C’est pour marquer la journée mondiale de l’autisme qu’était lancée le 2 avril 2019 la plateforme web et téléphone Autisme Info Service. Co-fondée et co-présidée par le publicitaire Florent Chapel, membre du conseil d’administration de la Fondation Autisme, et l’acteur Samuel Le Bihan (alias Alex Hugo à la télé), elle a été inaugurée une semaine avant avec un très officiel appui gouvernemental : déclarations ministérielles – notamment de Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées, sur RTL (« Avec la plateforme ‘Autisme Info Service’, il y aura une équipe dédiée pour répondre, dans chaque département, aux questions des familles, tout cela gratuitement »), déclarations d’intention, citation sur de multiples sites gouvernementaux et jusqu’à celui de la Présidence de la République. Une énorme visibilité qui a engendré une très large couverture médiatique, presque digne des plus grandes réformes de la Ve République…
L’implication du gouvernement dans cette plateforme d’écoute s’explique d’abord par un fait : au financement privé de plus d’un million d’euros (fondations Bettencourt-Schueller, Michelin et Orange) s’ajoute de l’argent public de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (200.000€) et de la Région Île-de-France à hauteur de 80.000€. « Ses dirigeants souhaiteraient fonctionner avec un financement 100 % public, compte tenu de la mission de l’association et de son périmètre qui se veut national », lit-on dans un rapport parlementaire de juillet 2019. Dès avril 2018, cette structure alors en projet était ainsi présentée par Samuel Le Bihan dans une interview accordée à L’Express : « Il s’agira, avant tout, d’un numéro d’appel national, gratuit, pour répondre aux interrogations individuelles sur le dépistage, les derniers progrès de la recherche, les dispositifs d’accompagnement, le financement, l’inclusion à l’école, les démarches administratives, etc. Nous irons un peu au-delà de la simple information, en réorientant aussi les familles vers les services dont nous serons certains qu’ils appliquent bien les recommandations de la Haute Autorité de Santé en matière de prise en charge ». Une très belle déclaration d’intention qui promettait beaucoup, en redonnant espoir à des milliers de familles d’enfants et d’adultes autistes, qui errent souvent entre délais diagnostiques inacceptables et absence de lieux d’accueil adaptés, entre refus de scolarisation de leurs enfants et manque cruel d’accompagnants scolaires, désormais dénommées AESH.
Un numéro de téléphone qui sert à quoi ?
Le numéro gratuit d’information n’est ouvert que 18 heures dans la semaine, ce qui explique que plus de la moitié des 12.874 appels reçus depuis 17 mois n’ont pas abouti. « On n’est pas contents des résultats, concède Marion Lavergne Chadefaux, déléguée générale de l’association Autisme Info Service. Mais on a des retours d’usagers, on oriente beaucoup de gens. » Avec 87% de taux de réponse aux 6.343 appels reçus pendant les heures d’ouverture, soit 5.540 appels aboutis. « On a trois ou quatre écoutantes simultanées, ajoute Marion Lavergne Chadefaux, avec une attente limitée à 15 minutes. » Si le système informatique calcule un temps d’attente supérieur, l’appelant est invité à renouveler son appel auquel il met automatiquement fin. Peu d’heures d’ouverture et d’écoutants, ce numéro d’appel ne peut répondre aux situations d’urgence, qui est pourtant sa seconde vocation.
Des parents ont réalisé des appels tests (à écouter ici), communiqués ensuite à SOS Autisme, et constaté qu’au bout du fil ce ne sont pas des écoutants spécialisés mais des mamans qui se relaient pour répondre aux appelants, comme elles le peuvent sur la pertinence de la psychanalyse, les possibilités de scolarisation, d’ateliers artistiques ou de loisirs (« vous allez sur Google, c’est plus simple », répond l’écoutante), l’insertion professionnelle, la recherche d’un professionnel pour un diagnostic. Aucune réponse sérieuse, concrète, ni contact de spécialiste ou numéro de téléphone qui puisse déboucher ensuite sur une nouvelle information, orientation ou rendez-vous, qu’il s’agisse d’une demande de diagnostic, de soins médicaux ou d’inclusion scolaire. Exemple, recherche d’un psychiatre dans les Hauts-de-Seine (l’annuaire d’AIS n’en mentionne aucun), réponse : « C’est que la profession médicale est réglementée, et on n’a aucun droit de les référencer dans notre annuaire. Par contre, je peux vous les donner à l’oral. Mais ni à l’écrit, ni dans l’annuaire. Et vous les trouvez aussi sur Doctolib ». Avant d’ajouter : « Vous pouvez toujours tenter, mais je suis sûre que vous n’aurez pas de rendez-vous ». Étonnant, non ? Autre exemple, comment établir un diagnostic d’autisme chez un jeune enfant ? La répondante nous conseille de nous « rapprocher du Centre autisme Robert Debré (Paris 19e). C’est gratuit ». Mais il y a deux ans d’attente : « Oui, je sais, mais si vous êtes à l’aise [financièrement], vous pouvez faire le diagnostic en libéral ». Faute de rendez-vous à court terme dans les structures publiques, les consultations en libéral peuvent atteindre 400 à 500€ !
Comment une répondante justifie-t-elle l’indigence de ses réponses quand on lui fait remarquer que l’État cofinance ? « Oui, ils communiquent ça, mais c’est de la com’ parce qu’on était la plateforme déjà en place avant le Covid. On existait déjà. Et on a été mis en première ligne […] Mais on est une association de parents. On n’est pas le gouvernement. On n’est pas financé par l’État ». La CNSA et la Région Île-de-France apprécieront. « On reçoit également des appels via les communautés Covid 360 et la plateforme allo répit (ex tous ensemble), poursuit Marion Lavergne Chadefaux. On constate le ping-pong, d’une plateforme à une autre, on balade les gens. »
Un site web perfectible
« La mission d’Autisme Info Service est de fournir des informations générales et actualisées sur le trouble du spectre de l’autisme (TSA), relayer les recommandations relatives de la HAS, soutenir les personnes concernées et leur entourage, orienter les usagers vers les services les plus adaptés à leurs besoins (associations, professionnels, écoles, formations, réseaux, sociétés privées, services administratifs, établissements de soins, de loisirs…). » Or, son site web renvoie peu de réponses à nombre de questions concernant des sujets basiques comme les soins médicaux, la scolarisation, les loisirs, le logement : son annuaire (outre la région capitale qui dispose déjà d’un annuaire élaboré par le Centre de Ressources Autisme Île-de-France) répertorie 15 Établissements et services médico-sociaux et sanitaires, 128 associations locales (dont les Groupes d’entraide Mutuelle), 139 professionnels libéraux (essentiellement des psychologues), 51 centres de diagnostic, 39 structures de soins théoriquement « autistes friendly », 19 organismes sports-loisirs ou culture, 6 d’aide à la personne, 2 d’insertion professionnelle, un seul de vacances adaptées, zéro en matière de logement. Figurent également 26 fiches pour les Centres Ressources Autisme régionaux. Cerise sur le gâteau, la catégorie « Réseau autisme » compte… 1 fiche ! 300 fiches de l’annuaire font plutôt penser à du remplissage : adresses des Maisons Départementales des Personnes Handicapées (91 fiches, il en manque 11), des Directions des services départementaux et Rectorats de l’Éducation Nationale (les référents handicap et cellules départementales dédiées ne sont pas mentionnées), des Unités Localisées pour l’Inclusion Scolaire et Unités d’Enseignement en Maternelle Autisme (202 fiches) dont les coordonnées n’ont guère d’utilité puisque les enfants y sont orientés par leur MDPH. Au total, 450 fiches potentiellement pertinentes pour un annuaire déjà financé 100.000€ par la CNSA, ça fait très cher la pièce, plus de 200€.
« L’annuaire compte 860 références et 1.300 en attente de validation, justifie Marion Lavergne Chadefaux, dont 135 libéraux validés et 235 en attente. Mais des professionnels ne remplissent pas les fiches. Quand elles sont écrites, on vérifie le contenu des informations, les diplômes, les références, leur validation des pratiques de la Haute Autorité de Santé. On essaie de recenser les ressources, on fait ce qu’on peut faire. » Un aveu d’impuissance face aux agendas bien remplis de professionnels qui n’ont pas besoin qu’Autisme Info Service leur envoie des clients. Et la plateforme ne peut compter que sur ses moyens. « Les Centres Ressources Autisme n’ont pas voulu communiquer leurs ressources, il n’existe pas d’annuaire unique, concède Marion Lavergne Chadefaux. On a essayé via la Délégation Interministérielle à l’Autisme d’avoir communication des coordonnées des centres de soins. Le CRAIF a renvoyé deux références et les CRA, rien, chacun reste propriétaire de son information. » Très répandu, ce cloisonnement de l’information n’est pas l’apanage du milieu de l’autisme, mais ses acteurs montrent très clairement qu’ils ne veulent pas collaborer avec une plateforme téléguidée par le secrétariat d’État aux personnes handicapées et sa Déléguée interministérielle à l’autisme, Claire Compagnon. Ces gens s’adorent…
De plus, alors que le site affirme fournir également des informations utiles aux professionnels, on constate une absence totale de références de publications scientifiques, les rubriques renvoyant le même message : « Vous pourrez, dans le futur, trouver dans cette section des informations dédiées à l’autisme pour vous accompagner dans vos pratiques ». A cet égard, si les Bonnes pratiques de la Haute Autorité de Santé sont mentionnées sur une demi-douzaine de pages, leur contenu n’est pas expliqué et elles ne sont ni téléchargeables ni consultables. Seul « Paroles de Pro » bénéficie de quatre interviews de professionnels impliqués dans la prise en charge de l’autisme (1 pédopsychiatre, 1 éducatrice, 1 assistante sociale et 1 médecin).
Un an et demi après son lancement en fanfare, la plateforme Autisme Info Service demeure pauvre en informations en ligne et ses conseils téléphoniques apparaissent peu pertinents. Bien sûr, elle ne peut inventer des prises en charge et structures qui n’existe pas ou peu, et si l’on veut voir le verre qui se remplit, on dira qu’elle a une importante marge de progression. Sauf dans un domaine où l’association support excelle déjà, la médiatisation : avec un spécialiste de la communication à sa tête et une journaliste de France Télévision au conseil d’administration, c’est le moins qu’elle puisse faire, mais cela n’améliore guère le quotidien des personnes autistes et leurs familles…
Cécile Modine, novembre 2020.