Paris organisera ses premiers Jeux Paralympiques du 28 août au 7 septembre 2024, en pleine rentrée scolaire. Ce calendrier suffit à prédire le peu d’intérêt que les Parisiens porteront à une compétition dont l’organisation, avec celle des Olympiques de fin juillet, pourrit littéralement leur vie depuis plus de deux années marquées par d’innombrables chantiers, encombrements, désordres en tous genres et interdictions diverses. Les Jeux de 2024 seront une fête en pleine ville pour les amateurs de performance sportive, suivis d’un retour à la normale espéré par des habitants excédés dont tous ceux qui le peuvent fuiront Paris lors des Olympiques. Habitants qui subissent tous les inconvénients sans aucun avantage ni considération des pouvoirs publics, ni compensation des désagréments, devant payer les billets d’entrée comme tous les autres, aux mêmes prix prohibitifs.
Un narratif contre l’inclusion
Cette édition ne sera pas une compétition à laquelle « l’important est de participer », mais un spectacle sportif, revendique la marketeuse Julie Matikhine, directrice de la marque chez Paris 2024 : « Paris veut écrire une histoire exceptionnelle, avec des lieux magiques dans la plus belle ville du monde. Un spectacle sportif exceptionnel au coeur de la ville, totalement inédit. » Dans ce « narratif », les Paralympiques constituent « le match retour » complétant le scénario, la grande histoire olymparalympique en deux manches, avec les mêmes symboles, ambition, niveau d’intensité. « C’est le retour des émotions, le moment où tout peut basculer. ». Et de dicter aux journalistes l’angle de leurs articles : « C’est une posture qu’il faut que vous nous aidiez à partager le mieux possible », un angle sport de haut-niveau et performance. Mais ce discours finit par déraper quand Julie Matikhine invoque le « levier de l’empathie. Ces sportifs portent des histoires extraordinaires, une forme de résilience exceptionnelle, le sport a changé leur vie. »
Des super-héros donc, sauf que le terme est réfuté : « On n’a pas construit ce match retour autour de la notion de super-héros mais des émotions du sport, objecte Michaël Aloïsio, directeur général délégué. Le défi qui est devant nous est de changer le regard des gens qui ne sont pas en situation de handicap. Les Jeux Paralympiques sont une occasion unique pendant onze jours de rendre visible le handicap, ce qui n’est pas forcément le cas dans notre pays, et de l’associer à ces notions extrêmement positives de sport, d’émotions, de performances. » Handicap = émotion + performance, un stéréotype opposé à l’inclusion ordinaire de personnes vivant avec un handicap au sein de la population.
Billetterie tardive = pas d’hébergements
Il n’y aura probablement que quelques poignées d’hébergements accessibles et adaptés à louer à Paris et proximité au moment où les candidats spectateurs pourront acheter des billets, soit à partir du 9 octobre. La plus importante plate-forme de réservation, Booking.com, comptait le 30 août 140 établissements ou appartements accessibles sur les 1.188 ayant encore de la place pour le 28 août 2024, jour de la cérémonie d’ouverture, puis 66 seulement le 31 août, 80 le 3 septembre et 73 le 7, jour de clôture des Paralympiques. Le Comité d’organisation (COJOP) était pourtant, dès février dernier, alerté de ce décalage entre vente de billets et période d’ouverture de la location d’hébergement, il n’a pas pour autant avancé l’ouverture de la billetterie.
L’Office de tourisme de Paris (OTCP) effectue actuellement sur le territoire du Grand Paris, couvrant la capitale et les départements limitrophes de petite couronne, un recensement de l’offre : « Nous développons une plate-forme de suivi des disponibilités et prix des hébergements hôteliers pendant les Jeux, couplée à une collecte d’information permettant de mettre à disposition l’information sur le niveau d’accessibilité (tout handicap) de ces hôtels. » Et de rappeler que « Paris2024 a préempté [jusqu’à fin 2023] 50.000 chambres sur les 124.500 disponibles, soit 40% du parc. » Si l’OTCP estime dans le Grand Paris à 3.755 les chambres accessibles aux personnes à mobilité réduite pendant les Olympiques et les Paralympiques, il ne peut en préciser la disponibilité : il ne lancera sa centrale de réservation qu’à l’automne prochain.
Ce recensement tardif pallie la déshérence depuis plus de 10 ans de la marque Tourisme et Handicap (T&H) dans toute la région Île-de-France, après en avoir été leader : deux résidences de tourisme seulement sont labellisées à Paris et cinq hôtels dans les autres départements franciliens. Si la marque T&H repose sur une vérification sur place, les ministères des Sports et du Tourisme mettent en avant la plate-forme d’État Acceslibre qui revendique 160.000 lieux répertoriés. Sauf que ses fiches sont rébarbatives et peu fiables : la plupart des informations proviennent de l’exploitant, non vérifiées, et la présentation est aussi sexy qu’une porte de prison. La Délégation interministérielle aux Jeux Olympiques et Paralympiques (DIJOP) espère encore gonfler le chiffre des hébergements accessibles en envoyant prochainement des Ambassadeurs de l’accessibilité évangéliser des exploitants : or une telle opération a déjà été lancée trois fois, et a trois fois échoué.
Le COJOP a réduit de près de 20% le nombre de billets, 2,8 millions contre 3,4 annoncés en mai dernier : 13% sont déjà achetés par l’État (pour des élèves et quelques milliers de personnes handicapées), la ville de Paris et d’autres collectivités. 2,4 millions de billets seront donc en vente à des tarifs nettement inférieurs aux Olympiques, de 15 à 100€ (et même 10€ pour les enfants accompagnant leurs parents), 80% des billets coûtant moins de 50€. Des offres « pass découverte » à 24€ couvriront même de 3 à 7 sessions de disciplines diverses afin de contribuer à les faire connaître du grand public. Mais pour la cérémonie d’ouverture sur la place de la Concorde, il faudra casser sa tirelire, la place la moins chère étant à 150€. A noter un nombre limité à 30 billets par compte, ce qui fait qu’une personne handicapée ayant besoin d’un accompagnateur ne pourra assister qu’à 15 sessions. Ce que les heureux acheteurs ne sauront qu’en arrivant sur les sites de compétition, c’est qu’une zone de sécurité d’environ 300 mètres les obligera à marcher ou rouler, même s’il vienne en taxi ou transport adapté. Enfin, le COJOP refuse de communiquer les recettes espérées, de même qu’il ne veut pas préciser le nombre de places fauteuil roulant (PFR) ou situation de handicap (PSH) vendues pour les Olympiques ; ces chiffres sont pourtant essentiels pour apprécier le besoin en hébergements adaptés.
Pas plus de transports accessibles
Chiffres néanmoins transmis à l’autorité organisatrice Île-de-France Mobilités (IDFM) chargée d’élaborer un plan palliant les lacunes d’accessibilité des transports et la complexité des procédures de ceux qui sont utilisables avec aide. Pour les Olympiques, IDFM déploiera des navettes transportant 3 ou 4 personnes en fauteuil roulant depuis les gares parisiennes et à destination des sites de compétition. Dispositif repris pour les Paralympiques, sauf que la très grande difficulté des visiteurs pour se loger aura comme conséquence de réduire fortement le nombre de spectateurs handicapés moteurs, et la pression sur les transports adaptés. On ose croire que ce n’était pas le but recherché, parce que les Paralympiques auront lieu, faut-il le rappeler, en pleine rentrée scolaire ; il faudra alors qu’IDFM assure à la fois l’aide quotidienne aux voyages des franciliens handicapés, les transports scolaires des enfants et jeunes handicapés, et en plus celui des spectateurs handicapés interdits de transports collectifs !
Les Jeux de Paris n’auront pas accéléré l’accessibilité du réseau francilien, contrairement à ce qu’affirmait en juillet 2019 la présidente du Conseil Régional et d’IDFM, Valérie Pécresse : « Dans 5 ans, 60 % du réseau ferré (métro, train, RER et tramway) sera accessible, soit 639 gares et stations sur 1065. » En fait, plus d’une centaine de gares et stations manqueront à l’appel à l’été 2024. Et il faudra toujours demander l’aide du personnel pour entrer et sortir des trains, l’accessibilité en autonomie ne progressera pas. On constate en outre un important retard puisqu’aucune des nouvelles lignes de métro du Grand Paris ne sera achevée. Seules seront réalisées les extensions nord et sud de la ligne automatique 14, de l’aéroport d’Orly au Carrefour Pleyel (à plus de 2 kilomètres du stade de France). Quant aux gares mises en accessibilité, elles sont inscrites depuis 2015 dans la révision du schéma régional d’accessibilité des transports.
L’accessibilité aléatoire du village olympique
Bâti entre la Seine et le carrefour Pleyel, le village des athlètes est conçu pour devenir un nouveau quartier à cheval sur trois communes. Ses nombreux bâtiments et la voirie sont encore en chantier, il est impossible d’apprécier la conception en accessibilité universelle mise en avant par la société d’Etat Solideo, ordonnateur du programme. Toutefois on sait déjà qu’il n’est pas prévu d’intégrer des bandes de guidage podotactiles dans les trottoirs et des bornes sonores devant les entrées des équipements publics. Un prototype de plan tactile-braille-sonore est expérimenté, avec comme seule innovation une rose des vents sonore.
Quant aux logements, l’appréciation de leur adaptation se résume à la visite d’un seul appartement témoin de 4 pièces… mal adapté : si les circulations et entrées sont larges et confortables, la salle de bains comporte une baignoire sans plage de transfert et un meuble sous le lavabo, la salle d’eau avec douche est inutilisable par des personnes paralysées puisque la barre de transfert est fixée sur le mur du fond (une erreur de débutant) et son WC trop éloigné du mur pour que la barre d’appui soit aisément utilisable. Puisque tous les logements sont destinés à être habités quelques mois après les Jeux, ils sont livrés murs blancs, au détriment des athlètes malvoyants qui n’y verront que du brouillard, les portes des pièces n’étant pas repérables, de même que les équipements intérieurs puisque la commande d’interrupteurs et prises électriques contrastés a été zappée. En sortant de la visite, on se demande à quoi a servi la mobilisation de multiples groupes de concertation associative et d’experts d’usage.
Tous les discours officiels du COJOP, des ministres et des élus locaux ont évoqué l’héritage que laisseront les Jeux de Paris 2024 en faveur des habitants handicapés (lire cet article). En matière de transports collectifs, il se limitera aux arrêts de bus que la ville de Paris affirme mettre actuellement en accessibilité alors que la RATP avait décrété dès janvier 2010 qu’ils l’étaient. A cet égard, l’adjointe au maire chargée du handicap, Lamia El Aaraje, affirme que 53% des points d’arrêts sont accessibles, soit 800 sur les 1.500 existants, plus 300 rendus conformes cet été, et qu’une centaine sera traitée d’ici mars 2024 ; problème, il restera alors 300 arrêts inaccessibles. Pour les établissements recevant du public, la ville de Paris ne prévoit que 17 quartiers d’accessibilité augmentée couvrant 8% du territoire communal ; Lamia El Aaraje, affirme que les adaptations seront achevées pour les Jeux, alors que les appels à projets subventionnés n’ont été lancés que dans 3 quartiers. Le département de Seine-Saint-Denis, qui accueillera le village olympique et une bonne part des compétitions, n’ouvrira finalement son nouveau lieu parasportif, le Prisme, qu’après les Jeux, et les communes ne semblent pas engager d’actions supplémentaires en matière d’accessibilité de la voirie et des espaces publics. Les coûteux équipements sportifs de prestige dont héritera le département sont d’ailleurs déconnectés des besoins de la population la plus pauvre de France.
Restent les discours : « On a la conviction que la France va se réveiller différente », clame Michaël Aloïsio. « Collectivement, on va prendre une claque monumentale », enchérit son président, Tony Estanguet. Vraiment ?
Laurent Lejard, septembre 2023.