Question : C’est la troisième fois en 12 ans que le chantier de création d’une nouvelle branche de protection sociale est lancé, ce sera la bonne ?
Marie-Anne Montchamp : Si je vous réponds sans langue de bois, pourquoi on a toujours refusé l’obstacle, ce n’est pas parce qu’on ignorait la question, le choc du vieillissement. C’est qu’on ignorait l’ampleur des besoins du vieillissement. Parce que dès lors que l’on fait le choix de financer le risque par la solidarité, chacun se demandait comment s’adresser à la Nation pour faire accepter des prélèvements ou des cotisations accrus. Faute d’avoir des réponses, chaque fois on a renoncé. On s’est empêtré avec la grille AGGIR, on a exclu de la réflexion les personnes handicapées. Résultat, le modèle proposé à nos concitoyens n’était pas désirable, et il ne l’est toujours pas. Ce que l’on n’a pas compris également, c’est que derrière la demande de nos concitoyens, face à la situation de leurs parents très âgés et qui se traduisait par « on veut des places », on n’avait pas identifié qu’en réalité ils attendaient une réponse pour que leurs parents en perte d’autonomie disposent d’une solution appropriée, mais pas nécessairement dans un établissement. La crise du Covid a été décisive pour faire apparaître la fragilité de notre modèle actuel : avec un peu d’audace, on a franchi le pas.
Question : La création de la branche Autonomie figure dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2021, une loi spécifique est-elle toujours envisagée ou nécessaire ?
Marie-Anne Montchamp : Inscrire une branche nouvelle dans la protection sociale, ça n’a l’air de rien aujourd’hui mais ce sera énorme à l’échéance 2030 quand le choc du vieillissement sera pleinement sensible. Le grand dessein, est d’inscrire l’autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap dans une branche spécifique. Il y avait de grands opposants à cette idée, les partenaires sociaux étaient parfois frileux et auraient, pour certains, voulu garder le statut paritariste de la Sécu. Il a fallu en effet réaffecter 28 milliards d’euros, grâce à la promesse de recevoir le produit de 0,15 point de CSG à partir de 2024 pour permettre le décollage à l’équilibre de la branche. Une annexe budgétaire va retracer toutes les dépenses de la Nation sur l’autonomie, et montrer qu’avec un nouveau périmètre au sein de la protection sociale, on peut faire mieux. Mais ce que le PLFSS 2021 ne dit pas, c’est comment la branche va supporter le choc du vieillissement. Et il est urgent de redéfinir le financement de la politique handicap, dont l’Allocation aux Adultes Handicapés et une Prestation de Compensation du Handicap étendue. Cela incombera aux gouvernements actuel et futur. On est au milieu du chemin. L’édifice serait fragilisé sans une loi grand âge. Elle doit améliorer le périmètre de la branche, définir la gouvernance territoriale, poser les bases d’un financement pluriannuel incluant une actualisation de la politique du handicap.
Question : Pour vous, ce qui reste d’actions de l’État en faveur des personnes handicapées doit être confié à la nouvelle branche Autonomie ?
Marie-Anne Montchamp : Je crois profondément que l’on doit intégrer l’AAH dans la politique de l’autonomie. J’ai été très attentive à tous les aller-retour entre les associations et le secrétariat d’État aux Personnes handicapées. La branche Autonomie renforcera la position de ces associations et assurera la représentation des personnes handicapées dans la gouvernance de l’institution. Elle doit également stimuler la représentation des personnes âgées, qui ne disposent pas, comme c’est le cas pour le handicap, d’associations nationales aussi fortement représentatives. Je suis pleine d’admiration pour le conseil de la CNSA, et l’engagement des associations et des parties prenantes. On a besoin d’un cadre politique pour l’âge, alors qu’actuellement nous restons limités à une approche technique, organisationnelle et relégatoire. Le débat sur la citoyenneté n’a pas eu lieu dans la politique de l’âge. Alors que pour les personnes handicapées, il y a eu des progrès acquis grâce aux associations et à un partenariat social de qualité.
Question : Comment la présidente de la CNSA que vous êtes a-t-elle vécu la crise sanitaire et le confinement ?
Marie-Anne Montchamp : On a souvent atteint la limite du scandale. Quand vous êtes atteint de la maladie d’Alzheimer, en EHPAD clustérisé, vous n’existez pas. Le président de la Fédération APAJH, Jean-Louis Garcia, a publié chaque jour le nom des victimes du coronavirus, dans les établissements. Je l’ai relayé car il rappelait ainsi l’existence de ces personnes, leur parcours. Le Conseil de la CNSA a publié une note éthique en plein confinement. Le sujet est de remettre en question, une vision technocratique, normative, descendante notamment dans la mise en oeuvre du confinement. Pendant la première semaine de confinement, j’ai recueilli tellement d’appels, de témoignages de la réalité de terrain… et la deuxième semaine, le conseil de la CNSA s’est organisé en cellule d’urgence. J’ai reçu des demandes parfois désespérées, tiré toutes les sonnettes pour dépanner, trouver des solutions. J’ai constaté une inertie de 15 jours entre les besoins et les réponses. Tous les coups de fil après 22 heures étaient des appels au secours. Ce que nous avons constaté, c’est que les établissements qui s’en sont le mieux sortis sont ceux qui ont fait comme ils pensaient utile de faire, qui se sont souvent affranchis des règles. C’est comme cela que le système devrait fonctionner : par la prise en compte de la personne en anticipant y compris les événements catastrophiques qui peuvent advenir, canicule, pandémie, risque environnemental. Cette crise a été un laboratoire pour l’action future.
Question : Quels enseignements peut-on tirer de cette crise pour que la nouvelle branche Autonomie soit au service des personnes concernées ?
Marie-Anne Montchamp : Il faut des gages. Et pas des conseils de vie sociale pour la forme ou des Conseils Départementaux de la Citoyenneté et de l’Autonomie potiches. Il s’agit de prévoir, organiser, structurer la place des personnes et de ceux qui les représentent. Ainsi, intégrer le handicap dans la nouvelle branche, ce n’est pas une affaire de périmètre ou de donjon, mais un véritable enjeu pour une politique du handicap ouverte sur la politique de protection sociale contemporaine. Quand on regarde le bazar qu’a été le projet de Revenu Universel d’Activité, on mesure ce besoin d’être conséquent et de reprendre des fondamentaux en les affirmant. Certains de nos concitoyens ne peuvent pas accéder comme d’autres à l’emploi, il faut être en capacité de leur apporter une compensation dans l’ordre des ressources, par l’AAH. Si l’on veut vraiment que l’égalité des chances rejoigne l’égalité républicaine.
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2020.