« Elle sort tous les mois, en tout ou partie en fonction des besoins, elle est très utilisée. » Véronique Abaléa est ravie du succès que remporte l’Handibox créée au printemps 2019 par la ville de Brest (Finistère) et en service depuis juillet. Cheffe de projet accès à la culture, Véronique Abaléa a participé à la conception d’un « produit » encore unique en France et qui répond à un besoin réel : mutualiser des équipements d’accessibilité culturelle que chaque organisateur ne peut acquérir pour un ou deux événements annuels, et les conseiller. Et ça marche : « Récemment, on a failli ne pas pouvoir fournir, on s’est organisé pour répondre à deux demandes simultanées. C’est un tricotage d’associations de personnes handicapées et de professionnels de la culture, dont le Quartz, La Carène, le Mac Orlan, etc. Un véritable intérêt. » Parce qu’à Brest, les associations de personnes handicapées se préoccupent plus qu’ailleurs en France de l’accès à la culture.
En effet, il ne suffit pas de vouloir accueillir des spectateurs sourds, malentendants, aveugles, handicapés moteurs ou intellectuels pour qu’un spectacle ou une manifestation culturelle leur soit accessible, il est nécessaire de savoir comment procéder et quels matériels sont utiles. Tout cela, la ville de Brest l’a compris et le réalise depuis l’été dernier, après avoir élaboré une Handibox : « Ce sont trois grands coffres faciles à manipuler, dans lesquels on trouve des matériels pour les différents handicaps, explique Véronique Abaléa. C’est un service gagnant-gagnant, pour que ça rentre dans le plan de charge des organisateurs et rende service. » La ville a acquis un stand d’accueil, des fauteuils roulant et cannes sièges, des rampes amovibles, des boucles à induction magnétique, un système d’audiodescription, des bornes sonores, etc., qui sont prêtés gratuitement, un investissement de 65.000 euros. Un groupe de travail a également élaboré un guide pour donner des idées sur ce qu’on peut faire pour rendre un événement accessible, décomposant les différentes étapes : en amont, le jour J, venir et partir, participer, etc. Ce guide est complété de fiches pratiques pour concevoir des supports de communication adaptés et d’un répertoire des organismes et associations pouvant conseiller et fournir des compléments, tels des interprètes en Langue des Signes Française.
L’ensemble est le résultat d’un travail au long cours, précise Véronique Abaléa : « Il y a eu en amont d’Handibox plein d’actions pour vérifier des idées, des équipements, des aménagements. Le réseau brestois La culture, partageons-la existe depuis 2012, avec une coordination jeune public, des actions vers les publics éloignés de la culture. En 2016, on a envoyé un questionnaire aux structures culturelles sur l’accueil des publics handicapés, avec 85% de réponses. Il est ressorti un besoin de formation de certains exploitants, le coût relativement élevé de matériels d’accessibilité pour une utilisation ponctuelle, ça nous a donné l’idée de les mutualiser. Cela ne devait pas remplacer les obligations légales, on axe l’Handibox sur les événements temporaires, sur la voie publique, les initiatives privées en direction du public par exemple lors des Journées du patrimoine. » Remarquable, tant il est rare qu’une collectivité prête du matériel municipal à une personne privée qui ouvre sa propriété à l’occasion d’un événement public !
L’Handibox a évolué depuis son élaboration, pour prendre en compte les remarques des utilisateurs; ils peuvent n’emprunter que les matériels dont ils ont besoin et pas une boite entière. De deux boites elle est passée à trois pour réduire leur poids, des gamelles pour les chiens guide ou d’assistance ont été ajoutées, de même qu’un chargeur électrique pour fauteuil roulant, le souci du détail est poussé loin. « Le fait d’être présent et visible sur un événement, c’est que les gens viennent nous parler et font des suggestions, complète Véronique Abaléa. Lors des Jeudis du port en juillet, des parents nous ont dit que leur enfant était fatigable et on a créé une carte coupe-file à récupérer sur notre stand. » Un moyen d’éviter une longue attente debout moins stigmatisante que la carte d’invalidité ou de priorité.
Canal Ti Zef a utilisé l’Handibox lors de sa dernière édition du Festival intergalactique de l’image alternative qui s’est déroulé du 25 novembre au 8 décembre. « On a utilisé les casques d’audiodescription lors d’une séance unique réalisée en direct par un audiodescripteur professionnel, explique Tony Servain, l’un des organisateurs. C’est la première fois qu’on proposait un film avec audiodescription. On a eu quatre spectateurs aveugles et deux valides ont voulu tester. Cela nous a donné envie de renouveler pour compléter l’accessibilité aux sourds et malentendants, avec sous-titrage sur certains films et interprètes en LSF pour la présentation et le débat à la fin, entre les protagonistes du film et le public. Il nous arrive de sous-titrer nous-mêmes, on le matériel et l’équipement. » Lors de l’édition 2019, ce festival a proposé quatre films avec sous-titrage sourds et malentendants. « Par rapport à la Handibox, poursuit Tony Servain, on a eu un peu peur. On nous demandait de tout prendre, ça a vite été compris et on n’a emprunté que les casques. On a encore besoin de temps pour nous approprier l’accessibilité, notamment pour la communication. On est une petite structure, qui improvise beaucoup, à l’arrache, et c’est compliqué quand il faut de la préparation en amont. »
Au terme de ses six premiers mois d’utilisation, l’Handibox a évolué avec ses usagers. « On n’utilise Handibox que pour les activités culturelles mais d’autres secteurs municipaux la demandent, conclut Véronique Abaléa. On veut se donner un peu de temps avant d’en étendre l’usage. » L’initiative sortira-t-elle des limites de Brest ? Les articles de presse qui ont suivi le lancement ont suscité de l’intérêt de quelques villes : laquelle proposera prochainement son Handibox ?
Laurent Lejard, décembre 2019.