Après six années de rénovation complète, le Musée de l’Homme (Paris 16e) a rouvert il y a quelques semaines. Un établissement qui n’est pas qu’un lieu d’expositions, mais aussi un centre de recherche en anthropologie, ethnologie et préhistoire occupant 150 chercheurs, ainsi qu’un lieu de ressources documentaires sur l’Homme et son évolution depuis son apparition. Créé en 1938, il est installé dans le Palais de Chaillot construit pour l’exposition universelle qui se déroula l’année précédente. Si ses collections sont nombreuses et riches, peu de pièces mettent en évidence le handicap à travers l’évolution humaine et ses civilisations. Parmi la collection permanente, trois aspects ouvrent toutefois des pistes de réflexion et de recherche.
Solidarité néandertalienne.
L’analyse d’ossements découverts en 1908 à la Chapelle-aux-Saints (Corrèze) a chamboulé la représentation que nos contemporains se faisaient des Néanderthaliens. Ces restes ont d’abord été étudiés au Muséum de Paris par Marcellin Boule qui prêta alors à cet homme des traits bestiaux et primitifs. Mais des études récentes ont montré qu’il s’agit en fait d’un vieillard édenté qui a longtemps souffert d’arthrite cervicale, possédait une hanche déformée et un genou abimé: ses handicaps le rendaient dépendant de l’aide d’autrui pour se nourrir et se déplacer, de plus il avait été soigneusement inhumé dans un abri. Selon le paléo-anthropologue Jean-Louis Heim, cet homme pourrait être âgé entre 50 et 60 ans, ce qui en fait véritablement un vieillard néandertalien qui n’a pu vivre qu’avec de l’entraide et des soins fournis par le groupe au sein duquel il vivait, une réalité qui fait remonter aux prémices de l’humanité la notion de solidarité.
Prédire les aptitudes.
Les scientifiques du XIXe siècle ont tenté de catégoriser les individus selon des critères d’apparence physique, ce qui a engendré l’étude de la phrénologie, basée sur la théorie selon laquelle la forme et les bosses du crâne reflètent la personnalité. Il reste de ce galimatias la survivance populaire de la « bosse des maths », mais cette pseudoscience a accouché de pseudo-techniques, telle la morphopsychologie censée classer au premier regard une personne comme entreprenante, sensible, vive, désinvolte, etc., influences farfelues que l’on retrouve encore dans l’enseignement de la communication moderne.
Le musée de l’Homme possède une intéressante collection de bustes phrénologiques, constituée par Franz Joseph Gall, né en Allemagne, étudiant et praticien à Vienne puis Paris. Il prétendait pouvoir relier chaque fonction mentale à une zone du cerveau et affirmait déduire les qualités morales et intellectuelles d’un individu à partir de la forme de son crâne. Sa collection de bustes comporte des lettrés, des criminels, des aliénés, des suicidés, des monomaniaques, des sourds, des syphilitiques et autres microcéphales ou hydrocéphales, l’ensemble constituant une sorte de répertoire d’une trentaine de facultés intellectuelles et mentales reliées à l’aspect physique. Cette approche a initié l’étude scientifique de la spécialisation cérébrale : « En étudiant les cerveaux de patients aphasiques le médecin Paul Broca démontre en 1861 l’existence d’une zone cérébrale, située dans le lobe frontal gauche et spécialisée dans le langage, aujourd’hui appelée aire de Broca » (in La Recherche, avril 2011). Dévoyée, elle a également conduit à des dérives ségrégationnistes, eugénistes et criminelles, telle la détection des signes de judéité à l’époque nazie. Franz Joseph Gall estimait également que « les capacités et les inclinations sont innées comme leurs organes et, par conséquent, elles ne sont pas le résultat de l’éducation » : la théorie du criminel-né trouve là son origine, et on peut l’identifier pour s’en prémunir en étudiant son crâne !
Le corps réparé.
On trouve quelques traces des maladies et des déficiences dans les collections du Musée de l’Homme, mais aucun parcours de visite sur ce thème: une idée à méditer probablement, parce que le traitement, à tous les sens du terme, des handicaps en révèle beaucoup sur le fonctionnement des sociétés humaines. De nos jours, sciences et techniques permettent de compenser certains handicaps, en réparer certaines altérations et remplacer un membre manquant par une prothèse fonctionnelle. Un aspect présenté dans la dernière grande vitrine de la collection permanente, dans la partie consacrée au présent et à l’avenir de l’Homme et au « comment les sociétés se réinventent malgré la mondialisation ».
Une dimension également étudiée par quelques chercheurs pour disposer d’informations sur les conditions de vie et l’état sanitaire de la population mondiale. Le Musée de l’Homme peut nous apprendre beaucoup sur la relation des humains aux maladies et aux déficiences, il ne reste qu’à chercher…
Laurent Lejard, décembre 2015.
Outre une bonne accessibilité en fauteuil roulant, de multiples adaptations sont proposées aux visiteurs handicapés : sept cartels numériques et audiovisuels en cours de traduction en Langue des Signes Française, audiovisuels avec sous-titrage, visites sensorielles avec artefacts à partir de janvier 2016, cycle de visite pour les visiteurs déficients intellectuels, livret spécifique de visite, stations tactiles sonores, braille et relief très utilisées par l’ensemble des visiteurs, balises sonores, maquettes tactiles restituant le bâtiment de 1878 et l’éclaté du bâtiment actuel.