Inscrite dans la loi depuis celle du 30 juin 1975, l’accessibilité du cadre bâti et des transports n’est toujours pas une réalité nationale. Malgré une seconde loi le 13 juillet 1991 instaurant une obligation de résultat pour les constructions neuves à l’égard du handicap moteur, une troisième le 11 février 2005 donnant 10 ans aux propriétaires et exploitants pour rendre leurs établissements et services pleinement accessibles, puis sa réforme par l’ordonnance du 26 septembre 2014 repoussant cette échéance. Des lois mal ou pas appliquées alors que l’accessibilité pour tous aux Établissements Recevant du Public (ERP), installations ouvertes au public, locaux professionnels, immeubles d’habitation, voirie et transports collectifs sont les conditions essentielles et indispensables de l’inclusion sociale : comment se loger, se déplacer, étudier, aller travailler, sortir et profiter de la vie quand l’accessibilité est aléatoire ou absente ? Or, si le Gouvernement clame sa volonté d’instaurer cette inclusion de toutes les personnes handicapées, son action est à l’opposé, comme on vient de le constater avec l’annonce, le 25 mai dernier par deux secrétaires d’État, d’une campagne de recrutement « d’ambassadeurs de l’accessibilité » : 500 binômes de jeunes en service civique payés moins de 600€ pendant neuf à douze mois iront démarcher des petits commerçants pour les inciter à mettre leurs points de vente en accessibilité universelle. Mais pas les plus de 700.000 professions libérales (médecins et professionnels de santé, notaires et juristes, etc.), les services publics et privés, et les transports collectifs. Or, la moitié des deux millions d’ERP sont hors-la-loi, a reconnu Sophie Cluzel, sans toutefois envisager d’agir.
Un droit remplacé par de la bonne volonté
Parce que désormais, l’accessibilité n’est plus une nécessité structurelle reposant sur des normes à respecter, mais un devoir individuel comme le justifie la secrétaire d’État à l’Engagement et la Jeunesse, Sarah El Haïry : « L’accessibilité, alors qu’aujourd’hui on parle d’inclusion, on parle de volonté de rendre accessible, la question de l’accessibilité elle touche tout le monde. Qu’on soit en situation de handicap ou pas, momentanément ou plus longuement, mais surtout elle touche tous ceux qu’on aime. Et à partir de là, c’est la responsabilité de chacun que de prendre les rênes et de participer à cette accessibilité universelle ». Mais plus à l’État et ses services de faire respecter les lois qui l’ont instaurées, a répondu Sophie Cluzel sur le nombre d’ERP ayant été sanctionnés pour ne pas avoir respecté leurs obligations légales : « C’est l’engagement des préfets de pouvoir mobiliser les établissements. Aujourd’hui, il y a eu des rappels à l’ordre importants, il y a eu de grandes discussions, je me tourne vers l’APF France Handicap, sur la nécessité ou pas de verbaliser. Aujourd’hui ce que l’on veut suite à cette crise sanitaire, économique et sociale, c’est de faire une force de cette mise en accessibilité. Je pense que nos commerçants, nos gestionnaires d’établissements, nos propriétaires ont énormément souffert depuis presque deux ans entre la crise sanitaire, les problématiques qu’on a eu sur les gilets jaunes qui ont énormément freiné l’activité économique. Nous sommes dans une année positive, constructive avec les associations, avec les commerçants, avec les établissements recevant du public, pour améliorer le quotidien des choses. » Pas de contrôles ni de sanctions financières, d’ailleurs Sophie Cluzel a fait supprimer par le Parlement le 8 novembre 2018 le fonds qui devait les récolter, privant le budget de l’État de plus d’un milliard d’euros de recettes annuelles pour financer des aides à l’accessibilité. Ce n’est donc pas par compassion pour les propriétaires que Madame Cluzel renonce à faire respecter la législation, mais par idéologie libérale, elle prônait de même en mars 2018 concernant l’obligation d’emploi : « Le but n’est pas de pénaliser les entreprises mais d’être plus incitatif […] L’idée n’est pas de faire de la coercition mais de l’incitation. » Elle n’a pu, pour l’instant, réussir à supprimer cette obligation d’emploi pour la remplacer par de « l’incitation ».
1.000 jeunes au casse-pipe
Ce revirement politique a été accompagné par la plus importante association de défense des personnes handicapées motrices, l’APF France Handicap, associée au montage de l’opération « Ambassadeurs de l’accessibilité » ; son directeur adjoint, Patrice Tripoteau, s’est même exprimé lors du lancement du recrutement sans émettre le moindre bémol, suggérant seulement de raccrocher les ambassadeurs aux commissions communales d’accessibilité. Que pourra faire le millier de jeunes ambassadeurs, comme deux d’entre eux en ont témoigné ? « Je veux faire quelque chose pour eux », dit l’une en parlant des personnes handicapées, c’est « un projet qui a du sens, j’aime être au service d’autrui », ajoute l’autre. De la bonne volonté qui nous renvoie plus de 45 ans en arrière. Ces ambassadeurs seront embauchés par des communes et agglomérations, payés 580€ pendant 9 à 12 mois, sans pilotage de l’action : il n’est créé aucun comité de supervision et d’organisation alors que Sophie Cluzel a nommé le 29 octobre 2018 un « ambassadeur des ambassadeurs », Yann Jondot. A quoi va-t-il servir désormais ? « Il sera l’interface entre les collectivités et les ambassadeurs de l’accessibilité, répond Sophie Cluzel; justement pour pouvoir déployer cette pédagogie auprès des collectivités, auprès des maires, avec sa double légitimité et son expertise indéniable ». Avec quels moyens matériels et humains, quelle rémunération ? Sophie Cluzel n’a pas voulu le préciser. De quoi redouter que cette bonne action se résume « en une opération de communication », s’inquiète le Collectif Handicaps. Annoncé pour la troisième fois depuis 2016, le recrutement de 1.000 ambassadeurs de l’accessibilité a échoué deux fois : jamais deux sans trois ?
Laurent Lejard, juin 2021.