Quelle est l’action conduite par la ville de Paris en direction des personnes handicapées à l’échéance 2024, année où la capitale va recevoir le monde à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques ? Quels sont les objectifs municipaux, les chantiers en cours, leur avancement et l’impact sur le quotidien des parisiennes et parisiens handicapés ? A ces questions, l’adjoint au maire en charge du handicap a refusé de répondre ; s’il a annoncé le 16 juin vouloir démissionner de cette délégation pour travailler à plein-temps dans le privé, il avait été sollicité pour interview le 16 mai dernier, un mois avant. C’est l’opposition municipale, par la voix d’Anne-Claire Tyssandier, conseillère de Paris et du 15e arrondissement, également Directrice de cabinet adjointe du Conseil Régional Île de France, qui expose l’évolution prévisible de Paris.
Question : Comment imaginez-vous l’évolution du quotidien des Parisiennes et Parisiens à l’échéance des Jeux de Paris 2024 ?
Anne-Claire Tyssandier : J’espère que la ville sera déjà plus accessible, plus inclusive. Pas uniquement aux handicaps moteurs, mais par ce qu’on appelle l’accessibilité universelle, profitant à tous les Parisiens, qu’ils soient âgés, ou avec des enfants. On voit bien qu’aujourd’hui la ville, on ne cesse de le dénoncer et de trouver des solutions, est parfois encore très hostile, même si des progrès ont été faits. Que ce soit les nids de poules sur les trottoirs, les déchets, les encombrants, les passages piétons bouchés, la vie quotidienne peut être compliquée pour les personnes en situation de handicap ou âgées. J’espère que la maire de Paris va se saisir de la formidable opportunité que sont les Jeux mais je trouve que c’est indépendant. La première des libertés, c’est la mobilité au quotidien ; sortir dans la rue, faire ses courses, aujourd’hui c’est compliqué. On a eu de cesse de demander une meilleure coordination des chantiers sur la voirie et les trottoirs [au nombre de plusieurs milliers NDLR.] Les opérateurs de câble, d’eau, etc., chacun fait ses travaux, on ne rebouche pas forcément partout, c’est la responsabilité de la maire de Paris. J’attends l’engagement d’un grand plan de réfection de la voirie et de protection des piétons, parce que, malheureusement, ce n’est pas le cas actuellement comme de récents drames l’ont montré. Des passages piétons sont dangereux, pas protégés ni signalisés. Il faudrait s’appuyer davantage sur les habitants et la concertation locale, comme je l’ai vécue dans le 15e arrondissement ; on avait créé pendant le précédent mandat un conseil local du handicap organisant les remontées d’information sur les difficultés.
Question : La maire de Paris, Anne Hidalgo, a annoncé de nombreux chantiers dont la création de 17 quartiers d’accessibilité augmentée. Quel est votre sentiment au sujet de cette initiative ?
Anne-Claire Tyssandier : Je sais que l’initiative a été lancée en juin 2019. On est en juin 2022 et on a aucune information sur ces quartiers. J’ai demandé à notre Directeur Général des Services si dans le 15e on avait des éléments d’information, il m’a répondu « non. » D’abord, je ne sais pas vraiment ce que ça veut dire, je crois que c’est du marketing. Et quand bien même, actuellement ils n’ont pas de réalité. Sur un autre sujet, le ticket handi de stationnement qui pénalise de nombreux usagers [lire l’actualité du 3 juin 2022 et cet article], j’ai rencontré les adjoints David Belliard et Jacques Galvani, je leur ai proposé il y a trois mois de créer un groupe de travail trans-partisan. Ils m’ont répondu : « Oui, au prochain Conseil de Paris il sera mis en place. » Le « prochain conseil » a eu lieu il y a quinze jours et rien n’est mis en place. Les élus d’opposition pourraient apporter des idées, être moteurs et travailler ensemble mais on ne nous entend pas et je me demande s’il y a une réelle volonté de faire changer les choses.
Question : En tant que média, il nous est difficile d’obtenir des informations sur l’avancement des actions visant les personnes handicapées. De quels éléments disposez-vous ?
Anne-Claire Tyssandier : Pas beaucoup. Par exemple sur le ticket handi, j’ai lu des chiffres assez basiques communiqués dans un rapport, j’ai demandé des compléments que je n’ai pas eu. Il n’y a pas de transparence, on n’a pas de données permettant de juger l’activité dans un secteur donné, c’est un vrai problème à Paris.
Question : En 2024 les transports parisiens seront semblables à ceux d’aujourd’hui, une ligne de métro et le réseau bus accessibles, mais avec les aléas dus aux embouteillages et aux pannes des équipements d’accessibilité. A votre connaissance, quelle action la ville a-t-elle menée auprès d’Île-de-France Mobilités pour améliorer une situation dégradée ?
Anne-Claire Tyssandier : Je ne sais pas ce que la ville a demandé à IDF Mobilités mais je peux vous parler de ce que fait la Région. Des investissements massifs ont été effectués pour l’accessibilité des transports régionaux. Fin 2021, il y avait près de 180 gares accessibles, et 550 lignes de bus sur un objectif de 860. L’objectif de passer de 38% à 60% l’accessibilité de l’ensemble du réseau sera tenu. Les lignes A et B du RER qui traversent Paris sont accessibles…
Question : Mais pas en autonomie, il faut être aidé par des personnels et ça continuera au moins jusqu’en 2026.
Anne-Claire Tyssandier : Le métro est accessible aux autres types de handicaps, notamment visuel et auditif. IDF Mobilités a réalisé une étude sur l’accessibilité de la ligne 6, avec un coût d’un milliard d’euros que la Région a proposé à l’État et la ville de Paris de financer chacun pour un tiers. L’État et Paris n’ont pas répondu.
Question : Donc le métro de Paris, construit entre celui de Londres et de Berlin qui sont partiellement accessibles, restera durablement le seul métro européen interdit aux personnes handicapées motrices ?
Anne-Claire Tyssandier : Non, je ne pense pas qu’il faille dire ça. Il faut avancer étape par étape. Un gros travail est en cours sur les ascenseurs et escaliers mécaniques, c’est un élément de réponse. Pour en avoir discuté avec des associations, leur demande ne porte pas sur chaque station mais de travailler sur des parcours, une idée intéressante et qui évolue de plus en plus du côté d’IDF Mobilités. Vous avez évoqué les bus, dont la vitesse commerciale n’a fait que baisser à cause des embouteillages. La politique de création de pistes cyclables élaborée sans concertation a contribué aux difficultés de circuler dans Paris. Ça impacte clairement l’accessibilité des réseaux de transport.
Question : Des grands projets de voirie sont lancés avant les Jeux et seront poursuivis après, réfection des Champs-Elysées, piétionnisation du secteur Trocadéro-Tour Eiffel, sans que l’on sache comment les usagers handicapés seront accommodés. Quelles sont vos informations sur ces projets ?
Anne-Claire Tyssandier : Aucune information, et sur le projet Trocadéro-Tour Eiffel, les élus de la droite parisienne sont totalement opposés. Au-delà du coût pharamineux, il y a des enjeux de mobilité. Dans le premier projet présenté, la circulation sur le Champ-de-Mars était coupée y compris celle des bus ! C’était priver de mobilité le site le plus visité de France, et indirectement les personnes en situation de handicap allaient être encore plus pénalisées que les autres. Malheureusement, dans son plan de mobilité la ville de Paris ne pense ni aux personnes en situation de handicap ni aux piétons.
Question : Sollicité à plusieurs reprises, l’adjoint au Handicap refuse de s’exprimer sur ces sujets. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Anne-Claire Tyssandier : Un peu de dépit et d’incompréhension. Je pense que c’est quand même son rôle. Il n’est pas agréable de se faire challenger et sur le handicap, on sait tous que ça ne va jamais assez loin pour les associations d’usagers. Mais je trouve dommage que cet adjoint ne s’exprime pas.
Laurent Lejard, juin 2022.