« C’est une grande victoire pour les clients handicapés ! » C’est ainsi que l’avocat Pascal Nakache qualifie l’arrêt rendu le 25 novembre dernier par la Cour de Cassation. Il annule pourtant l’indemnisation accordée à son client Kevin Fermine, auquel la Cour d’Appel de Toulouse (Haute-Garonne) avait en juin 2019 accordé 5.000 euros de dommages et intérêts pour son préjudice moral : il se plaignait de conditions indignes de voyage, marquées par des WC inaccessibles et l’absence de service à bord. En effet, les clients en fauteuil roulant sont placés dans les TGV et trains grandes lignes (Intercités, Teoz, etc.) dans un compartiment spécifique, n’ont accès qu’au WC le plus proche dont le fonctionnement dépend d’un entretien parfois défaillant, et ne peuvent aller boire ou manger à la voiture-bar, éloignée et inaccessible. De plus, la direction de la SNCF refuse obstinément d’assurer à ces clients un service de compensation à la place, comme elle nous l’écrivait en juillet 2017. En clair, elle piétine une obligation légale définie depuis 13 ans au niveau européen !
« La Cour de Cassation a constaté qu’il n’existait pas de dérogation à cette obligation, commente Maître Pascal Nakache. Le délai de 5 ans prévu par le règlement européen du 23 octobre 2007 n’a pas été renouvelé, la SNCF doit dès maintenant respecter aux dispositions des articles 22 à 24. Elles consistent pour l’essentiel à fournir une assistance gratuite aux voyageurs pour leur permettre d’embarquer dans le train, mais également à bord du train. L’article 23 précise on entend par assistance à bord les efforts faits, dans la mesure du raisonnable, pour permettre à une personne handicapée ou à une personne à mobilité réduite d’avoir accès aux mêmes services à bord du train que ceux dont bénéficient les autres voyageurs si son handicap est tel ou sa mobilité est réduite à un point tel qu’elle ne peut avoir accès à ces services de façon autonome et sûre. » Pourtant, la Cour de Cassation a renvoyé dos-à-dos Kevin Fermine et la SNCF devant une autre Cour d’Appel, celle de Bordeaux (Gironde), pour régler leur litige. « La Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse en ce qu’elle a écarté l’existence d’un manquement de la SNCF dans l’assistance aux voyageurs handicapés, poursuit Pascal Nakache. Ça signifie que toutes les personnes handicapées ou à mobilité réduite peuvent invoquer cette obligation d’assistance de la SNCF dès maintenant, non seulement pour embarquer mais également lorsqu’elles sont à bord pour bénéficier comme tous les autres voyageurs de tous les services de bord. » Les voyageurs handicapés sont en droit de faire appel au personnel de bord pour se faire servir boissons, nourriture et revues, et manoeuvrer la chaise de bord qui équipe les TGV et Intercités dont les WC sont trop étroits pour y pénétrer sur son propre fauteuil roulant.
La Cour d’Appel de Bordeaux sera saisie sur ce point d’une demande d’indemnisation des préjudices de Kevin Fermine, dont en connaîtra le résultat dans un à deux ans. « L’arrêt de la Cour de Cassation va certainement contraindre la SNCF à revoir sa position. Ce sera d’autant plus le cas si la Cour d’Appel de Bordeaux la condamne à des dommages et intérêts, parce qu’elle se rendra compte qu’à défaut de mettre en place un service de bord, elle risque de crouler sous les condamnations. » Là, Pascal Nakache apparaît plutôt optimiste : aucun client ou association de personnes handicapées n’a engagé d’action à l’encontre de la SNCF sur ce motif. « L’enjeu, c’est d’informer les personnes concernées. Si elles se retrouvent confrontées dans le train à un défaut d’assistance, elles doivent le faire constater dans des conditions non équivoques, autant que possible par constat d’huissier pour permettre une action en justice. » Sauf qu’en pratique on ne voyage pas accompagné d’un huissier. « Sur les modalités de la preuve, conclut Pascal Nakache, Kevin Fermine avait très bien fait les choses parce qu’il voyage fréquemment. J’entends que pour le voyageur lambda c’est compliqué, mais il faut fournir des attestations dans la forme légale, en recueillant les coordonnées des témoins pour leur envoyer ensuite un modèle d’attestation légale à remplir avec des faits précis, circonstances, heure, lieu, en joignant copie de la pièce d’identité de chaque témoin. » Il est en effet difficile d’apporter la preuve d’un tel manquement, photos et vidéos étant toujours soumis à contestation, mais c’est à ce prix que le droit des personnes handicapées à voyager dignement et avec les mêmes services que les valides sera respecté.
Laurent Lejard, décembre 2020.