Les abribus parisiens vitrés sur trois côtés, bien protecteurs du vent et de la pluie (ce qui n’est pas un luxe dans la capitale), ont vécu. Ils sont actuellement remplacés par une nouvelle gamme dessinée par Marc Aurel pour l’entreprise d’espaces publicitaires JC Decaux qui les installe et les gère. Ces nouveaux abribus en L, qui seront tous installés d’ici la fin de l’année, sont esthétiques, avec un toit en composite blanc aux contours ondulants venant atténuer les droites marrons assez strictes des poteaux et panneaux. On les repère de plus loin grâce à un mat élevé qui comporte le numéro de chaque ligne desservie et le temps d’attente du prochain bus. Mais ce qu’ils gagnent pour les yeux, ils le perdent en confort d’usage puisqu’ils ne sont fermés que sur deux côtés et qu’une des vitres de la paroi arrière est retirée. « On cherchait une solution pour faciliter l’accès à la demande des usagers, explique Albert Asséraf, directeur général Stratégie, études et marketing. Cette suppression est issue de la réflexion du fabricant. » La raison ? Faciliter leur accessibilité par les Personnes à Mobilité Réduite : l’entrée devient possible par l’arrière et l’un des côtés, alors que la vitre latérale des abris précédents réduisait le passage rendu parfois très délicat par un arbre ou un poteau.
Mais après quelques semaines d’expérience, nombre d’usagers se plaignent des courants d’air incessants qui les gèlent sur pied, et de l’intrusion de la pluie nettement moins contenue que par les précédents modèles. Ce désagrément, qui fait redouter le prochain hiver, est accentué par l’espace vide plus élevé entre le sol et le panneau publicitaire et les vitres, qui passe d’une vingtaine à une quarantaine de centimètres, par lequel le vent s’engouffre.
Grands gagnants (en théorie) de ces nouveaux abribus, les voyageurs déficients visuels: un système d’annonce sonore des lignes et du temps d’attente du prochain bus est activé au moyen d’une série de boutons situés sur la tranche du panneau vitré d’information RATP placé dans le prolongement de la paroi arrière.
C’est d’ailleurs à l’intérieur du panneau qu’est placé le haut-parleur de ce système qui restitue les informations figurant sur le mat, mais cette solution n’est pas aboutie : la qualité sonore en milieu urbain bruyant nécessite un réglage fin et sa maintenance régulière pour entendre quelque chose, ce qui posait problème dans deux des trois arrêts testés place de la Bastille ainsi que l’a constaté Albert Asséraf. De plus, les temps d’attente ne sont plus annoncés dès que le mat est en panne ou éteint, les lignes sont identifiées par une pastille autocollante aux chiffres en relief qui résiste mal à l’usage et aux intempéries, l’annonce ne se déclenche qu’après quelques secondes et à condition de garder le doigt appuyé sur le bouton. Enfin, aucun mode d’emploi de cette annonce sonore n’est imprimé, que ce soit en noir ou en braille : résultat, lorsque l’on appuie sans insister, rien n’est diffusé et on pense logiquement que le système est hors service !
D’autres innovations sont présentes sur une centaine de points d’arrêt : affichage visuel en couleur des lignes et temps d’attente (dans les autres il est diffusé sur un écran cristaux liquides d’un contraste insuffisant pour les usagers déficients visuels) et carte interactive. Placée au dos du panneau RATP, celle-ci est pilotée au doigt et propose des informations de proximité : commerces, tourisme, services, activités, etc. Les passants en fauteuil roulant ou de petite taille disposent d’un trackpad pour déplacer un pointeur qui, hélas, est d’autant moins visible qu’avec la lumière du jour on voit davantage le reflet de l’immeuble opposé que le contenu interactif !
Les nouveaux abribus Marc Aurel pour JC Decaux sont exclusivement destinés à Paris, comme s’ils constituaient un privilège supplémentaire pour la capitale… Toutefois, leur conception inaboutie et leur inconfort d’usage ne devraient pas faire d’envieux parmi les banlieusards et provinciaux bien mieux protégés par des abribus anciens et finalement pas si mal accessibles que ça !
Laurent Lejard, mai 2015.