Combien d’élèves sont-ils privés de l’aide scolaire pourtant attribuée par leur Maison Départementale des Personnes Handicapées ? Impossible de le savoir mais ce chiffre est estimé dans deux départements dans lesquels des parents s’organisent : 80 Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH) manquants en Essonne, 60 dans les Côtes d’Armor. Deux départements dans lesquels des parents ne se contentent plus d’attendre que l’administration de l’Éducation Nationale trouve le budget nécessaire pour remplir sa mission légale d’accueil et d’enseignement des élèves handicapés.
« On accompagne des familles pour que des élèves disposent d’un AESH, justifie Samir Alioua, président départemental de la Fédération des conseils de parents d’élèves de l’Essonne (FCPE 91). Il y a un déficit de 80 AESH, et plus de 200 élèves laissés pour compte selon les chiffres du directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN). Huit familles l’ont mis en demeure suite au non-respect de notifications de la MDPH. » C’est cette administration qui apprécie le besoin et le niveau d’aide d’élèves handicapés, puis le notifie à l’Éducation Nationale qui est obligée d’appliquer chaque décision sans la discuter. C’est la MDPH qui attribue un AESH individuel consacrant tout son temps de travail à un seul élève, ou mutualisé intervenant quelques heures par semaine auprès de plusieurs enfants ou jeunes. « Nous souhaitons dénoncer cette carence, poursuit Samir Alioua, et mettre un coup de projecteur. D’année en année les demandes augmentent et l’Éducation Nationale ne parvient pas à les couvrir faute de recrutement. Là ou un élève a son AESH individualisé, il est mutualisé de fait. » La FCPE 91 constate qu’en pratique l’Administration gère la pénurie en enlevant des heures d’aide scolaire à des élèves pour que d’autres en disposent, pratique repérée dans de nombreux départements et fréquemment accompagnée d’un discours culpabilisant en direction des familles : on enlève des heures d’accompagnement scolaire pour que l’enfant ou le jeune acquière de l’autonomie, c’est pour son bien…
Plus de 200 élèves concernés dans l’Essonne
L’absence d’AESH est la situation subie actuellement à Morsang-sur-Orge par Naïm, 8 ans, qui vit avec des troubles du déficit de l’attention et est hyperactif, diagnostiqué au printemps 2019. Immédiatement, ses parents ont saisi la MDPH de l’Essonne d’une demande d’orientation et soutien scolaire, accordé le 26 juin 2019. Un Auxiliaire de Vie Scolaire mutualisé est attribué pour les années scolaires de septembre 2019 à août 2020, et tout s’est bien passé pendant la première année, celle du Cours Préparatoire : « Il a réussi l’année dernière à atteindre le niveau moyen de sa classe de CP, dans la période pré-Covid », explique sa maman, Malika Benkemouch. Mais en septembre dernier, si Naïm a intégré la première année de Cours Élémentaire avec une AESH, cela n’a duré qu’une semaine : « L’AESH a été réorientée par le Pôle inclusif d’accompagnement localisé (PIAL) vers une enfant autiste intégrée dans la même classe que lui, et il se retrouve sans accompagnement. Une autre AESH a été nommée mais elle est partie en longue maladie, n’est pas remplacée et laisse quatre élèves sans accompagnement. Or Naïm a besoin d’être encadré, pour qu’il se concentre et ne se répande pas dans la classe ». Alors les parents ont adressé un courriel le 2 octobre 2020 au DASEN en lui rappelant la situation de leur fils, comme l’explique Malika : « Notre fils a mal vécu cet épisode et, en tant que parents, nous ne comprenons pas qu’on puisse se retrouver dans une situation telle qu’il faille apporter une stabilité à un enfant en situation de handicap en l’enlevant à un autre. Nous ne jugeons pas la décision cornélienne prise par l’établissement mais nous ne comprenons pas que l’Éducation Nationale ne mette pas les moyens humains nécessaires à accompagner les élèves ayant une reconnaissance MDPH, dès la rentrée scolaire. Cela nuit à l’intégration de ces enfants et à leur entrée dans les apprentissages, surtout après une période de crise sanitaire, où nous avons assuré ‘l’école à la maison’ sans avoir de réelles compétences pour le faire. » Les parents de Naim ont été informés mi-janvier 2021 que le recrutement d’AESH était difficile, qu’il n’existait pas de remplaçants à la différence des enseignants, et qu’une campagne de recrutement devait être lancée en février avec des prises de poste en mars. Mais au début de ce mois, personne n’a été nommé. L’état de santé mentale de Naim s’est entre-temps dégradé : tentatives de fuir l’école et mise en danger, entre autres signaux alarmants de son mal-être.
« L’Éducation Nationale a joué la montre avec les arguments avancés, déplore Malika Benkemouch. En attendant, mon fils a perdu du temps d’accompagnement auquel il avait droit. Tout un système se fait embarquer par le peu de moyens mis à disposition des enfants en situation de handicap, MDPH comprise : le système n’est plus centré autour des enfants mais autour des moyens dont disposent les PIAL. » Le 27 novembre 2020, les parents ont mis dans les formes réglementaires le DASEN en demeure, qui leur a répondu le 9 février dernier : « L’AESH reprendra son poste et, dès son retour, elle poursuivra l’accompagnement auprès de votre fils. Je tiens à vous assurer que les responsables des PIAL travaillent actuellement pour trouver une solution ». Visiblement, ils n’y sont pas parvenus, et le DASEN n’envisage pas de recruter un AESH remplaçant. Dans l’Essonne, sept autres parents ont mis en demeure le DASEN qui risque d’affronter dans les prochaines semaines une procédure en référé au Tribunal Administratif, la FCPE bouclant actuellement la requête.
Presque autant dans les Côtes d’Armor
Dans ce département breton, la situation est plus difficile encore : 60 enfants sont en attente d’un AESH alors que la population est moitié moindre qu’en Essonne. Ici, ce sont des parents qui viennent de se regrouper en Collectif. « Nous sommes quatre parents d’enfants en attente d’AESH dans la même école, explique Karine Hus. L’AESH ‘titulaire’ est en maladie depuis septembre dernier sans être remplacée. Elle intervenait pour deux enfants, un troisième a été notifié début octobre et ma fille en janvier. » Dans ce territoire rural, pas de PIAL ni de recrutement : « La directrice de l’école a pris ma notification en me répondant qu’il n’y avait pas de budget. » Ce qu’a confirmé le DASEN dans sa réponse à des parents : « La situation budgétaire très contrainte ne permet pas, pour le moment, de procéder au remplacement de ce personnel. Croyez bien […] que mes services s’attachent à trouver pour chaque enfant la solution permettant de lui apporter l’aide reconnue nécessaire. »
« La mairie de Plouër-sur-Rance nous soutient, reprend Karine Hus. On a décidé de faire un recours administratif à l’académie. » Cette mise en demeure vient de partir, le DASEN a deux mois pour y répondre sous peine, là encore, de se retrouver au Tribunal Administratif. Et comme la création du collectif parental a été relatée dans Ouest-France, d’autres parents se manifestent : ce n’est pas avec quatre familles que le DASEN va devoir se débattre mais avec plusieurs dizaines, et les députés, sénateurs, élus locaux et même Brigitte Macron qu’elles ont saisis. D’autant que des personnels sont recrutables tout de suite. « Je connais deux AESH qui n’ont pas d’affectation », précise Karine Hus. Elle évoque également la situation d’un élève de l’école de Trélat, à Taden : « Des parents ont fait des pieds et des mains et ont réussi à obtenir un service civique pour aider leur enfant, ainsi qu’un ordinateur parce qu’il ne peut pas écrire à la main même s’il a toutes ses capacités intellectuelles. Un autre enfant en CM2, notifié depuis longtemps par la MDPH, n’a plus d’AESH ; il en stress complet, perd ses repères, il en perd ses cheveux, somatise, il se détruit parce qu’il n’a plus cette aide ; la maman est désemparée. L’institutrice est très investie mais elle a 26 autres élèves à gérer. » Ce n’est pas pour le confort de leurs enfants que des parents se battent pour l’accompagnement scolaire, mais pour leur santé mentale mise à mal par le surhandicap que leur fait subir l’Éducation Nationale.
Laurent Lejard, mars 2021.