Si l’action publique à l’égard des personnes handicapées est décidée à Paris, centralisation politique et bureaucratique oblige, ce sont des associations territoriales qui la mettent en oeuvre, l’État leur ayant de longue date délégué ses responsabilités. Mais c’est encore cet État qui impose ses choix, la tendance actuelle allant vers le tout-inclusif : promotion de l’habitat standard en colocation, priorité à l’emploi ordinaire. Pour cela, la réforme du logement a donné un statut à la colocation entre personnes handicapées accompagnées par des organismes d’aide à domicile et un forfait dont on attend encore les modalités de mise en oeuvre (lire l’actualité du 15 novembre 2018), ce qui entrainera une mutualisation des heures d’aide humaine au titre de la Prestation de Compensation du Handicap. Côté travail, le Gouvernement a contraint les Entreprises Adaptées à accepter de diluer les travailleurs handicapés parmi davantage de valides, la part des premiers passant de 80% affectés uniquement à la production à 55% tous postes confondus (lire l’actualité du 25 janvier 2019). Les Établissements et Services d’Aide par le Travail sont, eus, sur la sellette de l’Union Européenne au nom de la concurrence déloyale qu’ils feraient aux entreprises ordinaires qui ne sont pas subventionnées au même niveau. Claude Hocquet, président des Papillons Blancs du Douaisis qui reçoit 1.350 usagers, et Serge Moser, président de l’APAEI du Sundgau, s’expriment sur ces sujets.
« Une note européenne a demandé à la France de réfléchir aux Entreprises Adaptées et aux Établissements et Services d’Aide par le Travail, qui n’existent pas dans les pays anglo-saxons, relève Claude Hocquet. Le Gouvernement veut les réformer dans le cadre de l’inclusion en milieu ordinaire. Cela représente pour les Papillons Blancs une baisse de 100.000 euros de subvention avec une incidence sur 40 travailleurs qui bénéficient de l’aide au poste. » Il s’inquiète d’une uniformisation européenne : « On va chercher dans certains pays des solutions pas transférables en France. Depuis quelques temps, le balancier penche d’un côté. Nous devons protéger nos usagers, même s’il faut faire des choses. Beaucoup aspirent à plus d’autonomie, il faut les soutenir. » Mais pour lui, la politique du tout-inclusif vise moins le bien-être des personnes concernées qu’à faire des économies budgétaires : « La politique du tout-inclusif peut être dangereuse. Des travailleurs qu’on amène vers plus d’inclusion, tout le monde ne peut en bénéficier. C’est un aller sans retour, des travailleurs handicapés se retrouvent SDF. Je suis volontiers provocateur. On ne peut pas se plaindre de la situation alors que l’Unapei a prôné le tout-inclusif, qui est conçu pour faire des économies. Elle ne s’était pas emparée du sujet, depuis j’ai eu un entretien avec son président, Luc Gateau, qui s’en préoccupe. Jusqu’à présent, la politique de Sophie Cluzel [secrétaire d’État aux personnes handicapées] c’était le bulldozer, disait le responsable plaidoyer de l’Unapei. Il y aurait une évolution. On doit montrer qu’on est là, revendiquer qu’on est là ! »
Claude Hocquet est critique sur la gestion française : « La France dépense 400 millions d’euros pour 7.000 personnes handicapées placées en Belgique. Cet exil correspond à un business. J’ai entendu parler d’un plan de retour [lire cet Éditorial NDLR]. On veut nous imposer de prendre en charge les cas complexes. Notre association gère trois Maisons d’Accueil Spécialisé, on peut en ouvrir une quatrième. L’ONU [qui prône la fermeture de tous les établissements pour personnes handicapées NDLR] fait partie de la manipulation. Dans le Nord Pas-de-Calais, l’Agence Régionale de Santé voulait réduire le nombre de places, on est monté au créneau et ça a été revu. » Quant à l’habitat inclusif, le président des Papillons Blancs du Douaisis est dubitatif : « L’habitat inclusif repose sur des bénévoles en soirée, ou des personnes livrées à elles-mêmes. Dans le Nord, sur le 100% inclusif, on amène des personnes handicapées vers l’autonomie grâce aux familles d’accueil. Ça participe à la lutte contre la désertification rurale, par l’accueil à la ferme. Mais avec une population plutôt âgée, comment amener les bénéficiaires vers une vie sociale ? »
Le président de l’APAEI du Sundgau, Serge Moser, partage globalement les mêmes inquiétudes et interrogations : « C’est l’accompagnement de la personne qui me pose question. Notre association est partante pour l’inclusion : logement, inclusion scolaire. Notre inquiétude, c’est le mode de financement par place. Côté politique, on en est encore là : un manque de souplesse, une difficulté de mettre en place la PCH mutualisée. Les associations emploient en Contrats à Durée Indéterminée, ce qui pose problème lorsque le financement n’est pas pérenne. Quand un colocataire partira, tout l’accompagnement sera à reprendre si le nouvel occupant bénéficie de moins d’heures de PCH. Le forfait habitat inclusif est une avancée si ses règles ne s’avèrent pas trop complexes. On a l’impression que les politiques proposent des idées et que l’Administration les restitue dans le schéma bureaucratique. » Pourtant, localement cela se passe plutôt bien : « Dans le Haut-Rhin, la Maison Départementale des Personnes Handicapées fonctionne bien, elle gère les problèmes. La Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée analyse les situations complexes en commissions spécialisées. Et elle gère le manque d’argent. »
Serge Moser relève toutefois que la mise en commun des heures de PCH vise à faire des économies : « La gestion de la pénurie s’oppose à l’autonomie. La grande crainte est que l’accompagnement futur ne soit pas de grande qualité. Le logement inclusif nécessite de construire le projet de vie en fonction des capacités des personnes, des envies, des rêves. Avec un droit à l’échec et à la prise de risques. » Il en est de même dans le travail protégé : « Une personne qui quitte l’ESAT et échoue ne peut pas revenir vers l’ESAT, elle n’a pas de droit au retour, pas le droit de vivre ses projets. On ne sait pas trop ce qu’ils veulent dire par ‘désinstitutionnalisation’. Pour le travail protégé, la demande de l’Union Européenne est de le faire disparaître. Les plus bas niveaux seront sans rien. La grande crainte, c’est que tout s’arrête d’un coup. On l’a vu dans la psychiatrie, on a mis les gens à la rue sans prise en charge. Des personnes handicapées psychiques se retrouvent maintenant dans le médico-social, faute de solution. Un modèle plus inclusif est plus que bien pour la personne handicapée, mais avec un accompagnement, non pas laissée dans la nature. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, avril 2019.