Les voyageurs en fauteuil roulant ont tous, peu ou prou, vécu les désagréments que Kévin Fermine dénonce : placement en vrac dans un wagon sans emplacement spécifique, accès aux toilettes impossible ou hors service, bouton d’appel du personnel de bord inactif dans un TGV, inaccessibilité de la voiture bar-restaurant… C’est sur ces griefs que la Justice sera amenée à se prononcer dans les prochains mois, Kévin ayant déposé plainte pour discrimination et également saisi le Tribunal Administratif de sa ville de résidence, Toulouse. De plus, avec son avocat, cet étudiant en droit, âgé de 25 ans, envisage de déposer une Question Prioritaire de Constitutionnalité visant la réforme d’allègement de l’accessibilité du 26 septembre 2014. D’où vient son ressentiment ? « Je prends souvent le train pour aller chez mes parents, à Toulouse, depuis Montpellier où j’étudie. Les difficultés commencent dès la réservation. Parfois, on m’a refusé l’embarquement parce que je n’avais pas réservé l’assistance Accès Plus. »
Kévin Fermine n’a pas choisi d’étudier loin de chez lui, les lacunes d’accessibilité et de services aux étudiants handicapés moteurs à la faculté de Droit de Toulouse l’ont contraint à le faire à Montpellier. Et il effectue les trajets à bord de trains très divers: « Il m’est arrivé de faire un trajet en TER dans le compartiment vélo ! Dans un Intercités, je demande où sont les toilettes, on me répond qu’il n’y en avait pas, je me suis fait dessus… Dans le TGV, ce qui est le plus fréquent c’est l’effet entonnoir : les circulations se rétrécissent, mon fauteuil roulant électrique passe tout juste dans le couloir. Et je ne peux pas entrer dans les toilettes, trop petites. Un jour, un contrôleur m’a répondu que je n’avais pas à me plaindre parce que je voyageais dans une voiture climatisée ! » Excédé par une qualité de service rendu aux voyageurs handicapés qui se limite à les accepter à bord des trains, Kévin a décidé de saisir la Justice. Côté plainte pénale en discrimination, le Procureur de la République étant juge de l’opportunité des poursuites classera probablement sans suite, comme d’habitude. Mais le Tribunal Administratif devra, lui, traiter la requête.
Côté SNCF, pas de réaction sur ces procédures engagées, mais un flot d’explications déjà lues et entendues sur les efforts de la compagnie nationale de chemins de fer. « La SNCF étudie un projet de service personnalisé, sans encore de date de mise en oeuvre, pour les besoins des voyageurs quels qu’ils soient, précise son porte-parole pour la région Midi-Pyrénées. Les nouvelles rames Euroduplex Océane qui équipent la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux-Toulouse sont équipées de boutons d’appel, la règle étant qu’ils soient opérationnels et activés. Les associations ont été conviées à la présentation des nouvelles rames en septembre 2016, elles étaient satisfaites. » Leurs représentants acceptent en effet, de longue date, l’inaccessibilité des TGV en autonomie de même que celle de la voiture bar-restaurant, même pour les matériels neufs dont l’accessibilité devrait être totale du fait de la législation. Mais pas d’expression de la SNCF au sujet de la qualité du service rendu aux voyageurs handicapés moteurs qui laisse encore à désirer : toilettes à bord hors-service dès le départ du train sans possibilité de se rendre dans un autre wagon, boutons d’appel du personnel de bord désactivés par les contrôleurs, service de snack disponible sur très peu de TGV. Pourtant, le client handicapé moteur paie le même prix qu’un autre voyageur. C’est sur ce terrain que se situe la discrimination : même tarif mais prestations réduites.
Ce que la Commission accessibilité du Conseil National Consultatif a mis en évidence lors de son audition en avril 2015 par une commission parlementaire sur les Trains d’Equilibre du Territoire en matière de restauration à bord : « Sur le matériel roulant existant, la réponse de la SNCF consiste à dire qu’il faut passer commande auprès des agents, alors que ces derniers rechignent majoritairement à assurer une même égalité de prestations. » Même constat au sujet des trains Regiolis dont la SNCF a vanté l’accessibilité : « En effet, alors que le plus complexe a été réalisé, à savoir un très bel emplacement [pour les voyageurs en fauteuil roulant] ainsi que l’accessibilité des toilettes, l’égalité de prestations n’a pas été assurée puisque les personnes en fauteuil ne disposent pas de tablette, de liseuse, de porte-manteau et de prise électrique, contrairement à ce dont peut profiter chaque usager valide. » La SNCF s’entête, la justice tranchera.
Laurent Lejard, janvier 2017.