A partir de janvier 2015, les Lyonnais seront les premiers Français à expérimenter les « joies » de la métropolisation (lire ce Focus). Tous les habitants du territoire de la communauté urbaine du Grand Lyon cesseront de dépendre du Conseil Général pour l’aide aux personnes handicapées ou âgées et la scolarisation en collège, entre autres transferts de compétences. Bien que la décision de les transférer du département du Rhône vers la future Métropole de Lyon ait été prise en décembre 2012 par le maire de Lyon, Gérard Collomb, et le président du Conseil Général, Michel Mercier, ce n’est que douze jours avant sa mise en oeuvre légale qu’une ordonnance est venue régler l’organisation institutionnelle et administrative. Jusqu’alors, le Conseil Général du Rhône et le Conseil communautaire du Grand Lyon ont dû travailler sans sécurité juridique, en comptant sur des éléments fournis par l’administration centrale. L’enjeu dépasse largement la population rhodanienne puisque la réforme territoriale en cours d’élaboration pourrait multiplier ce transfert de compétences dans tous les départements comptant une métropole, c’est-à-dire une agglomération d’au moins 450.000 habitants.
Une MDPH, deux commissions.
La MDPH deviendra en janvier Maison Départementale et Métropolitaine des Personnes Handicapées (MDMPH); elle demeurera dans ses bureaux actuels de la rue Pierre-Corneille à Lyon. Son directeur, Frédéric Barthet, sera maintenu dans ses fonctions bien qu’il quitte le Conseil Général pour diriger le pôle personnes handicapées de la Direction du développement solidaire et de l’habitat que la Métropole a dû créer : « On est en attente de l’ordonnance qui doit être publiée avant le 31 décembre. La maison départementale des personnes handicapées doit devenir une maison départementale et métropolitaine des personnes handicapées avec le maintien du Groupement d’Intérêt Public, dans lequel des représentants du Conseil Métropolitain seront intégrés. Il y aura une double tutelle Conseil Général et Conseil Métropolitain. » La Commission Exécutive de la MDMPH intégrera des représentants du nouveau Conseil Métropolitain, en même nombre que ceux du Conseil Général du Rhône. « Ça nous oblige à nous entendre, complète François Baraduc, conseiller général délégué à la MDPH. Les représentants du Conseil Général et de la Métropole siégeront en fonction des dossiers examinés. Au 2 janvier, on signera les mêmes décisions, on accordera les mêmes choses, les mêmes dotations. Les personnels qui s’en occupent seront les mêmes demain qu’aujourd’hui. Pour la continuité des prestations, tout le travail est préparé depuis des mois. On a travaillé sur des procédures, des cadres sont partis à la Métropole avec leurs équipes. Tout est fait pour que ça marche. Si les gens ne s’inquiètent pas, tant mieux. »
En pratique, la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée comporterait les mêmes membres, mais serait dédoublée : « Ce qui est acté, précise le directeur départemental de l’Association des Paralysés de France, Gaël Brand, c’est une seule MDPH avec prolongation du mandat des représentants au sein de la CDAPH. Mais on ne sait pas encore si les représentants au sein des commissions seront dédoublés. » Les sessions de la CDAPH seraient « territorialisées » pour traiter alternativement les demandes d’habitants de la Métropole ou du reste du Rhône, probablement sur la base de trois réunions Métropole pour une Rhône, estime François Baraduc. Mais cela ne tempère pas l’inquiétude de Gaël Brand : « Nous n’avons aucune information, un flou artistique par rapport aux enjeux. Il n’y a pas eu de réunion des associations. On a des interrogations sur les établissements médico-sociaux : les accords de partenariat sont établis avec le Conseil Général qui verse ses participations. Or la plupart des associations gèrent des établissements dans les deux territoires. On ne sait pas comment ça se passera. »
« Il ne se passera rien de menaçant, semble lui répondre Anne-Camille Veydarier, Directrice générale adjoint au développement solidaire et à l’habitat de la métropole. On a fait en sorte que la continuité du service soit assurée. Il n’y a pas de changement pour les usagers, leur premier interlocuteur sera la Maison du Rhône [Une cinquantaine de points d’accueil informant la population sur l’action sociale et aidant aux formalités NDLR]. On a reçu le collectif des associations, effectué un gros travail d’information. » Côté transport scolaire des collégiens, dont ceux qui sont handicapés, il sera effectué pendant encore un an par le Département, « le temps pour la Métropole de revoir les marchés publics pour les organiser en 2016 », ajoute Anne-Camille Veydarier.
Et dans l’avenir ?
La métropolisation va ramener la population servie par le Conseil Général à 450.000 personnes, contre 1,3 millions par la Métropole de Lyon, une collectivité qui doit acquérir une « culture » de l’action en direction des populations à besoins spécifiques. « On ne connaît pas la doctrine de la métropole, s’inquiète Gaël Brand. Le Fonds départemental de compensation du handicap sera-t-il aussi un Fonds métropolitain de compensation ? Ce n’est ni écrit ni validé. On ne peut pas définir de stratégie. »
Sur ce terrain, François Baraduc réfléchit à la fois en homme politique et en élu participant aux décisions : « Une collectivité ne peut avoir un regard sur une autre collectivité. Nous n’avons pas de visibilité sur la réforme territoriale. Rien ne permet de dire que les majorités politiques seront les mêmes après les élections territoriales de 2015. Qui dit que le Rhône ne rejoindra pas le département de la Loire ? C’est là où deux MDPH auraient pu être intéressantes. Les accords de partenariat avec Lyon sont prolongés sur 2015, ça c’est intelligent. Mais à terme, est-ce que Lyon n’aura pas une autre politique en matière de handicap ? C’était une raison de maintenir une seule MDPH, d’autant que les membres de la CDAPH seront les mêmes avec une seule différence, les représentants du Conseil Général et de la Métropole siégeront en fonction des dossiers examinés. Les représentants associatifs prendront les mêmes décisions pendant quelque temps. »
Mais qu’en sera-t-il plus tard, lorsque la nouvelle organisation territoriale sera rodée et que les collectivités décideront et agiront en fonction des réalités de leurs territoire et population ? François Baraduc se veut optimiste à cet égard, conscient du caractère novateur et de l’intérêt qu’il suscite : « L’unité territoriale sera maintenue pour les établissements du nouveau Rhône et de la Métropole. C’est une volonté des associations de conserver l’acquis de la CDAPH et la diversité de représentation. Les autres collectivités territoriales, régions, départements, métropoles, vont regarder de près cette expérience. On ne verra les faiblesses que plus tard. »
On peut néanmoins d’ores et déjà en relever une : l’absence de débat public impliquant la population. Certains politiciens ont manifestement voulu agir sans les Rhodaniens, qui ne savent pas vraiment ce qui les attend dans quelques jours. « Les usagers ne se rendent pas compte, conclut Gaël Brand, ils ne sont pas informés de la scission et des conséquences. Et qui est capable de savoir ce qu’est une métropole ? »
Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2014.
Post Scriptum : L’ordonnance régissant la MDMPH a été publiée dans le Journal Officiel du 20 décembre. Elle confirme les informations publiées ci-dessus, précisant que la présidence de la MDPH serait tournante entre le Département et la Métropole. Le fonds départemental de compensation du handicap est étendu à la Métropole, les deux collectivités « peuvent participer au financement de ce fonds » ce qui ne les oblige pas à le faire. La CDAPH « siège en formation plénière en alternance pour les personnes handicapées qui relèvent de la compétence du département du Rhône et pour celles qui relèvent de la compétence de la métropole de Lyon. Elle peut également être organisée en sections locales ou spécialisées sur le département du Rhône et sur la métropole de Lyon. » L’ordonnance ne comporte aucune mention concernant le Conseil Départemental Consultatif des Personnes Handicapées dont il faut supposer qu’il continue, à défaut de dispositions spécifiques, à couvrir l’ensemble du territoire du Rhône.