En 2024, y aura-t-il encore des taxis parisiens en capacité de transporter des passagers restant sur leur fauteuil roulant ? Ces véhicules sont actuellement 219 (pour la plupart regroupés dans la plateforme G7 Access) sur les 18.824 en circulation, soit 1,16% du parc total de taxis opérant sur la capitale et les départements limitrophes formant la métropole du Grand Paris. Tous avec des vans à moteur diesel. Or, ces véhicules seront interdits de circulation à compter du 1er janvier 2024, année d’organisation à Paris et Île-de-France des Jeux Olympiques et Paralympiques. La solution semblait venir de la volonté gouvernementale d’organiser le subventionnement de tels taxis TPMR à la condition qu’ils soient classés Crit’Air 1 (motorisation électrique, hybride ou essence peu polluante) ; pour cela, un projet de décret approuvé le 22 avril sans questionnement par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) a été publié le 15 mai au Journal Officiel. Un décret déconnecté de la réalité : la subvention ne se cumulera pas aux aides à la conversion, l’autonomie des véhicules électriques n’assure pas une journée de travail aux conducteurs taxis, aucun van à motorisation hybride n’a été pour l’instant adapté pour le transport de passagers en fauteuil roulant et les vans à moteur essence Crit’Air 1 ne sont actuellement plus fabriqués !
Quels véhicules sur le marché ?
Le groupe de travail réunissant des représentants des taxis, des constructeurs et les pouvoirs publics n’a identifié que 3 véhicules adaptables en taxi PMR, tous à moteur essence : Ford Tourneo Connect, Volkswagen Caddy, Renault Kangoo. Les deux premiers sont fabriqués dans la même usine actuellement à l’arrêt. Outre un très long délai prévisible de livraison, ils ne sont pas adaptés à la profession, du fait de leur confort spartiate et de l’emprise du décaissement (120x70cm) ne laissant qu’un ou deux sièges passagers arrières étroits. Le seul van à moteur électrique coûte 75.000€ et n’est pas décaissable pour qu’un passager sur fauteuil roulant y soit transporté. Ne pouvant travailler avec des vans électriques, il reste aux taxis ceux à motorisation hybride.
Parmi les carrossiers adaptant des véhicules au transport de personnes handicapées, Huet Equipements ne réalise pas l’adaptation transport PMR de véhicules électriques ou hybrides. Les Établissements Lenoir sont en mesure d’adapter deux modèles de minivan à motorisation électrique, les Peugeot Traveler et Citroën Space Tourer de conception identique ; l’adaptation PMR coûte 12.000€ HT. Ils n’en ont réalisé aucune sur des véhicules à motorisation hybride. ACA France (Aménagements, Conduite et Accessoires) pourrait adapter un Peugeot Rifter électrique mais avec deux sièges arrières à largeur réduite et une hauteur sous plafond de 1,22m, contraignant le passager handicapé à baisser la tête en permanence ! Si cette société peut aménager le Volkswagen Multivan T6 diesel, la version hybride T7 ne dispose pas de kit de transformation PMR.
Chez Durisotti, qui adapte notamment la flotte de véhicules professionnels de la ville de Paris, on peut aménager de gros véhicules. « On sait réaliser des transformations simples sur Ford Transit Custom Kombi à motorisation hybride, précise Jérôme Boisnard, chef des ventes, mais on en n’a pas fait un seul à ce jour. » L’adaptation ne nécessite pas de décaissement, le van à plancher haut est équipé d’une rampe pliable, pour un coût de 6.000€ HT. « On est en phase de bouclage des études sur Peugeot Rifter, Citroën Berlingo, Opel Combo, Peugeot Traveler en électrique », ajoute Jérôme Boisnard. Il espère une homologation des aménagements pour le mois de juin. Toutefois, ces véhicules ne seraient utilisables que pour une activité 100% PMR, ce qui n’est pas le cas des taxis parisiens qui transportent tous types de clients.
Spécialiste de l’adaptation de véhicules pour transporter une ou plusieurs personnes sur fauteuil roulant, le carrossier Morice constate l’impossibilité d’aménager des modèles à motorisation hybride. « On ne peut pas parce qu’il y a beaucoup de choses sous le plancher », justifie Élisabeth Chotard, technico-commerciale. Cette société avait réalisé l’adaptation PMR de 80 Nissan e-NV 200 pour le service spécialisé PAM75, dont le modèle est supprimé par le constructeur. Morice espère disposer d’ici fin 2022 de solutions pour Peugeot Rifter, Citroën et Berlingo et eJumpy à motorisation électrique.
Des taxis démunis
Le besoin de transport de personnes en fauteuil roulant sera élevé à Paris Île-de-France pendant les Jeux d’été 2024 qui recevront de nombreux visiteurs. Si l’objectif gouvernemental de 1.000 nouveaux taxis PMR était atteint, il y aurait alors 5,3% de véhicules adaptés. « Aujourd’hui, sur l’offre en véhicules il y a deux freins principaux au développement du taxi PMR, tempère Armand Joseph-Oudin, délégué général de l’Union Nationale des Industries du Taxi (UNIT). D’abord, en 2024 les motorisations diesel seront interdites de circulation dans le périmètre du Grand Paris. Depuis un an et demi, on demande une dérogation pour les vans et les taxis PMR qui sont tous des diesel. Cette incertitude fait que les chauffeurs sont dans l’attente avant d’investir dans un nouveau véhicule. » En effet, dans cette profession la plupart des chauffeurs attendent que des « pionniers » valident l’usage de nouveaux véhicules avant de les acquérir eux-mêmes.
« Ensuite, l’offre de véhicules à motorisation Crit’Air 0 ou 1 est très limitée, poursuit Armand Joseph-Oudin. Dans le groupe de travail réunissant des représentants des taxis, des constructeurs et les pouvoirs publics, quelques véhicules non diesel adaptables PMR ont été identifiés, dont le Ford Tourneo Connect à moteur essence dont la fabrication n’a pas commencé puisque l’usine est arrêtée. On doit aussi tenir compte de l’avis des passagers qui sont très critiques sur les vans sans décaissement car la hauteur sous plafond est insuffisante. C’est pour cela que cette solution n’a pas été retenue pour les véhicules subventionnés. » Autre difficulté, opérationnelle celle-là, les vans taxis PMR sont plus volumineux et ne peuvent entrer dans les parkings en sous-sol où sont installées les bornes de recharge rapide électrique, ni dans certaines stations souterraines de gares parisiennes (gare de Lyon actuellement, gare du Nord prochainement.) L’écart existant entre l’offre en véhicules adaptables et la réglementation technique et administrative fait que l’offre de transport par taxi adapté reste à construire.
Laurent Lejard, mai 2022.