Élu en décembre 2022 à la présidence de l’Association des Directeurs de Maisons Départementales des Personnes Handicapées, Jean Dutoya dirige depuis deux ans celle de l’Essonne dont les indicateurs de qualité sont perfectibles, même si elle a traité une grande partie du stock de dossiers en retard en augmentant de 70% cette année son nombre de décisions.
Question : Quels sont les effets de l’octroi de droits à vie sur l’activité des Maisons Départementales des Personnes Handicapées ? Traitent-elles plus, autant ou moins de dossiers ?
Jean Dutoya : Concernant l’évolution de la demande en 2023, nous ne disposons pas d’éléments consolidés au niveau national à ce stade. Néanmoins, dans les échanges avec les différents collègues directeurs de MDPH, ceux qui décrivent une baisse sont très rares. Dans l’Essonne par exemple, on constate une hausse de 4% sur la période de septembre 2022 à juillet 2023 par rapport à la même période l’année précédente. La plupart des MDPH décrivent des évolutions de cet ordre-là, parfois même des hausses à deux chiffres. La tendance du nombre de dossiers est donc plutôt à la hausse. L’octroi des droits sur une longue durée ne produit pas encore d’effet majeur parce que leur création est récente, en 2019 : la baisse de nombre de demandes commencera à se faire sentir entre 5 et 10 ans après, donc entre 2024 et 2029. Et tous les droits liés au handicap ne sont pas ouvrables à vie, ce qui fait qu’une personne pourra solliciter d’autres demandes, comme l’orientation en établissement médico-social. D’autre part, les droits au handicap se sont diversifiés, et c’est une bonne chose, dont la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé et les nouvelles Prestations de Compensation du Handicap parentalité et surdicécité ; des personnes qui n’avaient pas droit avant, ou de manière limitée, peuvent faire une nouvelle demande. Les MDPH reçoivent plus d’un 1,7 millions de personnes par an, on peut pronostiquer que ce chiffre sera en hausse en 2023 et 2024.
Question : La réforme de l’emploi actuellement examinée au Parlement remplacera Pôle Emploi par France Travail, les Cap Emploi passant sous l’égide de ce nouvel organisme qui assurera le premier accueil de tous les travailleur handicapés demandeurs d’emploi. Les MDPH, dès lors qu’elles auraient attribué une Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé, ne serviraient plus qu’à avaliser une orientation vers un Établissement et Service d’Aide par le Travail. Qu’en pense l’ADMDPH ?
Jean Dutoya : C’est une évolution qui nécessite d’être testée dans les territoires, parce qu’il y a beaucoup de sujets qui se posent à différents niveaux, en termes de parcours des personnes, de capacité de Pôle Emploi et des Cap Emploi, etc. Ce qui est sûr, et une bonne chose soutenue par l’ADMDPH qui militait en ce sens depuis longtemps, c’est que le service public de l’emploi sera plus accessible pour des personnes en situation de handicap qui voudraient accéder aux emplois les plus adaptés au regard de leurs capacités. Il faut que la société soit accessible, et ce n’est pas parce qu’on aurait une RQTH ou une orientation en ESAT qu’il faudrait être exclu du service public de l’emploi. La situation de handicap doit créer des droits supplémentaires, et non pas des exclusions. Il est clair qu’au niveau de Pôle Emploi, il y aura de la ressource concernant l’analyse de l’employabilité de la personne. Mais la compétence d’analyse globale de la situation de la personne au niveau médical, familial, social, etc., c’est quelque chose qui demeure au niveau de la Maison Départementale des Personnes Handicapées. Ce qu’il faut, c’est pouvoir bien travailler les complémentarités entre les deux. Aujourd’hui, l’évaluation passe par des équipes pluridisciplinaires qui conjuguent des personnels de la MDPH et de Pôle Emploi, c’est quelque chose à maintenir.
Question : A ce sujet, le Haut-Commissaire Thibault Guilluy chargé d’une mission de préfiguration de France Travail évoquait en avril dernier « l’idée d’investir dans des plateformes d’évaluation plus structurées et avec le médico-social pour orienter vers les meilleures solutions », plateformes pluridisciplinaires qui ne figurent pas dans le projet de loi. Comment un conseiller généraliste de France Travail pourrait apprécier un travailleur handicapé avec toute sa diversité, ses aptitudes et incapacités ?
Jean Dutoya : A mon sens, il n’y a pas besoin de la loi pour créer des plateformes. Ça relève de choix d’organisation et locaux. Thibault Guilluy est intervenu fin juin 2023 au séminaire des directeurs de MDPH, on a pu débattre de ces éléments là. Ce qui était entendu, c’est un système de conventionnement local qui permettra de définir les lignes de partage, de fonctionnement, plateformes ou autres dans chacun des territoires.
Question : Mais cela pourrait générer des inégalités de traitement territorial ?
Jean Dutoya : C’est une question de point de vue, mais ce n’est pas parce que c’est différent entre territoires que c’est inéquitable. Des adaptations aux territoires sont positives, liées à des ressources, des compétences, des moyens, des spécificités, donc il faut à chaque fois essayer d’être assez fin pour voir sur quels sujets on veut de l’homogénéité sur tous les territoires, et sur quels sujets il faut qu’il y ait de l’adaptation ; peut-être qu’à des endroits ce sont des plateformes, autre chose ailleurs, et que malgré tout le service rendu soit équivalent pour l’usager.
Question : Un dernier point concernant le futur France Travail, l’orientation des demandeurs d’emploi par algorithme. Elle est employée au Royaume-Uni et appliquée aux travailleurs handicapés pour apprécier leur incapacité et leur droit à prestations ou orientation professionnelle, cela s’est avéré à ce point catastrophique que la société française Atos Origin chargée de déployer ce système a été répudiée en 2014.
Jean Dutoya : Je sais que différents services publics de l’emploi en Europe et à l’international utilisent des algorithmes. En France dans l’immédiat, je n’ai pas connaissance d’utilisation d’algorithmes pour orienter, ni les travailleurs handicapés ni d’autres personnes. Il y a peut-être des réflexions avec des Départements sur le RSA, de façon plus ciblée pour les orienter vers l’accompagnement social et professionnel. L’orientation par algorithme ne nous a pas été présentée.
Question : Lors de la Conférence Nationale du Handicap, il a été annoncé le 26 avril dernier que l’administration de l’Éducation nationale fournirait dès 2024 la réponse de premier niveau en matière d’attribution de matériel pédagogique adapté, de personnel d’accompagnement scolaire et d’orientation vers l’éducation spécialisée. Cela veut-il dire que les MDPH ne seraient plus décisionnaires ?
Jean Dutoya : Il y a la volonté que l’Éducation nationale soit effectivement plus accessible, et j’aurai le même discours que pour le service public de l’emploi. C’est une bonne chose que l’Éducation nationale puisse apporter une réponse de premier niveau en matière de matériel adapté et de personnel d’accompagnement. Pour l’orientation, cela dépend de ce que vous entendez : vers une classe Ulis ou également les IME, les ITEP, tous les établissements et services médico-sociaux ? En tout cas, l’Éducation nationale n’interviendrait pas sur l’orientation vers le médico-social, et donc il s’agit bien d’une réponse de premier niveau, quand il y a un besoin avéré, évident, partagé dans la communauté éducative pour apporter une réponse rapide. Cela n’exclut pas que la MDPH puisse être saisie, soit pour infirmer une décision de l’Éducation nationale, ou que la demande de la famille soit faite en première intention directement auprès de la MDPH en même temps que sa demande d’allocation par exemple. Cela va élargir le champ des possibles. [Le projet de loi de finances pour 2024, publié après cet entretien, transfère effectivement dans son article 53 cette réponse de premier niveau, mais confie à une nouvelle commission départementale spécifique l’examen des recours des familles contestant une décision de l’administration territoriale de l’Éducation nationale NDLR]
Question : Le Gouvernement a annoncé la création d’un service public départemental de l’autonomie, compétent en matière d’inclusion, d’adaptation de l’habitat et d’accompagnement social qui laisse l’impression qu’il serait un guichet unique pour les personnes âgées ou handicapées faisant double emploi avec la MDPH…
Jean Dutoya : Les MDPH font partie des quatre acteurs centraux d’un service public de l’autonomie, et si je le dis autrement, il ne peut y avoir de service public de l’autonomie s’il n’y a pas ces quatre acteurs que sont le Département, l’Agence Régionale de Santé, la MDPH et et la Préfecture. Pour moi, les MDPH sont au coeur du dispositif, c’est l’illustration qu’elles sont complètement dans le circuit et la stratégie du Gouvernement pour l’offre de service national telle qu’elle souhaite être améliorée.
Question : Pour conclure, quel avenir entrevoyez-vous pour les MDPH ?
Jean Dutoya : Un aspect que vous n’avez pas relevé ici, et qui est pourtant dans la CNH la première mesure de simplification pour l’accès au droit des personnes, c’est le renforcement de l’accompagnement des personnes en situation de handicap et leurs aidants, avec des primo rendez-vous qui seraient proposés aux personnes qui sollicitent pour la première fois des droits liés au handicap, et le référent de parcours. Ce sont deux nouveautés dévolues aux MDPH. C’est la volonté d’élargir, d’intensifier, de systématiser l’accompagnement des personnes. Le public est bien défini : ceux qui sont confrontés pour la première fois au handicap et qui ont besoin de comprendre, s’orienter, repérer les bons interlocuteurs, avoir les bonnes clés de réponse. Je trouve que les MDPH sont bien positionnées dans le rôle d’être concentrées sur les besoins de la personne, pour avant tout évaluer ces besoins, et définir les réponses à y apporter. Il y a un nouveau challenge pour les MDPH : dans une société qui se veut plus accessible tant à l’école que dans l’emploi, les MDPH vont devoir interagir encore plus avec le service public de l’emploi et l’Éducation nationale, et en même temps être toujours au coeur des besoins de la personne.
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2023.