Lors de la Conférence Nationale du Handicap du 26 avril dernier, le président de la République avait surpris l’auditoire en annonçant la réforme globale des conditions de scolarisation des enfants et jeunes handicapés. Si certaines dispositions avaient déjà été évoquées, telle la fusion des Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap avec les Assistants d’Éducation (ce qu’aucun d’eux ne semble souhaiter) et le transfert à l’administration de l’Éducation nationale de l’attribution de ces personnels et des matériels pédagogiques, tous les acteurs s’attendaient à une concertation préalable pour en définir les dispositions. Mais le Gouvernement a voulu aller vite en intégrant cette réforme globale dans le projet de loi de finances pour 2024.
Son article 53 crée, à compter de septembre 2024, une centaine de pôles d’appui à la scolarité (PAS) chargés de définir les mesures d’accessibilité, l’accueil et l’accompagnement des élèves handicapés et de leurs familles, et d’expertiser les besoins des élèves : « ils définissent, coordonnent et assurent la mise en oeuvre de réponses de premier niveau, qui prennent notamment la forme d’adaptations pédagogiques, de mise à disposition de matériel pédagogique adapté, et d’intervention de personnels de l’éducation nationale en renfort ou […] de professionnels des établissements et services médico-sociaux. » Ce n’est qu’après cette procédure que les parents pourront éventuellement saisir la Maison Départementale des Personnes Handicapées « d’une demande de reconnaissance de handicap et de compensation. » Chaque PAS décidera d’attribuer un accompagnement et le nombre d’heures estimé nécessaire, et remplacera l’actuel PIAL (Pôle inclusif d’accompagnement localisé) ; sa compétence est étendue à l’enseignement privé sous contrat. Les familles insatisfaites de l’aide et accompagnement définis par le PAS pourront « saisir une commission mixte associant, dans le département, des personnels de santé et des personnels éducatifs. » Le déploiement des PAS sera achevé au plus tard en septembre 2026.
Sur le fond, on peut se demander si la loi de finances est le bon vecteur législatif pour porter ce bouleversement puisque l’impact financier est quasi nul, et constater sur la forme que cette précipitation met les acteurs devant le fait accompli : le débat sera très limité et la loi votée, au forceps de l’article 49.3 de la Constitution si nécessaire. Qu’en pensent les associations nationales qui ont bien voulu réagir ?
Emmanuel Guichardaz, Responsable projets scolarisation de Trisomie 21 France
Nous avons plutôt accueilli de manière positive la création annoncée des pôles d’appui à la scolarité, issus de la Conférence nationale du handicap du 26 avril. Pour nous, cela signifie que l’Éducation nationale prend ses responsabilités sur les réponses de premier niveau, en mettant en place les adaptations et aménagements qui sont de son ressort, et en mobilisant des acteurs médico-sociaux pour ce qui ne relève pas de son champ d’intervention. Cela suppose que les moyens de l’Éducation nationale soient présents : psychologues de l’EN, médecins, enseignants spécialisés, etc.
Ce n’est pas la première fois qu’est évoquée la mise en oeuvre de premières réponses : la circulaire de 2016 sur le parcours des élèves en situation de handicap y faisait explicitement référence. Nous sommes bien évidemment circonspects sur l’expertise des besoins qui, dès lors qu’ils relèvent de la compensation, doivent rester dans les attributions de la Maison Départementale des Personnes Handicapées. D’une manière générale, nous souhaitons qu’elle garde ses prérogatives d’élaboration du plan de compensation de son volet scolaire, le PPS. De ce point de vue, l’alinéa 13 [de l’article 53] qui renvoie, en cas de désaccord avec la famille, à une « commission mixte » dont la composition n’est pas à ce jour fixée nous inquiète au plus haut point.
Cet article de la loi de finances a été introduit, nous dit-on, pour permettre dès 2024 une préfiguration des PAS dans certains départements. S’il s’agit d’expérimenter, il ne faut pas ériger de règles strictes dès le départ. La loi de finances porte surtout sur les moyens à engager (un enseignant spécialisé affecté à la coordination du PAS) ; il est inutile, voire dangereux de fixer, en dehors de toute concertation, un mode unique de fonctionnement.
Nicola Eglin, président de la Fédération Nationale des Associations au Service des Élèves Présentant une situation de Handicap (FNASEPH)
Sur le fond, que l’Éducation nationale ait la responsabilité des réponses de premier niveau pour assurer immédiatement la scolarisation des élèves en situation de handicap nous semble être plutôt une bonne idée, à partir du moment où l’accord de la famille est bien pris en compte et que la saisie de la MDPH est possible pour des interventions de compensation complémentaires. Le texte nous apparaît toutefois dangereux puisque [l’alinéa 13 de l’article 53] propose la création d’une commission dont les décisions seraient supérieures à celles de la MDPH.
Il serait judicieux de préciser les différences de périmètres entre les équipes mobiles d’appui médico-social à la scolarisation (EMAS) et les PAS. Par exemple en modifiant l’alinéa 8 en ajoutant « en lien avec la situation de l’élève pour lequel ils ont été saisis », les EMAS intervenant plutôt en soutien aux équipes enseignantes et éducatives globalement. Nous ne comprenons pas l’alinéa 11 et la mention d’une intervention possible portée par une association ou un groupement d’associations ayant conclu une convention avec l’État. S’il s’agit de réactiver la convention historique entre l’EN, la FGPEP, l’APAJH et la FNASEPH, cela ne nous semble pas adapté. Nous ne comprenons pas dans l’alinéa 13 le rôle de la nouvelle commission mixte mentionnée et son articulation avec la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH). Il y a là effectivement matière à être inquiet sur le respect des droits des familles en particulier sur les procédures de recours éventuelles. Nous préférerions que cet alinéa soit supprimé, et que la décision qui s’impose soit bien celle de la CDAPH uniquement. C’est pour nous un point bloquant dans ce texte. L’intervention de deux professionnels du secteur médico-social dans les PAS (annoncée par la Ministre dans une interview à Hospimédia) est évoquée dans l’alinéa 5 uniquement par voie de convention sans engagement clair sur le financement correspondant, ni sur les mécanismes de présence et d’intégration au sein de l’équipe du PAS.
Sur la forme, il n’y a pas eu de concertation sur ce texte, en tout cas pas avec notre fédération. La relance tardive du CNCPH a aussi eu pour conséquence que sa commission éducation scolarité n’a pas été sollicitée pour donner son avis.
Didier Voïta, Président de la Fédération ANPEDA (association nationale de parents d’enfants déficients auditifs)
Concernant l’article 53, il semble de prime abord que l’Éducation nationale ait la volonté de constituer les bases d’une école vraiment inclusive, qu’elle se soit enfin saisie (18 ans après la loi de 2005 !) de la nécessité de prendre en charge la scolarisation de tous les élèves. En se saisissant rapidement des demandes de chaque élève en besoin d’accompagnement(s) spécifique(s) et en publiant les moyens financiers dédiés à la mise en oeuvre de cette politique.
En réalité, nous sommes habitués à ce que la réponse de l’Éducation nationale soit administrative, et que son cheval de bataille reste le quantitatif. Certes les MDPH souffrent encore de délais trop importants dans le traitement de certains dossiers, mais il faut absolument un « contre-pouvoir » à la décision des PAS. Les familles peuvent-elles contester ? Que se passe-t-il si la MDPH saisie postérieurement conteste la pertinence des moyens déployés (ou non) par le PAS ? On sait trop, par les expériences précédentes, la pente naturelle des instances éducatives à proposer aux élèves et aux familles les solutions qu’elles possèdent et à caler la réponse aux demandes sur l’offre déjà existante. C’est ce que nous connaissons depuis des décennies avec les élèves sourds. Ces derniers ont besoin de professionnels de la communication (interprète en LSF, codeurs LfPC) et non du sur-handicap d’AESH ignorant tout de la surdité et de ses besoins. Résultat, après de très faibles progrès (par souci d’économie) près de 70% de ces élèves n’ont aucun accompagnement adapté à leur situation de handicap… et pourtant ces « aides », quand elles existent, viennent grossir les effectifs chiffrés du ministère.
Il nous paraît donc :
- salutaire que l’Éducation nationale accueille et forme tout l’éventail des enfants de la République ;
- nécessaire que le PAS apporte des réponses rapides et éclairées aux situations qui se présentent et impliquent les familles et les professionnels du handicap dans la prise de décision ;
- indispensable que le payeur ne soit pas l’unique prescripteur : la MDPH doit conserver son rôle de prescripteur final et de recours pour éviter des prises en charges incomplètes inadaptées, bref, les conflits d’intérêt.
C’est pourquoi nous demandons que soit étendue ou créée l’installation des PEJS (Pôle d’éducation des jeunes sourds) préconisés par la circulaire de février 2017 sur tout le territoire. La généralisation de ces PEJS est retardée :
- par l’absence de moyens financiers (dans la perspective où l’on sacrifie le qualitatif au quantitatif, on nous oppose depuis des décennies le coût du dispositif rapporté au nombre d’élèves sourds) ;
- par l’absence de vrai plan métier visant à anticiper les besoins en professionnels de la communication et à en planifier les formations ;
- et paradoxalement par les sacrifices forcenés consentis par les familles et les enseignants qui réussissent à assurer malgré tout une scolarité décente à ces élèves sourds. Après tout, ces 60% sans aide ne posent pas trop de problèmes. Mais à quel prix !
Enfin, pour la question de la forme, comme les élèves sourds ne sont finalement pas trop concernés par ces PAS, il n’y a eu aucune concertation. Pour ce qui est des PEJS, elle est minimale et consiste surtout en points d’étapes aux résultats généralement statistiques.
François Bernard, directeur général du Groupement des Associations Partenaires d’Action Sociale (GAPAS)
Le Gapas promeut une approche par les droits, à ce titre il défend celui de la scolarisation de tous les enfants à l’école de la République, s’inscrivant dans le respect de l’article 24 de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Nous sommes favorables à ce que la scolarisation de tous les élèves relève de l’Éducation nationale, mais s’agissant des enfants en situation de handicap, la collaboration avec le secteur médico-social demeure bien sûr indispensable. Les PAS doivent soutenir ce partenariat et la réalisation la plus large des mesures suivante, dans laquelle nous sommes activement engagés :
- Penser le rôle de tous les acteurs – enseignants, accompagnants des élèves en situation de handicap, professionnels issus du champ médico-social, familles – dans une dynamique coopérative construite à partir des besoins de l’enfant ;
- Former les enseignants à l’accueil des élèves en situation de handicap ;
- Adapter les contenus pédagogiques et l’organisation au profil et aux spécificités de chaque élève ;
- Réduire les effectifs des classes pour offrir le meilleur accompagnement à chacun.
Nous avons des espaces d’échanges avec les ministères et les administrations et oeuvrons à faire entendre notre voix, par exemple dans le cadre d’actions menées collectivement : je vous invite à consulter la page Facebook de ma place, c’est en classe.
Et les autres ?
Curieusement, les poids lourds de l’associatif national n’ont pas voulu réagir. « L’agenda contraint du Président ne me permet pas, malheureusement, de donner suite à votre demande », répond la porte-parole de la Fédération APAJH, organisation qui a réitéré lors de la rentrée de septembre son soutien à l’action du président de la République en matière de handicap. « Je suis désolée mais l’Unapei ne prend pas la parole sur ce sujet », répond sa porte-parole ; elle est pourtant la plus importante des organisations du secteur du handicap mental, et s’affirme très impliquée dans l’éducation inclusive avec sa campagne #jaipasécole !
Laurent Lejard, octobre 2023.