Depuis son départ en retraite, Yamina Khodri partage son temps entre l’Algérie et la France. Dans le cadre de son travail en Algérie, elle a côtoyé de nombreuses personnes handicapées : « J’en ai tiré de grandes satisfactions, elles qui m’ont beaucoup donné ». Elle a notamment travaillé à la préfecture d’Alger, en tant que conseillère du Préfet, travaillant sur des missions sociales au contact des associations de personnes handicapées : « J’avais ma liberté d’action. Je me rappelle que des parents galéraient pour trouver du lait, alors je l’achetais en France, il y a tellement de misère. Heureusement, en Algérie, il y a le soutien de la famille, cette solidarité sauve les gens. Mais dans quelques départements, on ne voit pas les personnes handicapées, elles ne sortent pas, même si la famille s’en occupe. Alors des jeunes veulent s’en sortir à tout prix, ils rapportent des médailles dans les compétitions sportives, fondent des associations, ont des activités culturelles. L’État verse des petites pensions, des aides pour acheter du matériel, mais peu de personnes sont informées, celles qui savent s’en tirent mieux ».
Yamina Khodri a agi au plus près de la réalité, dans les services municipaux d’un quartier d’Alger, et fut assistante sociale dans une grosse association de personnes inadaptées : « J’ai fait le choix d’être au contact des personnes handicapées ». Elle a notamment travaillé pour l’intégration au sein de la Willaya d’Alger, fondant l’association loisirs et culture pour tous : « On organisait des excursions avec des personnes en fauteuil roulant, des aveugles, des sourds. On a commencé cette activité en 1986. Il y avait une chorale réunissant des aveugles, on a réalisé une chorégraphie avec un enfant sourd, même s’il était un peu en décalage avec la musique. On travaillait sans éducateur et avec toutes les personnes handicapées ». 1986 est également l’année où le gouvernement algérien décida de rapatrier les enfants myopathes qui étaient soignés en France :
« Une ministre de la solidarité l’avait décidé pour stopper l’hémorragie de devises. Les familles se sont retrouvées en grande difficulté. Les jeunes myopathes ont été regroupés dans des centres fourre-tout. C’était difficile, dur pour les familles, certaines ont préféré garder leurs enfants. Les parents veulent que leurs enfants meurent dans la dignité. La nouvelle génération voit les choses autrement ».
L’activité que Yamina Khodri créa alors se retrouve dans son recueil de poèmes, édité en 1988, Les handicapés : « J’ai voulu des textes très positifs, parce que ce recueil est destiné aux personnes valides ». Les recettes de sa vente ont financé des actions, comme la première bibliothèque sonore d’Algérie, un bassin de balnéothérapie pour personnes myopathes. « Dans mes poèmes, j’ai voulu montrer la volonté de vivre. Nous, on se plaint pour un rien, mais quand on côtoie des personnes handicapées, on constate qu’on ferait mieux de se taire. Elles m’ont toujours donné du courage ». En 1989, Yamina Khodri avait lancé des coopératives mixtes valides-handicapés, une collaboration qui fonctionnait bien. « Matériellement, on vit mieux en France. Mais on est moins isolé en Algérie, grâce à la solidarité familiale ». Une action solidaire à laquelle elle continue d’oeuvrer, en participant activement au festival Rose des Sables ou en organisant les 2e Rencontres Eaux Déserts à Alger en mai dernier.
Laurent Lejard, septembre 2008.
Un exemple de la poésie de Yamina Khodri :
Les Handicapés
Lorsque l’ont dit que les handicapés
Ont quelque chose à rattraper
Dans ce monde immonde
C’est qu’on refuse de faire la ronde
Avec eux, car ils nous sont différents ;
Alors, à eux toujours on s’en prend :
« Vous êtes les ulcères de la terre,
C’est par un fait exprès
Que l’on vous a retiré
Les yeux aux clairvoyants
La parole aux ressentants
Et l’ouïe aux bien-pensants ;
Où sont vos membres et apanages,
Vous, les moteurs de courage ?
Oh ! Dieu, je t’accuse
D’utiliser cette Ruse,
Tu m’as fait tout entier,
Mais moi, leurs qualités,
Je dois les mériter !
Qui êtes-vous, dites-moi mes frères,
A trop vous chercher on se perd ;
Etes-vous une sorte de conscience,
Insaisissable même pour la Science ?
…Moi, pour le repos de mon âme et de mon coeur
Je tends ma main à votre différence
Pour chanter tous dans notre ronde en chœur
L’unité du mal dans l’Innocence…