Depuis le 1er octobre 2021, un avenant à leur convention collective améliore la rémunération et l’évolution professionnelle des aides humaines au domicile employées par des organismes à but non lucratif. Et ce 1er janvier entre en vigueur l’extension à tous les particuliers employeurs d’évolutions de la convention collective applicables aux aides humaines qu’ils rémunèrent directement. Dans l’une et l’autre situation, les bénéficiaires handicapés risquent de subir d’importantes conséquences négatives d’améliorations qu’elles souhaitent pourtant. Comment en est-on arrivé là ?
Financements conditionnés des prestataires
Les services prestataires sont régis par une convention collective dont l’avenant 43 s’applique à compter du 1er octobre 2021. La revalorisation des emplois qu’il organise entraîne une augmentation substantielle des salaires pouvant atteindre 15% pour les plus basses rémunérations, pour laquelle les organismes employeurs percevront un financement partagé entre la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) et les Conseils Départementaux. Problème, une part importante d’entre eux n’avait pas pris de délibération fin décembre 2021 alors que le versement de la part CNSA dépend d’un tel accord.
« La grande majorité des départements financent l'avenant 43, explique Jérôme Perrin, Directeur du développement et de la qualité à l'ADMR. Il n'y a que trois départements qui refusent de cofinancer l'avenant 43 : les Yvelines, Hauts-de-Seine et Mayotte. Tout n'est pas fermé, on espère les faire bouger. D'autres départements ont une approche partielle, ou n'ont pas défini de position notamment sur l'Aide Sociale à l'Enfance ou les services tarifés. Des départements veulent financer les personnels qui interviennent uniquement dans le cadre de la tarification départementale, mais pas hors tarification. »
Le secteur de l’aide aux personnes est administrativement complexe, alors simplifions : les salaires sont dus aux valeurs prévues par l’avenant à la convention collective et les organismes employeurs vont devoir puiser dans leurs trésorerie et réserves pour les payer, sans attendre la compensation financière de la CNSA et des Départements. « Pour les organismes, poursuit Jérôme Perrin, la problématique est de l’ordre de la trésorerie, du champ d’application et du délai de versement des financements compensatoires. L’avenant signé en mars 2020 a été agréé un an plus tard. Du coté de la Direction Générale de la Cohésion Sociale et des ministères, il y a eu une vraie mobilisation avec parfois un déblocage de situations locales au moyen de visites ministérielles, mais certains départements se sont sentis imposer un système non négocié avec eux. »
Disparités exacerbées
Qu’en est-il des sociétés à but lucratif qui représentent 25% des prestations aux bénéficiaires âgés de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie et la moitié de ceux de la Prestation de Compensation du Handicap ? « Les personnels du lucratif ne sont pas revalorisés, répond Jérôme Perrin; les sociétés doivent payer les salaires en se contentant du montant plafond de PCH qui passe à 22€ sur tout le territoire à compter de janvier 2022. Si le secteur lucratif signe un accord, il peut disposer de l’enveloppe de revalorisation salariale. »
Les disparités n’existent pas qu’entre associations et entreprises, elles sont également locales. « Ce qui est problématique, exprime Julien Mayet, vice-président de l’Union Nationale de l’Aide, des Soins et des Services aux Domiciles (UNA), c’est que je ne connais pas de territoire dans lesquels les problèmes de financement ne vont pas entraîner des difficultés ou la disparition de structures. Les départements ne peuvent pas être chefs de file et fuir leurs responsabilités. » Il rappelle que les accords collectifs sont agréés par l’État après évaluation de leur impact sur les finances locales :
« La France est une et indivisible, clame-t-il. Les départements dénoncent l'absence de compensation financière suffisante des dépenses d'APA et de PCH pour lesquelles la dotation de la CNSA n'est plus paritaire. On peut les comprendre mais sans être pris en otage. »
Le sujet est d’autant plus important que le Parlement examine actuellement un nouveau projet de loi de décentralisation qui autoriserait les collectivités locales (lire l’actualité du 13 mai 2021) à appliquer certaines lois nationales en fonction des particularités ou priorités territoriales. « Adapter les lois aux territoires peut être nécessaire, reprend Julien Mayet, mais une convention collective s’applique sur tout le territoire. Elle doit avoir une application harmonieuse et uniforme. L’UNA a pris ses responsabilités en négociant depuis 5 ans, ce n’est pas la même préoccupation que celle d’autres acteurs du domicile. Eux, ils veulent l’argent d’abord et la convention ensuite. Or, les emplois à faible qualification connaissent de vrais problèmes de recrutement. On est très attaché aux formation et qualification de nos personnels, on ne peut pas se contenter de recruter à la va-vite. » L’UNA voit dans l’avenant 43 une mise en avant des compétences et des qualités humaines autant que professionnelles sur le diplôme : « L’avenant valorise les tâches des salariés. Mon souhait n’est pas dévaloriser des formations mais on a besoin de recruter sans des gens qui débarquent de nulle part auprès d’un public très dépendant. Tout est une question d’équilibre. »
Les employeurs directs oubliés
De nombreux bénéficiaires de la Prestation de Compensation du Handicap ont fait le choix d’employer et gérer directement leurs aides humaines au domicile. Dans leur secteur, un accord collectif pose des difficultés qu’ils ont fait remonter aux pouvoirs publics. « On a écrit fin août 2021 à la Direction Générale de la Cohésion Sociale, à la Direction Générale du Travail et à la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, sans recevoir de réponse, déplore Mathilde Fuchs représentant la Coordination Handicap et Autonomie (CHA). On demandait une corrélation entre l’extension de la Convention Collective et la revalorisation de la Prestation de Compensation du Handicap. » A compter du 1er janvier, la Convention Collective du secteur est étendue à tous les particuliers employeurs, générant plusieurs surcoûts : cotisations sociales dont la médecine du travail, majoration de 10% pour tous les jours fériés, évolution des horaires de nuit. Toutefois, la CHA se plaint de ne pas disposer des modalités précises de mise en oeuvre des nouvelles dispositions qui vont essentiellement peser sur les personnes handicapées dépendant d’aides humaines 24 heures sur 24. « On a rencontré début octobre un représentant de la DGCS qui nous a répondu être occupé par l’examen au Parlement du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. Le cabinet de Sophie Cluzel nous a demandé en novembre une note sur l’évolution des coûts, puis notre interlocuteur a renvoyé le sujet au premier trimestre 2022. Nos multiples relances ont reçu des réponses dilatoires. » Alors la CHA a adressé en recommandé le 16 décembre une lettre au Premier ministre qu’elle a également rendu publique. Elle lui demande « de modifier l’arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l’élément de la prestation de compensation du handicap, pour intégrer les surcoûts », comme le prévoit la loi.
« On rencontre l’Assemblée des Départements de France (ADF) le 5 janvier, poursuit Mathilde Fuchs. On a contacté des députés et sénateurs, qui ont déposé des questions au gouvernement. Le cabinet de la ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, a été contacté, elle préparerait un groupe de travail sur l’emploi direct. On est en relation avec la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) qui est en accord avec notre demande d’augmentation de la Prestation de Compensation du Handicap. La nouvelle convention collective va poser des problèmes pour le travail de nuit, en contradiction avec le respect de nos choix personnels d’heure de coucher ou de lever. Le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) a adopté une motion le 19 novembre 2021, demandant un relèvement de la PCH emploi direct à 170% du salaire minimum conventionnel. Le 22 décembre, les organisations FEPEM, Alis, AFM, APF, GIPH ont signé une lettre d’alerte commune adressée à Sophie Cluzel. » Finalement, la situation s’est débloquée à la faveur de l’entretien de la Coordination avec des représentants des départements : « L’ADF a appelé le cabinet de Sophie Cluzel, qui a répondu qu’il y aurait bientôt une annonce sur ce dossier, le relèvement probable de la PCH emploi direct à 150% du minimum conventionnel. » Sans concertation avec les principaux intéressés et en laissant de côté d’autres difficultés conséquentes (périodes de maternité ou maladie de personnels à payer partiellement tout en les remplaçant, licenciement consécutif au décès du bénéficiaire, etc.). La CHA sera-t-elle invitée à participer au futur groupe de travail sur l’emploi direct envisagé par le ministère de l’Autonomie ?
Laurent Lejard, janvier 2022.