L’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) poursuit son travail de défrichage du handicap au fil des millénaires et restitue l’état actuel de la recherche dans une exposition conçue pour être itinérante. Présentée jusqu’au 5 janvier 2020 au Chronographe, son musée de Rézé (Loire-Atlantique), « Prenez soin de vous ! Archéologie du soin et de la santé » expose des objets trouvés lors de fouilles qui témoignent de l’ancienneté et de la technicité des pratiques médicales et de compensation des handicaps. Elle a été notamment élaborée grâce aux recherches de l’archéo-anthropologue Valérie Delattre, auteure de « Handicap : quand l’archéologie nous éclaire« . L’exposition explore les millénaires et remet en question les impressions et certitudes des visiteurs, dont quelques-uns témoignent ici, au terme d’une visite commentée. Au fil des panneaux et des objets exposés, ils ont constaté que nos lointains ancêtres prenaient soin de leur corps, de leur peau, savaient réduire les fractures, pratiquaient des trépanations avec de sérieuses chances de survie, réalisaient des prothèses de membres amputés, soignaient des yeux malades, etc.
« J’ai trouvé que c’est une très belle exposition, montrant l’évolution de la médecine dans le temps, » exprime un quadragénaire. Il a découvert des connaissances et techniques médicales anciennes qu’il ne soupçonnait pas, et ne s’attendait guère à ce qu’une personne handicapée puisse rester dans sa communauté et soit prise en charge : « On imagine plutôt cela maintenant, avec les organismes de Sécurité Sociale. Je pensais que dans le passé les personnes handicapées étaient mises à part, comme les lépreux par exemple. » Deux visiteuses réagissent également : « Ce qui m’a surpris, dit l’une, c’est que les instruments médicaux n’ont pas changé depuis le Moyen-âge et même depuis l’Antiquité. Finalement, ce sont toujours les mêmes techniques ! La science a évolué mais les progrès de la médecine ne sont pas aussi spectaculaires qu’on nous le raconte. » Elles n’imaginaient pas que nos lointains ancêtres sachent réduire une fracture, procéder à une trépanation, traiter une cataracte : « Une cataracte, je me demande comment ils faisaient, reprend l’une. Il faut quand même changer le cristallin ! » Elles n’ont toutefois pas été surprises par l’acceptation des handicaps : « Je crois qu’à une époque les gens vivaient davantage en famille. Il semblait naturel de s’occuper des autres. Aujourd’hui c’est tellement médiatique ce genre de problème, on a tellement peur de blesser. » Son amie complète : « Je ne suis pas surprise. Je pense que c’était plus simple à l’époque, que les gens réfléchissaient beaucoup moins. Après, en période de guerre les plus faibles subissaient la loi de la nature… » Elles ont le sentiment d’un transfert, à notre époque moderne, d’une solidarité humaine, familiale, de communauté de vie, vers la société dans une forme très impersonnelle : « Je pense que c’est ça, poursuit l’une. Les gens se décrochent de plus en plus. Avant, les personnes âgées étaient à la maison, il y avait un noyau familial, on aidait. Dans les villages, tout le monde se connaissait, il y avait une proximité avec les autres. Maintenant, dans les grandes villes, chacun est pris dans sa vie, sa routine et on n’a plus le temps de s’arrêter sur ce genre de choses. Après, il y a des gens qui agissent, heureusement. Mais je pense que c’est le mode de vie qui a changé. »
Une autre visiteuse s’étonne de constater l’ancienneté de certaines pratiques médicales : « Je croyais que la trépanation datait de la fin du XIXe siècle, je ne pensais pas qu’elle se faisait avant. » Son mari relève la représentation de personnes handicapées dans des peintures dès le Moyen-âge : « L’extrême, c’est le peintre Jérôme Bosch. Les personnes handicapées peuvent être rejetées à certaines périodes, les lépreux étaient écartés par peur de la contagion. Elles étaient mieux prises en charge puisque que c’étaient les cellules familiales qui s’en occupaient. Alors que maintenant, on demande que ce soit l’État ou les collectivités qui prennent en charge, ou des associations. Sous François Ier, on n’a pas fait la loi de 2005 ! » Son épouse, professeure retraitée, met sa visite en perspective avec son vécu professionnel : « Récemment, des structures spécialisées ont été supprimées, et je ne suis pas certaine que l’intégration pour l’intégration soit satisfaisante. J’ai été enseignante, j’avais des élèves handicapés. J’ai trouvé que les parents qui cherchaient à tout prix à les intégrer ne faisait pas forcément le bien de leurs enfants. Alors que dans les établissements spécialisés il y avait des matériels adaptés, des enseignants formés spécifiquement. Je trouve que parfois il y a une régression. »
Cette exposition, qui attend de pouvoir tourner ailleurs en France, contribue également à actualiser la perception de l’archéologie par le public. « J’envisageais l’archéologie autrement, je n’avais pas pensé à la relation avec l’époque actuelle, exprime un sexagénaire. Je voyais la médecine d’hier complètement indépendante de notre existence actuelle. Je n’ai jamais pensé à ce côté bienfaiteur, à l’aspect humain qui ressort à travers cette exposition. Pour moi, l’archéologie, c’était des sciences avant tout, je ne me suis pas posé le problème de l’homme et de la société au milieu de tout ça. »
Visiter le Chronographe
Bâti sur le site gallo-romain de Ratiatum, le Chronographe est à la fois un petit musée, un centre d’interprétation de l’archéologie et un site de recherche. On y trouve les vestiges d’entrepôts du port de commerce très actif des Pictons qui fut abandonné à cause de son envasement, le lit de la Loire s’étant depuis déplacé de 500 mètres au nord. « On connaît mieux Ratiatum que l’ancienne Nantes, commente Cécile de Collasson, directrice du Chronographe. Les Namnètes [ancêtres des Nantais] sont sur l’autre rive, dans un autre monde, la Gaule lyonnaise. » Le fleuve faisait en effet frontière avec la Gaule aquitaine. Des hypothèses de reconstitution du port sont présentées en maquette et projection, restituant la ville neuve, la voie romaine, les domus proches, un pupitre présentant les états romain et actuel. Le vin de Loire élevé à proximité était exporté dans des amphores fabriquées sur place, et des potiers produisaient des plats et objets en céramique rustique. Les fouilles ont permis d’identifier les viandes qui étaient mangées, les poissons pêchés, les graines stockées, et la production de garum, une sauce fermentée à base de poisson dont le nuoc mam vietnamien donne une idée du goût. On tissait dans toutes maisons, et Ratiatum a même compté des foyers métallurgiques au Ier siècle, puis au IIe siècle le quartier portuaire s’est développé jusqu’à l’ensablement de la fin du IIIe siècle qui a sonné le glas de la ville, finalement abandonnée.
Au Chronographe, l’accueil des visiteurs handicapés est soigné, l’ensemble du site et des salles aisément accessible, et un ascenseur dessert le belvédère qui offre un panorama à 360°; on trouve même dans sa tour un pupitre rotatif de réalité augmentée qui restitue l’état antique des différents secteurs fouillés. Outre une vidéo introductive sous-titrée, les cartels sont aisément lisibles et contrastés, divers objets à toucher et commentés en braille. De quoi passer un long moment à découvrir de multiples facettes de l’archéologie du XXIe siècle.
Laurent Lejard, novembre 2019
Exposition « Prenez soin de vous ! Archéologie du soin et de la santé », jusqu’au 5 janvier 2020 au Chronographe, rue Saint-Lupien à Rezé, à quelques kilomètres de Nantes sur la rive droite de la Loire. Pour approfondir le sujet, l’INRAP a publié deux ouvrages complétant l’exposition : « Archéologie de la santé, anthropologie du soin« , publié par l’INRAP en septembre 2019, contient les exposés des conférenciers du colloque qui s’est déroulé au Musée de l’Homme (Paris) il y a trois ans. Si les thèmes abordés sont spécialisés, l’ouvrage est écrit pour être accessible à tous les lecteurs. Il en va de même dans « Handicap : quand l’archéologie nous éclaire » publié en 2018 également par l’INRAP, où Valérie Delattre, archéo-anthropologue spécialiste des rites funéraires présente son travail sur les traces archéologiques du handicap.