Le 12 juillet dernier était signé un Engagement national entre deux associations nationales, l’Union Nationale des Entreprises Adaptées (UNEA), la ministre du travail, Muriel Pénicaud, et la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel. Elle met théoriquement un terme à une période d’incertitude pour ces entreprises employant au moins 80% de travailleurs handicapés : le Gouvernement envisageait en effet dans le projet de loi de finances pour 2018 de réduire de 4% le montant des aides au poste et subvention spécifique (lire l’actualité du 14 octobre 2017), et davantage encore en 2019. Mais si cet Engagement national vise à créer 40.000 emplois supplémentaires d’ici 2022 dans les Entreprises Adaptées, c’est sans garantie de crédits d’Etat supplémentaires, le Gouvernement s’engageant seulement à augmenter « son effort budgétaire dès l’année prochaine, pour atteindre, avec le concours d’autres financeurs, un budget de plus de 500 millions d’euros par an à horizon 2022 ». Quels « autres financeurs » verseront au pot ? Le ministère du Travail refuse de le dire. Quant au financement des Entreprises Adaptées, il passerait de 9.500€ par emploi en 2018 à 6.250€ en 2022. Un Engagement de dupes ?
Question : Un accord a été signé entre plusieurs associations, APF France et Unapei, l’Union Nationale des Entreprises Adaptées et sous l’égide du Gouvernement pour créer 40.000 aides au poste en Entreprises Adaptées mais avec une importante réduction de leur montant unitaire : est-ce l’une des raisons qui a conduit l’APAJH à ne pas signer ?
Jean-Louis Garcia : Il y a plusieurs raisons. La première, je suis très prudent pour ne pas dire pire, sur ce que dit et fait le Gouvernement. Je suis extrêmement méfiant et prudent, je ne souhaite pas que l’APAJH se fasse instrumentaliser et qu’au bout du bout on dise « de toute façon vous avez signé et donc vous est en phase avec ce que nous proposons ». C’est la première démarche, et ce n’est pas à vous que je vais rappeler ce dont ils sont capables, par exemple les 10% de logements neufs accessibles au lieu de 100%. La deuxième raison, c’est la concertation, sur laquelle j’ai beaucoup à dire. Je ne pense pas que le monde associatif soit celui qui décide, mais quand on met en place une concertation, on se met autour de la table et on travaille sur les sujets. Nous essayons d’avancer au maximum nos billes, ensuite le décideur décide. Ce qui s’est passé pour les Entreprises Adaptées, c’est d’abord une négociation qui a été limitée à l’UNEA. Heureusement qu’elle était là pour rappeler au Gouvernement qu’entreprises adaptées et entreprises d’insertion, ce n’était pas la même chose, on ne pouvait pas exiger d’elles les mêmes résultats. Mais l’UNEA est une union de directeurs d’entreprises adaptées, alors que les porteurs de risques sont les gestionnaires qui engagent des fonds d’associations quand il faut rééquilibrer les résultats. En décembre dernier, il était question de faire entrer le monde associatif dans la concertation, à l’initiative de l’APF qui, je dois le dire, a été très actrice. Donc on s’est retrouvés, l’APF, l’APAJH et l’Unapei, prêts à rentrer dans une concertation mais comme je l’entends, c’est-à-dire avec le Gouvernement, les pouvoirs publics, les entreprises adaptées et leurs travailleurs, le monde associatif. Mais entre le 15 décembre 2017 et la mi-juin dernier, je n’ai plus entendu parler des négociations conduites au cabinet de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Je sais que certaines associations étaient très présentes au cabinet. L’APAJH a été mise de côté, on n’a participé à rien, nous n’avons été invités à rien. Fin juin, on nous demande de signer un papier qui valide la baisse des aides aux entreprises adaptées. Il y a certainement dans les propositions faites des avancées, mais aussi quelque part, par ce document, l’arrêt de mort des entreprises adaptées de petite taille et de celles qui travaillent en milieu rural. Et aussi une grande difficulté pour les ouvriers en situation de handicap de plus de 50 ans de rester dans les entreprises adaptées. Quand le conseil d’administration de l’APAJH a pesé les avantages et les inconvénients de cette signature, on a estimé qu’il était plus dangereux de signer que de ne pas le faire. Et en même temps, on n’a pas voulu faire la politique de la chaise vide, d’où notre communiqué pour expliquer notre non-signature. Un mois après, je ne regrette pas cette position.
Question : Autre réforme, celle de l’obligation d’emploi qui est en cours d’examen au Parlement et contient une ordonnance annoncée par amendement gouvernemental en séance à 1h30 du matin, sans concertation, pour réformer le dispositif d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés dont les fonds d’insertion professionnelle Agefiph et FIPHFP. Qu’en pense l’APAJH ?
Jean-Louis Garcia : En bon démocrate, j’avais cru comprendre que la Constitution permettait de légiférer par ordonnances quand la situation était bloquée. Là, depuis un an le Gouvernement gère tous les dossiers importants par ordonnances, la voie parlementaire est complètement écartée. Il n’y a pas de situation de blocage au Parlement, où le pouvoir aurait le droit de passer par ordonnances : le débat législatif n’a pas été mené au fond, le travail d’amendement auquel on peut participer n’a pas été conduit. Ce qui veut dire qu’en légiférant par ordonnances on n’est pas dans le cadre d’un pouvoir démocratique sur des sujets qui concernent des fonds considérables et un nombre important de personnes par ailleurs les plus en difficulté et les plus vulnérables de notre pays. Sur la méthode, nous sommes en désaccord total. Nous avons quand même été alertés : lors de la première réunion du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) suivant le différent de février dernier avec Madame Cluzel, la première proposition qui a été faite par le Gouvernement était d’enlever de la loi l’obligation d’emploi de 6% de travailleurs handicapés. Les associations ont hurlé, la proposition a été oubliée. Mais qui nous dit que cela ne reviendra pas dans le cadre de la légifération par ordonnance, où il n’y a plus aucun contrôle parlementaire. Il n’y a pas que cela, et notamment ce qui est envisagé pour l’accompagnement vers l’emploi des personnes en situation de handicap.
Question : Justement, il est question de fondre les organismes spécialisés Cap Emploi au sein de Pôle Emploi. L’expérience des années ANPE montre que cet ancêtre de Pôle Emploi a toujours été incapable d’informer, d’orienter, de prendre charge les travailleurs handicapés. Faut-il faire l’économie de quelques dizaines de millions d’euros en liquidant les Cap Emploi dans l’espoir que Pôle Emploi remplisse mieux leurs missions ?
Jean-Louis Garcia : La vision Gouvernementale portée par Sophie Cluzel est, au départ, fausse. Le Gouvernement n’a qu’un seul mot à la bouche : inclusion. Et leur idée, c’est que toute personne en situation de handicap voulant travailler doit le faire en milieu ordinaire. À partir de là, c’est le droit commun mais sans la compensation, sans les aides. A l’APAJH, nous sommes pour le droit commun, mais avec toutes les compensations, toutes les aides absolument nécessaires. Et quand la personne en situation de handicap n’a pas les outils, n’a pas les potentiels pour travailler en milieu ordinaire, elle doit trouver du travail de façon différente. Or aujourd’hui le discours que vous entendez, et ce qui est dramatique en termes de communication c’est qu’il passe fort bien, « on défend les personnes en situation de handicap d’ailleurs vous voyez, on veut qu’elles travaillent au milieu de toutes les autres » : qui ne serait pas d’accord avec ça ? Le discours que l’on peut porter de dire : « attention, il y a des personnes qui peuvent travailler mais pas au même rythme, ou aussi longtemps, qui ont besoin d’aide, des soins le matin et donc ne peuvent pas travailler à l’heure où démarrera la boutique », tout cela est aujourd’hui inaudible. On voit bien sur d’autres sujets comment le pays est conduit. Un projet de circulaire tourne actuellement pour mettre les Maisons Départementales des Personnes Handicapées sous la responsabilité des Agences Régionales de Santé. Liez ça à la fusion de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) au sein de la Haute Autorité de Santé, l’image qui est portée par les pouvoirs publics, c’est que le handicap relève de la santé, c’est une maladie qu’il faut traiter. Le handicap peut être issu d’une maladie mais les conséquences liées aux handicaps sont lourdes, durent définitivement et ne sont pas qu’un problème de santé, il y a toute la vie sociale, professionnelle, citoyenne de la personne qu’il faut accompagner. Le handicap est divers. Les accompagnements doivent être divers, personnalisés, on doit faire du « cousu main ». On ne va pas du tout vers ça.
Question : Vous craignez donc un retour à la médicalisation de la personne handicapée et, en dehors de cette médicalisation, d’un émiettement voire d’une disparition de toute compensation du handicap qu’elle soit collective ou individuelle ?
Jean-Louis Garcia : Je le crains. Vous avez dû lire le rapport prospectif de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie; je suis intervenu début juillet lors du Conseil qui a approuvé ce rapport pour dire « on est merveilleux à la CNSA, on est en train de dire des choses, le Gouvernement fait exactement l’inverse, il va bien falloir que les deux voies se rejoignent ». Aujourd’hui, le Gouvernement fait des choses qui vont à l’encontre de la citoyenneté des personnes en situation de handicap, sur tous les sujets. On est en train de nous raconter des sornettes sur la prochaine rentrée scolaire, on fait beaucoup de com’, on pose peu d’actes. Relancer une concertation sur l’accès à l’école des jeunes en situation de handicap, c’est refaire un travail déjà fait en 2013 avec Pénélope Komites : qu’on ouvre son rapport « Professionnaliser les accompagnants pour la réussite des enfants et adolescents en situation de handicap », et on ajustera s’il y a des loupés. On ne peut pas passer son temps à refaire des rapports alors que l’on sait ce dont ont besoin les personnes en situation de handicap. On nous endort, en ce moment.
Propos,recueillis par Laurent Lejard, août 2018.