L’arrêt rendu le 27 juin par la Cour d’Appel de Toulouse (Haute-Garonne) est un véritable séisme qui secoue la SNCF. Celle-ci est en effet condamnée à verser 5.000€ plus frais de justice à un jeune plaignant handicapé, Kevin Fermine. Il poursuivait la compagnie nationale de chemins de fer pour l’avoir fait voyager dans des wagons sans toilettes accessibles au fauteuil roulant motorisé pourtant compact qu’il utilise, avec les conséquences que l’on devine… C’est contre ces conditions indignes de transport qu’il s’est élevé, et il a finalement obtenu gain de cause après avoir été débouté en première instance.
Ce n’est pas sur les grands principes affirmés par la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations-Unies, ni ceux de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, ni sur la base de la loi du 11 février 2005 que Kevin Fermine a mis la SNCF à genoux, mais sur le respect par cette dernière de son obligation générale de soins. Elle doit assurer aux voyageurs « un transport dans des conditions normales d’hygiène, de sécurité et de confort, relève la Cour d’Appel. L’exécution matérielle du transport stricto sensu, relève du régime de la responsabilité contractuelle. » Si les magistrats soulignent que la SNCF a respecté la législation en matière d’accessibilité, « il est néanmoins établi que les billets réglés par M. Fermine, pour un prix identique à celui des autres voyageurs, ne lui permettent pas l’accès à toutes les prestations annexes au contrat de transport à la différence des voyageurs valides ».
Qu’attendre de cette décision ?
La SNCF ne veut pas en rester là et se pourvoit en cassation, précise Kevin Fermine : « Je suis assez satisfait de cet arrêt. C’est un bon début pour que notre condition de citoyen soit réellement acceptée. J’espère que d’autres personnes en situation de handicap prendront le relais pour assurer la suite, sinon ca ne sert pas à grand chose. » Dans l’attente de ce que dira la Cour de Cassation, Bruno Gazeau, le président de la Fédération Nationale des Usagers des Transports (FNAUT) espère que la compagnie agira : « Cette décision qui condamne la SNCF à 5.000€ de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par un voyageur handicapé, sur la base de sa responsabilité contractuelle, est un signal exigeant envoyé à la SNCF qui doit améliorer les conditions de transport des personnes à mobilité réduite. La cour d’appel relève notamment que ‘l’inconfort généré par l’inaccessibilité´ des toilettes caractérise une atteinte a` la dignité´ et un manquement à l’obligation de SNCF Mobilités d’assurer un transport dans des conditions normales d’hygiène. »
Même tonalité pour Louis Bonet, président du Groupement pour l’Insertion des personnes Handicapées Physiques (GIHP) : « La SNCF respecte ses obligations d’accessibilité mais pas ses obligations contractuelles. Le client handicapé a droit aux mêmes conditions de transport puisqu’il paye le même tarif. Une décision confirmée amènerait certainement la SNCF à agir pour respecter ses obligations contractuelles, et éviterait qu’on devienne une variable d’ajustement économique. » Pour sa part, l’APF France Handicap a curieusement occulté cette décision judiciaire : aucun communiqué ni de réponse à notre demande de réaction, pas d’article sur son magazine en ligne. Doit-on voir dans cette apparente censure le fait que le plaignant Kevin Fermine milite au sein de l’association Handi-Social, présidée par Odile Maurin qui était jusqu’en 2015 représentante départementale de l’APF jusqu’à ce que son Conseil d’Administration l’exclue de l’association ?
Quelles peuvent être les conséquences de cette affaire si la Cour de Cassation confirme l’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse ? La SNCF devrait alors prendre des dispositions pour donner accès aux toilettes exigües des trains, par exemple au moyen d’une chaise roulante de bord semblable à celles qui équipaient les premiers Trains à Grande Vitesse; faute d’information des passagers handicapés moteurs et d’aide du personnel de bord, ces engins n’étaient pas utilisés et ont depuis été enlevés. La SNCF pourrait également tenter de s’en sortir en concédant une réduction tarifaire au motif que le service rendu est différencié. On peut même ajouter « volontairement différencié » puisque la compagnie refuse de mettre en oeuvre un service à la place pour les voyageurs handicapés qui ne peuvent se rendre à la voiture bar-restaurant. « Il y a des choses réalisables, et pas certaines, estime Kevin Fermine. La SNCF ne pourra pas adapter ses rames Océane [TGV desservant Bordeaux NDLR]. La réduction, ce serait une solution facile… et regrettable ; il est lamentable de payer 200€ pour mon dernier voyage sans pouvoir aller aux toilettes. La SNCF pourrait prévoir un service dédié à bord mais je ne veux pas rêver… »
Propos recueillis par Laurent Lejard, août 2019.