Atout France : seuls les professionnels du tourisme connaissent cette agence de développement touristique qui est l’opérateur de l’État pour la promotion du tourisme en France. Elle effectue des missions d’ingénierie, conseil, prospective, ainsi que de communication vers les clientèles étrangères. Et elle doit prochainement hériter de la gestion de deux des trois marques d’État en matière touristique, Qualité Tourisme et Tourisme et Handicap, alertent ADN Tourisme et l’Association Tourisme et Handicaps (ATH). Créée en mai 2001 par Michelle Demessine, alors secrétaire d’État au tourisme, la seconde marque a connu de multiples péripéties : démarrage sans moyens, lente sensibilisation et implication des acteurs de terrain (offices et comités locaux, départementaux et régionaux de tourisme, organismes professionnels), soubresauts politiques et organisationnels pesant sur son développement. Et malgré près de 25 années d’existence, la marque attribuée pour 5 ans n’est affichée que par une infime minorité des sites et activités concernées : 4.333 fin 2023, sans jamais avoir atteint les 6.000.
Tout cela deviendra de l’histoire ancienne dès qu’Atout France héritera de la gestion de Tourisme et Handicap, pour cette raison simple : cette agence d’État se désintéresse de l’accessibilité touristique des personnes handicapées, se contentant de prêter ses locaux à des formations organisées par l’ATH, actuelle gestionnaire de la marque, et de publier quelques reportages (rémunérés ?) réalisés par un couple d’influenceurs n’évoquant que les activités en fauteuil roulant, comme on le faisait au siècle dernier. Chargée de la promotion de notre pays vers les clientèles étrangères, Atout France ne valorise pas le tourisme accessible aux visiteurs handicapés venant en France, seul pays au monde à disposer d’une marque nationale garantissant un accueil adapté et confortable. Et quand on évoque cette agence d’État avec des professionnels des services et comités locaux, départementaux et régionaux de tourisme engagés dans l’accessibilité touristique, leurs propos sont assez peu aimables à son égard. « Concernant le transfert de la marque Tourisme et Handicap, répond Atout France par courriel, celui-ci relève d’une décision ministérielle encore en cours ; c’est pourquoi Atout France n’est à ce stade pas en mesure de s’exprimer sur les modalités futures de ce transfert et de gestion. […] Très attachée à la concertation et à ses relations avec les acteurs de terrain, Atout France, GIE regroupant 1.200 partenaires du tourisme, aura à coeur de veiller à la qualité des échanges avec les acteurs qui, sur le terrain et au national, font vivre cette marque, en s’employant à améliorer ensemble toujours davantage l’accessibilité du tourisme français. »
A la charge des collectivités territoriales
Transfert qui se fera sans les (maigres) moyens actuellement dédiés à l’organisation nationale, ni le réseau créé et géré par l’ATH qui vient d’ailleurs de fermer son bureau parisien. « On n’a aucune nouvelle de nos financements, justifie son inamovible présidente depuis 2001, Annette Masson. Alors on quitte les locaux de l’Association Professionnelle de Solidarité du Tourisme. On n’a plus de salarié depuis septembre 2023. Notre convention avec l’État était renouvelée de mois en mois depuis mai dernier. »
L’ATH ne disposait plus que de 35.000€ de subvention d’État, contre 150.000€ dans ses années fastes ; malgré la collaboration avec ADN Tourisme, qui fédère 1.300 organisations territoriales de promotion du tourisme et recevait 55.000€ pour promouvoir le tourisme accessible, la marque Tourisme et Handicap ne disposait plus que de 90.000€ pour exister depuis Paris. Parce que sur le terrain, ce sont annuellement des centaines de milliers d’euros qui sont engagés par les organisations territoriales de promotion du tourisme en actions d’information et sensibilisation, visites d’évaluations, actions de promotion, évangélisation et communication, etc. Sans impulsion nationale, tous ces efforts sont compromis à court et moyen terme et l’accessibilité touristique ne serait plus identifiable par une marque de qualité. Cela en pleine année où la France va recevoir le monde à l’occasion des Jeux de Paris, ville dont l’identification de l’accessibilité touristique est d’ailleurs sinistrée : seulement 26 établissements et lieux titulaires de la marque Tourisme et Handicap dans la capitale !
Décision ministérielle ou de l’administration centrale ?
On sait qu’en 2022 la Direction Générale des Entreprises, l’une des administrations du ministère de l’Économie et des Finances, voulait se débarrasser de la marque d’État Destination pour Tous (qualifiant l’accueil et l’accessibilité d’un territoire touristique pour les visiteurs handicapés) au profit de la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité. Celle-ci a refusé, arguant qu’elle n’avait pas compétence en matière de tourisme et manquait de personnel, et a mis ce transfert en échec. La DGE se rattrape aujourd’hui en sacrifiant Tourisme et Handicap. « Atout France a été mise devant le fait accompli par la ministre [chargée du tourisme] Olivia Grégoire, ajoute Annette Masson. Et il faut qu’Atout France veuille bien gérer la marque. Elle n’a jamais rien fait pour la promotion du tourisme accessible vers les clientèles étrangères, même pas à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris. De plus, la production de marques dépend des réseaux d’ATH et d’ADN Tourisme, mais beaucoup d’interlocuteurs locaux ne veulent pas travailler avec Atout France, qui sera obligée de constituer son propre réseau. » Menace, moyen de pression pour négocier ou réalité ?
Le cabinet de la ministre du tourisme met sur le compte d’un lobbying le communiqué d’alerte et la pétition lancées par ADN Tourisme et ATH. Il affirme qu’Olivia Grégoire est la première ministre à s’être battue sur l’accessibilité en créant le Fonds Territorial d’Accessibilité (lire l’actualité du 2 octobre 2023) et qu’une large concertation a été conduite avec tous les acteurs : « Ce sont des marques d’État, c’est à l’État de décider à qui les confier. La refonte des marques a été impulsée par la ministre. Elle a mis sur la table un groupe de travail, avec les associations concernées, tout le monde a remonté ses propositions. Il a permis de réunir tout le monde pour une transparence du transfert des marques, afin qu’elles soient mieux connues par les professionnels. » Pour autant l’alerte d’ADN Tourisme et d’ATH irrite : « Ce transfert prend du temps, et le cabinet ne se fait pas imposer son calendrier. On déplore que certains aient décidé d’une guerre intestine contre Atout France. Durant l’ensemble des discussions avec ces deux organisations, on a bien indiqué qu’il y aurait un seul interlocuteur pour gérer les marques. Un marché public, auquel les associations pourront candidater, appuiera la gestion des marques, Atout France ne la fera pas seule. »
Autre acteur national de la promotion du tourisme accessible, ADN Tourisme semble désemparé. « Tout se passait bien avec la DGE, on était reconnu pour développer les deux marques sur le territoire, justifie son directeur général adjoint, Christophe Marchais. La DGE délègue les marques, on entend moins parler de Destination pour Tous, on est dans une période de réflexion intense. La DGE a voulu se débarrasser de la partie gourmande en ressources humaines de la gestion des marques. » Avec une absence totale de communication et d’échange, comme sait si bien faire l’administration centrale. « Les discussions sur le transfert des marques sont engagées avec Atout France depuis un an, poursuit Christophe Marchais, et il devrait être acté dans les prochaines semaines. On aurait aimé que cette longue période se passe le mieux possible. On a une salariée parfaitement formée, notre réseau compte près d’une centaine de personnes formées et référentes, en relation permanente. On ne croit pas qu’Atout France ait la même capacité; le savoir-faire de notre salariée pourrait se perdre, alors qu’on est dans une année très particulière. Si ces marques n’ont pas atteint le niveau qu’elles pourraient atteindre, c’est du fait de l’absence de promotion en France comme à l’étranger. Il nous paraît pertinent qu’Atout France assure cette promotion, cela fait partie de ses attributions pour toutes les composantes de la destination France. » Ce que cette agence d’État a toujours refusé en matière de tourisme des personnes handicapées, qui risquent d’être les principales victimes de cette déshérence annoncée.
Laurent Lejard, mars 2024.