Un humoriste handi de plus, penserez-vous, c’est tendance ! Bien sûr, les zanzans seuls en scène micro en main se multiplient comme des petits pains ces dernières années, tournant leur vécu en dérision : parfois ça passe, souvent ça lasse. Dans ce registre, Valentin Reinehr s’en sort plutôt bien.
Il n’est pas né bègue, mais l’est devenu à l’âge de 4 ans, après plusieurs chocs émotionnels. Cela ne l’a pas empêché d’être attiré par le spectacle.
« Depuis l’enfance, je suis passionné de cinéma et j’ai fait du théâtre amateur de 14 à 26 ans. L’envie de faire un spectacle est venue très rapidement. » Mais c’est dès l’enfance qu’il a intégré et assumé son bégaiement : « Je l’ai plutôt vécu de manière très positive. Tout de suite ma mère m’a dit il ne faut pas que tu en souffres, si on se moque de toi tu en remets une couche. C’est ce que j’ai fait toute ma vie. A l’école, comme les autres enfants ont vu que j’en rigolais, ils riaient avec moi et pas contre moi. J’ai eu beaucoup de chance qu’on m’accepte ; au lieu d’être un bouc-émissaire, j’étais leur meilleur ami. »
Il a arrêté ses études en première année de psychologie : « A l’époque j’étais accompagnateur d’un centre social et la directrice m’a demandé si je voulais faire des études d’assistant social, elle était prête à financer ma formation. J’ai refusé, cela ne me convenait pas, j’avais besoin de réaliser mon rêve sinon je le regretterais toute ma vie. Alors je suis allé à l’École de l’Humour et des Arts Scéniques, à Paris. » Oui, l’humour n’est pas forcément inné, il s’apprend aussi dans des écoles spécialisées.
Mais il s’y est ennuyé très vite et en parallèle il participait à des scènes ouvertes dans les comedy clubs, ça ne manque pas à Paris. « J’en ai fait pendant un an, en grande quantité. Et puis un ami a passé un casting pour l’émission La France a un incroyable talent, le casteur lui a demandé s’il connaissait un humoriste atypique et cet ami m’a proposé. Dans un premier temps, j’ai refusé, mais je suis quand même allé par curiosité à un casting dans un bar ; ça s’est très bien passé, on me convainc et la productrice me jure on va pas faire un portrait trop larmoyant, et ça explose : j’ai le Golden Buzzer d’Eric Antoine, puis j’arrive deuxième de l’émission et la vidéo fait 25 millions de vues, donc ça va vite ! » Il vit pleinement de ce métier d’humoriste, membre du Jamel Comedy Club dont la prochaine saison sera télévisée. Et s’il a été sollicité pour participer à des « projets-fleuves », il espère encore une vraie proposition de tournage ciné ou télé : « J’attends quelque chose de concret, et pas de la caricature. » En fait, on lui demande de faire le bègue, de manière exagérée : « Bien sûr que jouer avec mon bégaiement, je ne peux pas faire autrement. Mais après, il y a des bons projets et des moins bons. Je suis prêt à faire de la série, du cinéma, avec de la dignité en fait. » Loin du ridicule fréquemment affublé.
Handicapé ou pas, Valentin Reinehr ? « En France, le bégaiement n’est pas reconnu comme un handicap. Je n’ai pas l’étiquette de personne handicapée, moi je ne me sens pas du tout handicapé, je me vois surtout avec un accent. Mais le handicap, ça me touche, je milite pour qu’il n’y ait aucune différence, que tous soient égaux. »
Laurent Lejard, mai 2024.