.091 dérogations) sur un nombre estimé entre 30.000 et 40.000 ERP en Loire-Atlantique. Dans ce département, environ 40% des établissements seraient en règle avec la loi sur l’accessibilité.
Terminons cette enquête par la vieille histoire du chausseur mal chaussé version Pyrénées-Orientales, département dans lequel l’actuelle secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Ségolène Neuville, a été élue députée en juin 2012 et réélue au Conseil Départemental en mars 2015 : la préfecture ne publie pas dans sa rubrique Accessibilité la liste des ERP accessibles ou ayant déposé un Ad’Ap…
Laurent Lejard, mai 2016.