Cinq témoins et cinq mondes dialoguent devant Gaia, la déesse-mère. L’univers créé par Paul Bonnin et qu’il expose jusqu’au 8 févier 2020 dans la galerie Marcel Duchamp de Châteauroux (Indre) confronte la mythologie à la réalité du quotidien de personnes handicapées, qui est également celle de l’artiste. Né ici il y a 32 ans, il vit avec un corps marqué par une maladie génétique. Il a suivi une scolarité ordinaire et a débuté sa formation beaux-arts dans l’école où il expose son travail conçu en résidence d’artiste. C’est à l’École Nationale Supérieure d’Art de Bourges (Cher) qu’il a poursuivi et obtenu son diplôme national en 2016. S’il préfère s’exprimer dans la sculpture céramique, il utilise également la photographie, la vidéo, la poterie, le tissage, le tricot.
Pourquoi avoir choisi les arts plastiques ? « Ce sont des rencontres, des bonnes rencontres. Après le bac à Châteauroux, j’entendais constamment ‘t’es handicapé, tu peux rien faire’, et pendant le salon de l’étudiant le régisseur général des beaux-arts de Bourges m’a dit ‘jamais de la vie, l’art n’est pas interdit aux personnes handicapées’ et il m’a expliqué le meilleur moyen d’y arriver, en passant par une année préparatoire que j’ai faite ici. » Sa vocation est née. Dans son installation « Je pense donc je suis », Paul Bonnin invite à réfléchir sur les corps, leurs transformations ou déformations, et la vie malgré tout. « Pendant mes études, une question était très importante pour moi, c’était l’évolution des corps et les opinions portées dessus, je me posais toujours des questions sur ce que je pouvais faire ou pas. Alors j’ai recueilli des témoignages de personnes handicapées, qui sont affichés sur les murs derrière des rideaux. » Ces textes dirigent ensuite par un fil conducteur au sol vers un univers mythologique qui lui répond : Dédale et son labyrinthe au fil d’Ariane, les sirènes de l’Odyssée qui veulent perdre le visiteur, Sparte et sa sélection des plus forts, le gnome malveillant Loki (Loge chez Wagner), le Kraken qui tente d’attirer le bateau d’Ulysse dans les abymes. Et au coeur de ces univers, Gaïa, la déesse-mère créatrice de toutes choses, et ses filles tisseuses du destin, reliées aux cinq univers par les chemins de la vie.
Que veut nous montrer Paul Bonnin ? « Les murmures de Loki, le farceur qui essaie de créer des tensions, répond au témoignage de Justine, témoin qui raconte qu’une enfant refusait de jouer avec son fils Noa parce qu’il a une grosse tête, que les enseignants ne voulait pas qu’il participe à une bataille d’eau. » Comme Loki, les enseignants, AVS et autres personnes distillent des mensonges, des prétextes pour exclure socialement : « Noa ne comprend pas sa mise à l’écart, ce qu’il voudrait c’est manger à la cantine avec ses camarades, être à l’école. » Autre univers, le Kraken répond au témoignage du philosophe Pierre Ancet : « Il est consterné de voir que nous autres, personnes handicapées, ne sommes connues et reconnues que par notre déficience. On ne met pas en avant nos qualités propres. Je l’ai représenté dans ce bateau qui tangue et essaie par tous les moyens de rester à la surface alors que le Kraken, comme tous les jugements que l’on peut recevoir, tente de nous attirer par le fond. » Une évocation de la société qui rajoute du handicap à ceux qui le vivent. Tout cela devant les yeux tristes de Gaia, aimante de tous ses enfants : « Mais nous autres, pauvres humains, ne faisons pas l’effort de nous accepter tels que nous sommes. C’est dans la différence que se trouve la plus grande richesse. » Et pour donner davantage de force encore à son propos, Paul Bonnin a apposé une photographie de son oeil gauche en domination de son installation, manière de signer sa vision du monde…
Laurent Lejard, janvier 2020.
« Je pense donc je suis », exposition en résidence d’artiste de Paul Bonnin, jusqu’au 8 février 2020 à l’école municipale des beaux-arts de Châteauroux (EMBAC), 10 place Sainte-Hélène, du mardi au samedi de 14h à 18h. L’artiste présente également la diversité de ses travaux dans son « Book 1 » disponible sur place.