En l’examinant en seconde lecture, le Sénat a donné tout son sens au projet de loi d’égalité des droits et de chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : les Sénateurs ont adopté deux amendements (articles 1er A et 26 sexies) ouvrant aux associations non gestionnaires d’établissements médico-sociaux la représentation des personnes handicapées dans toutes les instances nationales ou territoriales, ainsi qu’à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Les associations de défense des droits ou des intérêts matériels, nombreuses localement, pourront faire entendre la voix des simples citoyens, enfin (peut-être) débarrassée de considérations matérielles telle « Est-ce que je conserverai ma subvention si je critique la politique de la collectivité locale qui me finance ? ».
Les Sénateurs avaient, lors des débats, émis des critiques à l’encontre des associations gestionnaires auxquelles ils reprochent d’être juges et parties dans les commissions. Marie-Thérèse Hermange (UMP) juge « anormal que certaines associations siègent dans les actuelles Cotorep à la fois comme représentants des usagers et en tant que gestionnaires des structures où ces mêmes usagers sont accueillis », ajoutant qu’il convient « d’accompagner l’évolution des associations vers la sortie du système gestionnaire ». André Lardeux (UMP) estime que « pour éviter les conflits d’intérêts, il faut mettre fin à la confusion des genres ». Michelle Demessine (Parti Communiste) pense qu’il faut « tenir compte des nouvelles forces et, en particulier, des jeunes qui s’organisent et qui sont, en quelque sorte, les enfants des grandes associations et qui demandent à leur tour une place ». Nicolas About (Union Centriste), rapporteur du projet de loi pour la Commission des Affaires Sociales, reconnait « et admire l’action des associations qui ont porté le handicap ces dix dernières années », mais « réclame le droit, pour les personnes qui souhaitent vivre à domicile, pour les plus fragiles, d’être défendues. Est-ce un crime ? ».
« Oui ! » a clairement répondu le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, composé notamment d’une majorité d’associations gestionnaires qui forment également le Comité d’Entente. A la suite d’une réunion de sa commission permanente le 19 octobre, son Président, Jean-Marie Schléret, a écrit au Président de la République pour s’opposer « avec force à toute démarche ou proposition pouvant aboutir à une représentation ou une expression isolée des personnes handicapées de nature communautariste. [Le] CNCPH vous alerte solennellement sur le contresens dangereux et la faute que constitueraient l’introduction d’une incompatibilité entre les fonctions de représentation des personnes handicapées, d’une part, et de gestion d’établissements ou de services, d’autre part. Une pareille attitude signifierait la négation du rôle, des initiatives et des réalisations des associations de personnes handicapées et de familles, qui, depuis des décennies, développent des solutions diversifiées et adaptées ».
Président du Comité pour le Droit au Travail des Handicapés et l’Egalité des Droits (CDTHED), Henri Galy s’interroge sur la portée réelle de la représentation voulue par le Sénat : « Sur le terrain, nous voyons une flopée d’associations locales non gestionnaires qui sont inféodées à des associations gestionnaires. Si le Préfet ou la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales désignent les associations siégeant dans les instances territoriales, cela ne changera rien ». Le Collectif des Démocrates Handicapés considère qu’il s’agit d’une avancée, tout en regrettant que ce soient encore des associations qui parlent au nom des personnes handicapées. « Nous aurions souhaité que les personnes handicapées élisent directement leurs représentants comme cela va se faire en Ile de France » précise son porte-parole, Philippe van den Herreweghe. Le Conseil Régional prépare en effet la création d’un Conseil régional consultatif des citoyens handicapés dont la moitié des représentants seront élus par la population concernée. C’est d’elle que les candidats émergeront, indépendants a priori des associations. Cette première expérience démocratique devrait se dérouler dans six mois environ. Il reste encore un peu de temps aux associations nationales gestionnaires pour profiter de leur monopole de représentation…
Laurent Lejard, octobre 2004.