Août 2018 sera un mois dont Kévin Fermine se souviendra. Ce jeune Toulousain atteint de la maladie de Little se déplace en fauteuil roulant motorisé, accompagné d’un chien d’assistance. Ce dernier a été refusé à deux reprises d’une supérette, le Carrefour Express de Rangueuil, à Toulouse (Haute-Garonne), la deuxième fois le 3 août en présence de la présidente d’Handi-Social, Odile Maurin et d’autres personnes qui ont filmé la scène diffusée sur les réseaux sociaux, suscitant une vaste médiatisation et les plates excuses de la direction de Carrefour. 13 jours plus tard, Kévin Fermine devait connaître le jugement du Tribunal de Grande Instance de Toulouse sur l’assignation qu’il avait délivrée à la SNCF Mobilités de l’indemniser des préjudices générés par des conditions de voyage qu’il estimait indignes : placement à bord à la va-comme-je-te-pousse, inaccessibilité des toilettes (ayant occasionné une « fuite » lors d’un long trajet) et de la voiture-bar, entre autres griefs. Le tribunal l’a débouté, retenant les arguments de la société nationale de chemin de fer : elle a respecté les obligations qui lui incombent à ce jour puisqu’elle dispose d’un délai qui court jusqu’au 3 décembre 2024 pour appliquer l’ensemble des dispositions du règlement européen du 23 octobre 2007 sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires. Coïncidence non fortuite, la SNCF étale jusqu’à la même période la mise en accessibilité de ses gares en exploitant au maximum le délai supplémentaire de neuf ans résultant de la réforme de l’accessibilité par ordonnance du 26 septembre 2014.
Dans ce débat, seule a été prise en considération l’obligation de transport, pas la dignité de la personne transportée. « C’est ce qu’on doit en déduire, déplore Kévin Fermine. La justice occulte la dignité, même si on est le pays des droits de l’Homme. J’ai l’impression d’être victime et condamné ! » Il faut toutefois relever dans ce jugement une certaine méconnaissance des réalités : le site Accès Plus ne permet pas de savoir si la voiture bar et les toilettes du train dans lequel on va voyager sont accessibles, la « chaise roulante de petite dimension pour l’accès aux toilettes » n’existe que dans les TGV les plus anciens et les voyageurs handicapés ne sont pas informés de l’existence de ce matériel. Ils ne pourraient d’ailleurs pas s’en servir, le montage de la chaise est un travail d’expert et le personnel de bord n’est pas autorisé à l’utiliser pour aider un passager handicapé à accéder aux toilettes trop étroites pour un fauteuil roulant standard. Et oui, les boutons d’appel du personnel de bord depuis l’espace « handicapé » des TGV sont fréquemment désactivés. Non, la SNCF n’est toujours pas en mesure d’associer à l’achat sur Internet d’un billet « voyageur en fauteuil roulant » la commande de la prestation d’assistance nécessaire, pas même sur le site spécifique « Billet de train pour voyageurs handicapés« ; onze ans après son lancement, il est toujours nécessaire d’effectuer une double formalité en ligne. Et non, la direction de la SNCF ne veut pas pallier à l’inaccessibilité de la voiture bar de ses TGV, contredisant une déclaration de son président (lire l’actualité du 27 juillet 2017).
D’autre part, le tribunal semble avoir commis une erreur sur les matériels roulants devant être pleinement accessibles : « Il ne pèse pas sur la Sncf Moibilités l’obligation de mise en accessibilité du matériel déjà roulant en 2005, sauf hypothèse d’une modification substantielle de ce matériel ou de son réaménagement en ce sens lors d’opérations de rénovation lourde, l’ensemble de ses trains affrétés et empruntés par Kevin Fermine dans des conditions contestées relevant du régime applicable au matériel roulant en février 2005. » Or, le plaignant a voyagé sur des TGV Euroduplex (toilettes trop étroites et voiture bar inaccessible) mis en service à partir de 2012. Visiblement, Kévin Fermine aurait dû noter sur chaque billet des trains à bord desquels il a voyagé la date de leur construction (pour les TGV, elle figure sur une plaque dans l’emmarchement des accès) ! En résumé, Kévin Fermine s’est fait rouler… dans la farine : on ne fait pas condamner la SNCF pour avoir maltraité un voyageur handicapé; tous ceux qui l’ont tenté en ont été pour leurs frais (lire par exemple ce Flop de février 2004 ou l’actualité du 30 janvier 2018). En archives, on ne trouve qu’une condamnation de la SNCF, pour avoir imposé à un passager sous assistance respiratoire de voyager dans les toilettes d’un train (lire l’actualité du 15 mars 2005).
Paradoxalement, le jugement toulousain est intervenu au moment où la SNCF annonçait la signature d’un marché avec Alstom pour construire 100 nouvelles rames TGV duplex (à étage) livrables entre 2023 et 2033. Avec 20% de voyageurs en plus pour un coût inférieur de 20% et une meilleure accessibilité : « Il s’agit aussi du premier TGV à être entièrement conçu en étroite collaboration avec les associations d’usagers en Fauteuil Roulant (UFR), communique-t-elle. Le résultat va au-delà des normes fixées par la loi et permet une circulation à bord et un accès aux places en toute autonomie grâce à une plateforme rotative et élévatrice. » Un matériel similaire équipe depuis plus de 15 ans des trains suédois fabriqués par Bombardier, il sera intéressant de le comparer à celui d’Alstom. Et également de connaître les économies au long cours que fera la SNCF en supprimant la prestation d’assistance à l’embarquement et débarquement dès lors que l’accès aux trains se fera en toute autonomie, au milieu de la foule des autres voyageurs et de leurs bagages. La SNCF a déjà étudié cette suppression pour les aveugles et malvoyants accompagnés, proposition rejetée par les associations nationales.
La direction de l’accessibilité SNCF ajoute : « Pour l’instant le travail de co-construction s’est fait avec AFM Telethon, APF et la Fédération Handisport pour la définition de la voiture qui accueillera les espaces pour les personnes en fauteuil roulant, cependant comme tous les participants aux réunions de travail ont signé une clause de confidentialité, ils ne pourront rien vous dire. » On ne sait donc pas si les emplacements fauteuil roulant seront toujours en voiture de tête ou de queue, et si l’accès à l’étage et à la voiture-bar sera possible. Et les associations co-construtrices sont tenues au secret ! Qu’en sortira-t-il ? « Les associations ont été sollicitées pour valider les aménagements des trains précédents », rappelle Kévin Fermine. Avec les résultats que l’on connaît, et qu’il a subis.
Laurent Lejard, septembre 2018.