Le 17 mars dernier, la France est rentrée en confinement, avec obligation pour la population de rester à domicile, fermeture de la plupart des commerces et arrêt ou restructuration de la plupart des activités. Dont l’aide aux personnes handicapées, totalement bouleversée : fermeture dès le 13 mars des externats et accueils de jour, isolement des hébergements pour personnes handicapées privés de visites et sorties des usagers. Qu’était-il prévu en cas de crise majeure ? « Il existe un Plan Bleu [plan d’urgence NDLR] dans chaque établissement pour personne handicapées relevant d’une Agence Régionale de Santé », explique Gwénaëlle Sébilo, conseillère technique handicap de l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss). Mais ce n’est pas obligatoire pour ceux qui sont sous la tutelle des Conseils Départementaux. « On a des plans pour la protection de l’enfance et pour le médico-social, précise Marie Lauze, directrice générale adjointe des solidarités sociales du Conseil Départemental de Lozère. Ils permettent de gérer une crise avec les personnels dont on dispose et sur un temps court. » Tout en l’adaptant : « Il a fallu créer un plan de gestion de la situation en s’arrangeant pour avoir le moins de personnels possible, en obligeant des gens à rester chez eux. Des établissements médico-sociaux ont maintenu des équipes en remplacement ou en appui. » La Lozère a la particularité de compter le plus de lits d’établissements pour personnes handicapées en proportion du nombre d’habitants, tout en étant assez isolée ce qui l’a préservé de la contamination. « Le Plan Bleu qui existe dans les établissements médico-sociaux n’avait jamais été appliqué pour une pandémie comme celle-ci, ajoute Jean-Louis Leduc, directeur général de la Fédération APAJH. C’est déjà un bon outil en termes de protection, d’hygiène et sécurité. Les établissements se sont acculturés au fil des événements pour établir des protocoles spécifiques de confinement total et des mesures d’hygiène spécifiques. » Une situation très différente des services d’aide à domicile. « Tout le monde a été un peu pris de court, relève Jérôme Perrin, Directeur du développement et de la qualité de l’ADMR qui intervient essentiellement en milieu rural. Les annonces se sont succédées, parlant d’une ‘mauvaise grippe’, d’une épidémie. Il a fallu improviser, nos services ont réagi, on a sollicité la Direction Générale de la Santé et la Direction Générale de la Cohésion Sociale, notre interlocuteur principal. » Le secteur de l’aide à domicile n’est effectivement pas régi par un plan d’urgence semblable à celui des établissements médico-sociaux, chaque organisme a dû élaborer son plan de continuité d’activité.
Des règles élaborées au jour le jour.
Décidé par le Gouvernement pour bloquer la diffusion du coronavirus Covid-19, le confinement devait s’accompagner de consignes précises des autorités de tutelle qui ont tardé à venir, faute de préparation. « Si les établissements étaient préparés, ils ont dû s’adapter en continu et dans un temps très court aux spécificités de cette crise sanitaire », constate Gwénaëlle Sébilo. Il leur fallait en effet organiser les retours des enfants dans les familles et l’appui à distance à leur apporter, mettre en place un plan de continuité incluant télétravail, adaptation de l’informatique, achat d’ordinateurs pour les télétravailleurs. « Cela a entrainé un peu de flottement et un sentiment de rupture de l’accompagnement », estime-t-elle. « A partir du moment où le confinement a été décidé, complète Jean-Louis Leduc, on nous a demandé de distinguer deux catégories d’établissements et services : les établissements d’hébergement ont dû s’organiser pour maintenir les usagers dans leur logement et on nous a demandé pour cette mission de réduire les autres activités en fermant les externats tout en accompagnant les usagers à distance et en redéployant les personnels. » En Lozère, le Conseil Départemental devait agir sur deux fronts : « On s’est concentré sur des plans de continuité d’activité. On a mis l’accent sur une gestion pas uniquement centrée sur les établissements, en agissant avec les services d’aide à domicile pour des plans d’aide. On a un maillage territorial important, avec un déport vers le domicile si nécessaire, par exemple un hôpital psychiatrique a fermé ses services au profit du maintien à domicile. »
Responsable du pôle aide et accompagnement de la fédération Adedom, qui regroupe des associations à but non lucratif de ce secteur, Elsa Masson déplore une méconnaissance des activités d’aide à domicile dans les documents diffusés par l’administration : « Pour les personnes âgées ou handicapées, cela ne posait pas trop de difficultés parce que les personnels intervenant à domicile sont les mêmes. Mais les services d’aide aux familles ne sont toujours pas prioritaires. » Ce qu’appuie Jérôme Perrin : « On a géré beaucoup de choses dans l’urgence, avec cette difficulté d’être considéré comme 3e ou 4e priorité, y compris pour les interventions auprès des familles et des jeunes enfants. Le premier combat mené avec la DGCS visait à sécuriser nos personnels qui n’étaient pas reconnus prioritaires, mais au début on n’a pas pu le réaliser systématiquement alors que les gestes barrières sont impossibles à respecter : on est allés au front sans équipements, sinon nos usagers restaient au lit, ou sans aide. C’était pareil pour les soins à domicile. »
Affronter la pénurie de masques.
Le 26 janvier dernier, la ministre de la santé, Agnès Buzyn, rassurait : « Nous avons des dizaines de millions de masques en stock […] Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personnes à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin. » Un mensonge d’État d’une « politique » qui a démissionné 20 jours plus tard pour sauver le parti présidentiel qui venait de perdre sa tête de liste à l’élection au Conseil de Paris. Le 20 mars son remplaçant, Olivier Véran, chiffrait le stock de masques de protection à 110 millions, insuffisant pour équiper les personnels hospitaliers en pleine explosion épidémique, ce qui sidère leurs représentants. En fait, le Gouvernement dirigé par Jean-Marc Ayrault, comptant Marisol Touraine à la Santé, avait décidé en 2013 de transférer aux employeurs « l’opportunité de constituer des stocks de masques pour protéger [leur] personnel » en suivant une recommandation du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Et c’est le Gouvernement de Manuel Valls avec Marisol Touraine à la Santé et Emmanuel Macron à l’Économie qui décide de fondre l’efficace Établissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires (EPRUS) au sein du nouveau Santé Publique France. Les politiques publiques du quinquennat de François Hollande ont visiblement réduit le niveau de protection sanitaire de la population en cas de crise grave, alors qu’elles se succédaient à l’étranger. La doctrine était alors de ne plus conserver un important stock d’État mais d’acheter massivement si nécessaire. Sauf que les usines qui produisent en masse des masques médicaux sont en Chine, pays qui a fermé ses frontières et arrêté sa production au moment où la France en avait besoin !
« On peut regretter qu’il n’y ait pas eu suffisamment d’équipements individuels de protection pour les personnels et les résidents afin de prévenir la diffusion du virus », déplore Gwénaëlle Sébilo. Le déblocage de leur disponibilité est intervenu en cascade en fonction des stocks : hôpitaux, puis maisons de retraite, puis établissements pour personnes handicapées dépendant d’une ARS alors que ceux sous tutelle départementale devaient être alimentés par leur Conseil Départemental en fonction de ses approvisionnements, puis intervenants à domicile, puis particuliers-employeurs. Quant aux aidants familiaux, ils ne sont toujours pas intégrés aux publics prioritaires pour acheter des masques en pharmacie. Une conséquence des politiques publiques « en silos » qui engendrent oublis et discriminations en situation de crise ? Par exemple, des établissements d’aide à l’enfance recevant des profils similaires d’enfants et jeunes handicapés sont traités différemment selon leur statut : ITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) dotés prioritairement en masques par leur ARS de tutelle pendant que les Maisons d’Enfants à Caractère Social (MECS) dépendent des achats de leur Conseil Départemental. « Ce qui a posé question, confirme Marie Lauze, ce sont les gestes barrières et les équipements de protection, dès le mois de mars. Au début on a eu une tension sur les masques, maintenant sur les sur-blouses. »
« Pour les équipements de protection, ajoute Elsa Masson, ça a été compliqué, l’aide n’était pas prioritaire et quand elle l’a été, c’était uniquement pour les personnes âgées. Pour les interventions au domicile de personnes handicapées et pour les enfants, ça a été plus long encore. » L’identification par l’État des besoins des premières a pris près de 15 jours, mais avec des lacunes dans l’information officielle : « Les pharmacies ne nous identifiaient pas comme professionnels prioritaires. C’est devenu plus simple quand la distribution des masques a été transférée aux ARS, même si certaines ont fonctionné de manière disparate et ont arbitré des choix de répartition entre professionnels, il n’y avait pas assez de masques. Il a fallu un mois pour que la situation se stabilise. On a fait des appels aux dons d’équipements de protection, qui coutent beaucoup plus cher. » Une boite de 500 gants médicaux coutait 7€ avant la crise, elle est vendue aujourd’hui près de 30€. Et le gouvernement a bloqué à 95 centimes le prix maximum du masque chirurgical jadis vendu 2 centimes ! Jérôme Perrin rappelle également le discours changeant des autorités sur le port du masque, appréciant d’obtenir finalement des doctrines à diffuser dans ses réseaux : « On a reçu le soutien de collectivités, d’entreprises, de grands magasins, de la solidarité des gens, la Fédération ADMR a commandé 800.000 masques. Actuellement, la situation s’est nettement améliorée pour les équipements de protection, avec une dotation de 9 masques par semaine par personnel, ce qui demeure insuffisant mais pourrait bientôt passer à 15. Mais la note de la DGCS n’est pas claire sur ce sujet car elle parle de dotation entre 10 et 15 masques. »
Les établissements médicalisés de la Fédération APAJH disposaient d’un stock d’équipement de protection suffisant au début. « Ca a été vraiment très compliqué, relate Jean-Louis Leduc, on obtenait des dotations de masques extrêmement faibles et d’abord seulement pour les établissements très médicalisés, puis ceux d’hébergement, puis pour les services d’aide à domicile. Il a fallu beaucoup palier par nous-mêmes. Ça été une vraie difficulté, ca entrainait une difficulté de dialogue avec nos salariés même s’ils ont été très engagés, actifs, solidaires. Mais le dialogue était difficile, avec un discours très contradictoire du Gouvernement : dans un premier temps, les masques n’étaient importants que pour les établissements médicalisés qui en disposaient déjà et dans les autres ce n’était pas utile, au bout d’un moment on nous a dit qu’il fallait en porter dans tous les établissements ! La règle a évolué avec la capacité de l’État à s’organiser. De notre côté, on a dépassé ces difficultés et sécurisé au bout de trois semaines nos réseaux d’approvisionnement. Tout ce qu’on a commandé est arrivé, même si ca a pris du temps pour venir de Chine. L’accès aux masques a ajouté de l’angoisse à la gestion de la crise. On a fait beaucoup d’appels aux dons. L’État a été défaillant sur ce sujet. »
Comment s’est organisée l’action ?
L’administration centrale et les ministères ont été mobilisés en permanence, en utilisant toutes les ressources du travail à distance. « Chaque semaine, explique Gwénaëlle Sébilo, Sophie Cluzel [secrétaire d’État aux personnes handicapées] a organisé une réunion avec les associations nationales, mais il n’y en avait pas avec la Direction Générale de la Cohésion Sociale. Alors que pour le secteur personnes âgées, on avait un dialogue avec la directrice de la DGCS. On aurait gagné à avoir les deux. » Un écart entre la « ministre politique » et l’administration, les réunions téléphoniques avec la première pouvant survoler des questions techniques. « Sur pas mal de points, il y a une écoute. On a reçu assez rapidement des réponses de l’administration et du Secrétariat général du Comité Interministériel du Handicap (CIH) qui s’est mobilisé, et qui se sont traduites dans les directives. Et je tiens à souligner le travail d’associations qui ont réalisé des documents en Facile à lire et à comprendre pour permettre leur compréhension ».
« Il y a probablement eu deux temps, ajoute Jean-Louis Leduc. Au niveau national, on a eu depuis le début un dialogue permanent avec Sophie Cluzel et son cabinet, elle a réuni les têtes de réseau en visioconférence chaque semaine. Avec un temps de parole long donné aux acteurs de terrain pour remonter les vécus de terrain. » Après la fermeture des externats le 13 mars, il déplore toutefois une phase de flottement pendant les premiers jours, des instructions pas totalement stabilisées, avec des préconisations mal articulées entre le national et le régional : « Ca s’est régulé assez vite vers le 24 mars, avec régulièrement des instructions de la DGCS assez claires et bien faites, confrontées aux points de vue des têtes de réseau, et on a pu faire des remarques et observations. Un système de Foire aux questions a été alimenté par les difficultés de terrain remontées par ces têtes de réseau. Elles ont cherché à construire ensemble et solidairement pour apporter des idées, des pistes, des solutions plutôt que des querelles. Ce qui était important c’est d’apporter des réponses aux personnes, dont celui du répit des familles dont le quotidien devenait difficile au bout de quelques semaines. Dans le travail de lien téléphonique, on identifiait des solutions de terrain transmises aux ARS, globalement on a plutôt bien travaillé avec elles. La cellule de crise de la DGCS fonctionne bien. Elle a laissé de la souplesse aux acteurs dans la recherche de solutions. Il a fallu imaginer, inventer, il est normal de laisser une marge au terrain. »
En Lozère, au début de la crise le pilotage était centré par l’ARS sur le sanitaire, le département a dû s’adapter : « Il a fallu rappeler, s’affranchir de la tutelle, explique Marie Lauze. On a la chance de la proximité. On a été préservé par cette capacité de vivre ensemble, on se parle et on débloque immédiatement. C’est une chance incroyable. » Les échanges avec l’Etat semblent s’être limités à une réunion à distance avec Sophie Cluzel : « On a un interlocuteur de l’ARS au niveau départemental, ce qui permet se sérier les problématiques via la plateforme Covid départementale qui répond aux questions pratiques et organisationnelles. Pour l’aide à domicile, l’essentiel était de ne pas perdre les usagers de vue. Des actions non essentielles ont été arrêtées pour continuer à assurer leur suivi. »
L’organisation était différente pour le secteur de l’aide à domicile. « La DGCS était joignable 7 jours sur 7 et 24h/24, rappelle Jérôme Perrin. Elle a diffusé très vite des instructions, mais ça ne répondait pas à la pénurie de masques. » Situation confirmée par Elsa Masson : « On avait des réunions tous les lundis avec la DGCS et le cabinet du secrétaire d’État à l’enfance, Adrien Taquet, mais très peu de contacts avec Sophie Cluzel; les difficultés ont été traitées au fur et à mesure. Mais soit l’aide à domicile n’était pas prioritaire, soit nos demandes n’étaient pas comprises. On a demandé une doctrine sur l’accès et l’utilisation des masques, parce que nos employeurs sont contrôlés par l’inspection du travail. » Une fiche-métier a été publiée le 20 avril et modifiée le 8 mai mais sans faire de distinction entre les besoins des différents publics qui reçoivent de l’aide à domicile : « On veut faire modifier cette fiche inapplicable et qui méconnait les besoins des personnes âgées, handicapées et des enfants. Le respect des gestes barrières est difficile dans des petits appartements alors que la fiche métier est opposable aux employeurs et aux personnels. Les documents peuvent se contredire selon l’administration qui les élabore. »
Et pour l’avenir ?
S’il est encore prématuré de faire un bilan de la crise sanitaire, quelques premiers enseignements peuvent déjà être relevés. En matière de pilotage, il a manqué une coordination entre les ARS et les Conseils Départementaux dans certains territoires, les établissements médico-sociaux sous double tutelle recevant des consignes parfois contradictoires : « A l’avenir, estime Gwénaëlle Sébilo, il semble qu’un pilotage des ARS en lien systématique avec les CD soit nécessaire pour dispenser des outils qui ne se démultiplient pas pour les établissements et services, et ne soient pas contradictoires avec les consignes diffusées par les départements. » De même, la communication devrait être améliorée, comme elle le relève pour l’accueil scolaire réservé aux enfants des personnels engagés contre l’épidémie pendant le confinement : « Il y a eu des refus dans certains territoires parce qu’on entendait soignants et pas médico-social, ce n’était pas très clair, une communication nationale imprécise. L’Uniopss avait demandé de lister les missions, ce qui aurait été plus clair. »
Communication qui concerne également les familles pour qu’elles soient bien informées et prennent des décisions de manière éclairée, et que ces informations soient accessibles dès le début d’une crise, ajoute Gwénaëlle Sébilo : « Un directeur d’établissement peut avoir des difficultés à absorber de multiples consignes parfois contradictoires; par exemple le rétablissement des visites des familles dans les EHPAD annoncé par le gouvernement la veille pour le lendemain avec des familles qui se présentent immédiatement à la porte d’établissements non préparés. Autre cafouillage (lire l’actualité du 6 avril 2020), l’élargissement du droit de sortir du domicile pour les personnes handicapées et leur accompagnant (demandé dès le début par des associations), annoncé le 2 avril par Emmanuel Macron pour les seules personnes autistes ou subissant des troubles psychiques liés à l’enfermement et la perte de repères : « J’ai immédiatement interpellé le CIH, reprend Gwénaëlle Sébilo, qui m’a répondu que toutes les personnes handicapées étaient concernées mais on ne l’a su que le soir. Sophie Cluzel s’est engagée pour rectifier le tir auprès du ministre de l’Intérieur. » Ce qui n’est pas le cas : aucun décret d’élargissement modifiant celui du 16 mars n’a été publié et les personnes qui ont été verbalisées devront payer leur contravention.
Les personnels d’aide à domicile devraient également être intégrés dès le début parmi les personnels dérogeant aux contraintes de déplacement. « Les services ont continué à intervenir sur les actes essentiels, avec la nécessité de s’adapter, relève Estelle Masson. Au début, il n’avait pas été instauré d’attestation professionnelle et des personnels ont été verbalisés par des fonctionnaires de police zélés, la question a été réglée au bout de 10-15 jours. Il y a eu des interventions décalées, des personnes en difficulté. » Jérôme Perrin le constate également en matière de distribution des équipements de protection : « Les professions non prioritaires vont avoir une obligation de fournir aux salariés des masques en tissu ou d’usage unique. Cette obligation n’existait pas, d’autant que les stocks étaient réquisitionnés par l’Etat, malgré l’obligation de protéger les salariés. »
La valeur de la vie.
Des pensionnaires d’établissements pour personnes handicapées ont-ils été refusés par des hôpitaux simplement parce qu’ils sont handicapés, sans que leurs chances de survie soient même évaluées ? Le directeur de l’association alsacienne Marie Pire, Pierrick Buchon, l’a vécu pour plusieurs usagers. « On avait anticipé la crise en activant notre plan bleu avant que l’ARS et le Conseil Départemental le demandent. On avait gardé les masques que nous avions acquis lors de la grippe H1N1, on n’était pas en difficulté pour le gel hydroalcoolique, on a pu fonctionner en attendant d’en recevoir d’autres. » Malgré cette préparation, le virus est entré dans un établissement avant le confinement via un salarié porteur sain. « Il n’a pas eu de chance, constate Pierrick Buchon. On a eu plusieurs malades en même temps. Quand il y a eu les pics épidémiques du mois de mars, on nous a dit au SAMU, ‘on est surchargés, on ne peut pas les prendre en charge’; et après le premier décès, j’ai informé l’ARS et envoyé un courriel, pris un rendez-vous téléphonique avec notre correspondant ARS qui m’a confirmé que les personnes âgées en EHPAD et les personnes handicapées ne pouvaient pas être prises en charge par les hôpitaux et resteraient chez nous avec un accompagnement médical de fin de vie avec un médecin. L’ARS nous a expliqué qu’il fallait désengorger. Quand on a eu deux décès, ça a fait grand bruit, les pompiers sont venus pour amener des patients à l’hôpital d’Altkirch et non plus à Mulhouse. »
Quatre des 34 résidents de la maison d’accueil spécialisée de Riespach sont morts, un drame qui a traumatisé usagers et personnels. Pour que de tels tris de patients ne se renouvellent pas, Pierrick Buchon formule une proposition : « En termes d’organisation, je pense qu’il faudrait que les publics fragiles bénéficient d’un service médical en cas de crise sanitaire afin d’apprécier leurs chances de vie. » S’il comprend que tous les malades ne pouvaient être hospitalisés au plus haut de la crise, il refuse encore et toujours un tri sur la seule base du handicap.
Laurent Lejard, mai 2020.