Les Ardennes, dont nous avons présenté quelques aspects, toujours d’actualité, en 2008 et 2014, sont une destination que l’époque est en train de remettre en lumière : à la fois parce qu’elle fait toujours partie de ces coins de France un peu secrets qu’il est agréable de (re)découvrir en ces temps de tourisme de proximité, et parce qu’un groupe de personnalités forcément bien intentionnées mais aux arguments discutables s’est mis en tête, pétition à l’appui, d’en extirper les plus fameux fantômes, Arthur Rimbaud (1854-1891) et Paul Verlaine (1844-1896) pour les enfermer dans le temple parisien dédié aux Grands Hommes par la Patrie reconnaissante… Nous nous garderons de prendre plus avant un parti que l’on devine mais l’occasion paraît belle de rendre justice à quelques lieux ardennais sur lesquels plane encore leur mémoire et pour lesquels existe déjà une route touristique et littéraire que l’on peut suivre à son rythme.
Rappelons, à toutes fins utiles, que si Rimbaud est bel et bien né à Charleville (Mézières est restée indépendante jusqu’en 1966), Verlaine est lui originaire de Metz. Aucun n’a fait souche ou carrière dans sa région d’origine. Le premier est mort d’un cancer à Marseille de retour d’Afrique après avoir troqué la poésie contre le commerce, le second syphilitique à Paris, au terme d’une existence littéraire et sentimentale bien remplie. Leur aventure commune, aussi intense fût-elle, a été brève (trois ans) et a donné lieu à une légende sulfureuse toujours en cours, à laquelle il est bien dommage de résumer ces deux personnalités hors du commun. C’est ce que l’on vous expliquera notamment au musée Verlaine de Juniville, à une quinzaine de kilomètres de Rethel. L’endroit, une ancienne auberge fréquentée par le poète, est tout ce qui reste de lui sur place, le village ayant été ravagé par les guerres à l’instar de la plupart des bourgs de la région. Mais que faisait ici le « prince des poètes » ? Réservez une visite guidée : vous l’apprendrez parmi les mobiliers et objets anciens rappelant cette période durant laquelle l’auteur des Fêtes galantes mises en musique par Debussy, Fauré et tant d’autres, a cru pouvoir se rédimer. « Votre âme est un paysage choisi; Que vont charmant masques et bergamasques; Jouant du luth et dansant et quasi; Tristes sous leurs déguisements fantasques… » Stationnement aisé à proximité, toilettes adaptées dans la cour mais pavés cahoteux sur la descente; l’auberge est de plain-pied, que complète un petit débit de boissons où l’on peut, entre autres, goûter aux bières locales.
Toute proche, Rethel célèbre le nom de Verlaine, qui y enseigna, mais sa renommée tient à une nourriture infiniment plus terrestre quoique non moins délectable : le boudin blanc, inventé ici au XVIIe siècle. Nul doute que le Grand Homme s’en régala autant que ses contemporains et successeurs. L’incontournable maison Demoizet, fondée dans les années 1930, n’existait pas encore mais il n’est pas interdit aux amateurs de poésie d’y faire halte, d’autant qu’une rampe est mise en place pour les utilisateurs de fauteuils roulants ! Comme indiqué plus haut, la région, dévastée par les conflits, n’offre plus guère de patrimoine bâti : il en va ainsi à Rethel, où seule l’église Saint-Nicolas, vaisseau gothique rescapé des bombardements, mérite qu’on gravisse la pente qui y conduit. Réel miracle, en revanche, à quelques kilomètres plus au sud : l’église Saint-Didier d’Asfeld est une merveille baroque accessible par rampe où il faut absolument faire halte; vous en connaissez beaucoup, des édifices en forme de viole de gambe ?
À l’opposé, vers le nord, à Novion-Porcien, le musée Guerre et Paix en Ardennes, autre vaisseau, ultra-contemporain celui-là et récemment reconfiguré, rappelle combien cette terre a été disputée et le sang qui s’y est déversé. Une leçon d’autant plus salutaire que la muséographie, particulièrement instructive, ne prend le parti d’aucun belligérant : uniformes, armes, objets, véhicules et dioramas témoignent sobrement de la folie des hommes au fil du progrès des techniques guerrières des XIXe et XXe siècles, avec une « ouverture » sur les conflits en cours de par le monde. Rimbaud, dans son célèbre Dormeur du val, ne procède pas autrement : qui est-il, ce trépassé sur lequel zoome littéralement le poète ? Nul ne s’en soucie : « Les pieds dans les glaïeuls, il dort; souriant comme sourirait un enfant malade, il fait un somme. Nature, berce-le chaudement : il a froid… » Le musée, accessible de plain-pied et par élévateur, dispose d’un espace pour se restaurer. Prêt de fauteuils roulants et cannes-sièges, stationnement aisé à proximité.
À mi-chemin entre Rethel et Charleville-Mézières, il est probable que nos poètes, s’ils ont emprunté la diligence, ont fait étape à Launois-sur-Vence où l’on peut encore admirer l’un des derniers relais de poste préservés en France. Il fallait jadis cinq jours et demi pour relier Sedan à Paris ! Exceptionnellement conservé « dans son jus » et patiemment restauré, l’endroit accueille désormais sous son immense grange des événements de portée régionale (salon de l’antiquité, floralies, gastronomie…) et, dans ses non moins impressionnantes écuries, une association, Les sabots du relais, qui s’est fixé pour objectif d’en faire revivre les occupants : chevaux ardennais et calèches. Des balades pique-nique sont organisées, l’acquisition d’une calèche accessible est planifiée.
Si l’ombre de Verlaine, en dehors des Ardennes, plane encore sur Paris, Londres ou Bruxelles, celle, beaucoup plus fugueuse, météoritique, de Rimbaud s’évanouit très vite. Détestait-il vraiment Charleville et ses habitants ? N’était-ce pas plutôt le modèle petit-bourgeois qu’ils représentaient ? Quoi qu’il en soit, la belle et fière cité dont les bombes ont relativement épargné les murs ocres chers à son fondateur éponyme, ne lui en a pas tenu rigueur puisque pas moins de deux lieux muséographiques et un parcours urbain sont consacrés à l’enfant terrible du pays. Le Musée Rimbaud, mis en accessibilité en 2015 mais installé depuis 1969 dans un ancien moulin des bords de Meuse à qui la proximité avec la célèbre place ducale a valu une architecture somptueuse, présente une évocation de la vie du poète à travers quelques reliques pieusement conservées (écrits, objets) et une collection d’oeuvres d’art moderne et contemporain (Picasso, Léger, Cocteau, Ernst, Pignon-Ernest, etc.) lui rendant hommage. Certains documents, aussi rares que fragiles, sont exposés en alternance mais on peut y admirer notamment un tirage ancien de la fameuse icone tirée par Carjat d’un Rimbaud adolescent : « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans… » (Roman). En fauteuil roulant, l’accès au musée se fait par une entrée discrètement percée sur le côté droit du bâtiment et qui s’ouvre via un interphone; les étages sont desservis par ascenseur. Presque en face, complément jadis très poétique à cette visite, la Maison des ailleurs, qui fut l’une de celles où habita notre météore et d’où il fugua, a quelque peu changé de vocation depuis son ouverture au public en 2004. D’espace méditatif assez magique (trop élitiste ?), elle est devenue un lieu de rencontre entre l’imaginaire rimbaldien et l’art contemporain : tout y est accessible sauf, parfois, certaines oeuvres exposées… L’endroit n’était jusqu’alors meublé que de lumières et de chuchotements : l’horreur du vide aurait-elle encore frappé ? Nos deux poètes s’en seraient probablement amusés !
Jacques Vernes, octobre 2020.
Sur le web, le site de l’Agence de Développement Touristique des Ardennes permet de préparer un séjour en toute sérénité. Ne vous arrêtez pas à la fort maigre rubrique Tourisme et handicap : l’offre adaptée est bien plus fournie ! N’hésitez pas à prendre contact avec les professionnels locaux pour préciser avec eux vos besoins.