Écrivons-le clairement : la plupart des municipalités se désintéressent des « désagréments » infligés aux usagers handicapés du stationnement payant ; si les titulaires de carte de stationnement (mobilité inclusion ou européenne) bénéficient de la gratuité, l’emploi dans certaines villes du système de lecture automatique de plaques d’immatriculation (LAPI) leur vaut des Forfaits Post-Stationnement (FPS) élevés qu’ils doivent contester par Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO), en espérant être finalement exemptés. Et pour éviter cette sanction qui viole la loi Informatique et Libertés et celle du 18 mars 2015 instaurant la gratuité sans formalité, ils sont contraints de retirer un ticket gratuit à l’horodateur ou s’enregistrer (quand ils habitent la ville concernée) dans un fichier informatique qui les identifie comme personne handicapée. Cette seconde loi avait été adoptée pour simplifier l’accès à la ville et compenser l’inaccessibilité de nombreux horodateurs, ce que des élus locaux ont volontairement oublié pour remplir les caisses municipales.
Combien d’usagers sanctionnés ?
Il est difficile d’apprécier les conséquences sur les usagers handicapés. D’abord à Lille (Nord), qui utilise la LAPI depuis le printemps 2021 avec inscription de plaques d’immatriculation dans un fichier informatique répertoriant les usagers bénéficiant de la gratuité : « On ne discrimine pas les inscriptions, toutes les plaques sont dans la même base », justifie Jacques Richir, adjoint au maire en charge des Mobilités, qui ajoute que les justificatifs de ces ayants-droits sont conservés à part.
Il ne peut donc préciser le nombre d’usagers handicapés inscrits, ni celui de leurs RAPO : « On n’a pas de statistiques des RAPO d’usagers handicapés, on ne souhaite pas tenir un fichier discriminant. Manifestement, les personnes se sont bien habituées, les recours sont peu nombreux. » Un bon niveau d’information et d’appropriation selon lui, malgré un engagement non respecté : « On s’était engagés à communiquer via la Maison Départementale des Personnes Handicapées et les associations, on ne l’a pas fait. » Jacques Richir présente comme une avancée le retour à l’horodateur pour retirer un ticket gratuit, ce qui se fait dans d’autres villes depuis plusieurs années : « Le dispositif va totalement changer avec la réorganisation du logiciel employé, pour délivrer aux titulaires de carte mobilité inclusion un ticket non discriminant sur horodateur permettant aux agents de vérifier sur place la présence de la carte. »
Bien que peuplée de trois fois moins d’habitants, Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) a lancé sa LAPI en novembre 2021. « 845 personnes titulaires de la carte CMI option stationnement se sont inscrites sur la base de données de la Ville depuis le lancement de la LAPI, précise le cabinet du maire. Cela représente 1.129 véhicules. Thonon-les-Bains offrant effectivement la possibilité d’enregistrer deux véhicules. La collectivité ayant largement communiqué sur l’enregistrement des PMR. » Pour les non-résidents, l’information sur le site web de la ville est particulièrement réduite. En revanche, la ville ne catégorise pas les motifs de RAPO : « Le traitement informatique actuel ne permet pas les quantifications demandées. A ce jour, la cellule en charge de la gestion des contestations du stationnement payant statue en fonction des éléments factuels apportés par l’usager et n’opère pas de classement en fonction des différentes catégories d’usagers. M. le Maire tient à vous préciser également que la Ville a donné systématiquement une suite favorable à tous les usagers en possession de carte PMR stationnement qui ont réalisé une demande de RAPO. » Sceaux (Hauts-de-Seine), de son côté, ne figure plus parmi les villes concernées : « Le procédé du contrôle automatique n’est plus utilisé à Sceaux depuis 2019, répond son porte-parole. Il a été rapidement abandonné car il ne correspondait pas aux besoins et attentes de la Ville. Tout FPS dressé fait l’objet d’une vérification humaine sur place. »
Mais Bordeaux (Gironde) s’y est mise en janvier dernier : « 3.029 personnes ont inscrit une plaque d’immatriculation dans la banque de données municipale, quel que soit leur lieu de résidence, précise Olivier Escots, adjoint au maire chargé du Handicap. 8.000 à 10.000 tickets PMR valables pendant 24 heures sont émis chaque mois sur les horodateurs. » La ville s’est appuyée sur l’expérience de celles qui pratiquent le contrôle automatique, concédé ici à Transdev. Les usagers handicapés peuvent également obtenir un ticket gratuit sur les applis mobiles Easy Park et Flowbird. « Depuis janvier, 3.300 RAPO ont été déposés par des personnes handicapées, ajoute Olivier Escots, mais je ne peux vous dire le nombre d’acceptation. » Il affirme toutefois que les recours baissent au fil du temps. « Le système LAPI entre dans un cadre environnemental de la politique de la ville, en mobilisant nos réseaux, la presse municipale, la Maison Départementale des Personnes Handicapées, etc. Le gros enjeu concerne maintenant l’information des personnes extérieures à la ville. »
Et à Paris ? L’adjoint au maire chargé du Stationnement, David Belliard, a lancé le contrôle automatique en mars dernier sans aucune concertation avec les associations de personnes handicapées, confirme le représentant départemental de l’APF France Handicap, Jacques Gonzales : « On n’a pas de discussion avec David Belliard. A chaque fois qu’on lui écrit, il n’y a aucun retour, même sur le projet d’interdiction de circulation dans les arrondissements centraux. » De plus, l’adjoint au Handicap, Jacques Galvani, n’est plus actif depuis le début de l’année et démissionnaire en juin alors qu’il était le seul interlocuteur régulier avec la mairie de Paris. Et comme cette dernière ne répond pas aux demandes d’information, il est impossible actuellement de connaître l’impact du contrôle automatique sur les usagers handicapés du stationnement payant.
Du côté des sous-traitants
Société spécialisée dans la gestion de parkings, Effia (filiale Keolis SNCF) a étendu ses activités au contrôle du paiement en voirie. Elle opère des véhicules LAPI pour effectuer du pré-contrôle destiné à diriger les agents à pied vers les « gisements » de non-paiement, comme à Béziers (Hérault) et Vincennes (Val-de-Marne). « Il n’y a pas de contrôle automatique sans vérification visuelle, répond le porte-parole de la ville. Le véhicule LAPI à Vincennes n’est qu’une aide pour rationaliser le contrôle des agents. Ils doivent donc vérifier si une carte CMI-S ou ancienne carte équivalente est apposée. »
Ce que confirme le directeur régional d’Effia, Emmanuel Savre, dont la société gère également les recours : « 10% des RAPO sont liés à l’usage de la carte de stationnement. Sur 6.000 recours à Montreuil (Seine-Saint-Denis), 500 concernent le stationnement PMR. On accepte une petite moitié de RAPO au total, et près de 80% pour les usagers handicapés. » Avec parfois des surprises, tels des fraudeurs qui font des recours en invoquant une fausse carte. « On ne dépose pas plainte », ajoute Emmanuel Savre. De ce fait, le faussaire échappe à une sanction pénale dissuasive. « Montreuil est assez spécifique, reprend Emmanuel Savre, avec de nombreuses plaques d’immatriculations étrangères, des ventes de véhicules sans transfert de propriétaire. La ville utilisait une voiture LAPI, peu utilisée par la police municipale, et on s’est rendu compte que dans la plupart des cas il valait mieux un passage physique qu’un contrôle automatique. »
Ce que précise Olivier Stern, adjoint au maire chargé notamment du stationnement : « J’ai personnellement refusé le contrôle automatisé du paiement du stationnement, tant que la démonstration ne sera pas faite qu’il peut vérifier la présence d’une carte. On utilise pas de LAPI pour le stationnement payant, on l’a abandonné pour le stationnement gênant dans l’attente d’une législation conforme aux recommandations de la Commission Nationale Informatique et Libertés. On avait créé un fichier de cartes PMR, à la demande d’associations, arrêté depuis parce qu’il crée des inégalités de traitement entre habitants et visiteurs. »
Il déplore pourtant jusqu’à 30% de fraudes à la carte de stationnement, et des vols de cartes authentiques dans les voitures. « Sur les vecteurs de fraudes, reprend Olivier Stern, on est obligé de rebattre les cartes et on demande au délégataire [Effia] de former ses agents. On l’a chargé d’être très en alerte sur la mise en oeuvre des nouvelles cartes [CMI], notamment avec des moyens techniques. » A ce sujet, si la ville a connaissance du numéro du serveur vocal permettant de vérifier la validité d’une CMI (08 06 00 88 66), l’élu ne sait pas si un agent assermenté a le droit de l’interroger, ce qu’il peut dans les faits, comme n’importe qui d’ailleurs.
Dans la plupart des villes il est possible de payer le stationnement via une appli mobile délivrant également un ticket gratuit PMR, telle celle d’Easy Park qui opère dans 80 villes, dont 10 proposent un tel ticket : « On n’enregistre pas les usagers et donc pas de type d’usager, précise son directeur, Olivier Koch. En fonction des pays, on obtient ou pas la qualité ouvrant droit à une gratuité, pour les médecins par exemple. En France c’est typiquement déclaratif, par exemple pour obtenir le ticket handi sur notre appli, avec affichage d’un message d’avertissement sur son bon usage. » En pratique, n’importe qui peut obtenir ce ticket gratuit sans fournir de justificatif, sauf à Lille où le client doit, à la demande de la ville, entrer le numéro de sa CMI stationnement. Mais Easy Park ne peut communiquer le nombre de tels tickets, que ce soit par ville comme globalement parce que cette donnée ne serait pas représentative. Là, comme auprès des communes, il reste difficile de dresser un bilan des conséquences de la complexification pour les usagers handicapés du droit au stationnement urbain gratuit de leurs véhicules.
Laurent Lejard, septembre 2022.