C’est une centaine de sites et monuments historiques ou patrimoniaux que gère le Centre des Monuments Nationaux (CMN), établissement public administratif de l’État. Et contrairement aux assertions répétées des détracteurs de l’accueil des publics handicapés qui invoquent le caractère « historique » pour justifier le maintien d’une inaccessibilité discriminatoire, le CMN conduit depuis de nombreuses années une réelle politique de mise en accessibilité, y compris en installant élévateurs et ascenseurs dans des châteaux. Sa Directrice de la conservation des monuments et des collections, Delphine Christophe, détaille les chantiers récemment livrés, et ceux qui le seront prochainement, à découvrir quand le Gouvernement, qui attribue 40 millions d’euros supplémentaires au CMN pour ses chantiers, daignera autoriser leur réouverture…
A Paris
La mise en accessibilité de l’Arc de Triomphe est terminée mais le CMN n’a pas communiqué sur cette finalisation alors qu’il l’avait fait lors du lancement du chantier le 13 octobre 2017. Lors de la manifestation des gilets jaunes du 1er décembre 2018 le nouvel élévateur fauteuil avait été endommagé (lire l’actualité du 13 décembre 2018), retardant sa mise en service finalisée pendant l’été 2019. « Ce qu’on a fait n’est pas totalement idéal, il y a un transfert par un second ascenseur pour déboucher sur la terrasse. Il a fallu deux ans de discussions avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles et la Préfecture pour aboutir à une solution. Sur la terrasse, un cheminement surélevé permet aux visiteurs en fauteuil roulant d’apprécier le panorama. » Mais il demeure impossible aux personnes handicapées motrices d’accéder en autonomie au pied du monument, uniquement desservi par un passage piéton souterrain sous la place de l’Étoile. « Une petite partie du souterrain nous appartient, mais on n’a pas les accès. On a sollicité la ville de Paris [qui n’a jamais répondu à nos multiples demandes NDLR]. Je ne pense pas qu’il y ait une opposition, la ville réfléchit à réinventer Paris via un appel à projet portant sur le souterrain automobile sous la place de l’étoile. » Appel à projet infructueux pour l’instant, alors que ce tunnel fermé à la circulation depuis plus de cinq ans a récemment rouvert pour les cyclistes, et pourrait être réaffecté à la desserte piétonne de l’Arc de Triomphe en le transformant en galerie commerciale : « On a étudié une sortie cabine en sous-sol avec un transfert de l’accueil du public, c’est réalisable mais pas programmé, cela dépend des volontés de Paris, et l’investissement est lourd. » Les visiteurs handicapés moteurs devront donc, pour de nombreuses années encore, devoir se faire déposer en voiture sur l’arrêt-minute face au débouché de l’avenue de la Grande Armée, le conducteur ayant l’obligation d’aller stationner là où il pourra dans ce quartier difficile.
Autre rénovation parisienne en cours, l’Hôtel de la Marine situé place de la Concorde. Abandonné par l’état-major de la Marine qui a rejoint le Balargone du ministère des Armées, l’immeuble construit sous Louis XV abritait le Garde Meubles royal, et c’est là que furent volés les joyaux de la couronne en août et septembre 1792 : « Une partie sera ouverte au public au printemps 2021, les cours d’honneur et de l’intendant, l’escalier d’honneur, les salons XIXe, l’appartement de l’intendant, des salles d’exposition. Du 2e au 4e étages subsistent quelques appartements avec trumeaux, lambris, ils seront loués à une société pour équilibrer l’opération financée sur un emprunt et des fonds propres du CMN, avec les redevances d’un restaurant et d’un café. » C’est un coup de canif dans la doctrine gouvernementale qui veut que les travaux dans les monuments nationaux soient financés par le budget de l’État ; là, les annuités des 80 millions d’euros empruntés devraient être couvertes par les locations, du mécénat, les recettes de bâches publicitaires pendant les travaux, des fonds propres du CMN, 3 millions fournis par le ministère des Armées et 7 millions par celui des Affaires étrangères, également en charge du tourisme. Ce financement hybride de l’importante restauration d’un grand monument qui fit polémique (en 2011 le Gouvernement était prêt à le céder à un promoteur pour qu’il devienne un luxueux complexe avec la complicité de l’ancien ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres condamné deux fois en justice pour malversations financières) préfigure-t-il une nouvelle pratique de l’État ? Toujours à Paris, la nef du Panthéon est devenu accessible, avec une médiation tous handicaps, mais celle des tombeaux des Grands Hommes et Femmes qu’il rassemble reste à réaliser : « C’est un grand objectif de donner un accès aux tombeaux. » Autre projet, la création d’une liaison entre la Conciergerie, vestige de l’ancien Palais de la Cité, à la Sainte-Chapelle : « On est en recherche de solutions techniques, c’est un énorme chantier. On a gagné de l’espace pour créer une vraie circulation. » Le transfert des tribunaux de grande instance du palais de justice vers un immeuble neuf dans le quartier des Batignolles a effectivement libéré des locaux que le CMN espère employer pour améliorer l’accès à la Sainte-Chapelle, dépendant du fonctionnement aléatoire des ascenseurs du palais de justice, et créer enfin un accès à la Conciergerie, rare témoignage du gothique civil à Paris.
Et en Régions ?
A deux heures de route au nord-est de Paris, le château de Villers-Cotterêts (Aisne) va retrouver une partie de sa splendeur. Lieu de fêtes royales sous Henri II puis François 1er, il fut ensuite abandonné, transformé en dépôt de mendicité au XIXe siècle puis en maison de retraite de la ville de Paris jusqu’en 2014 : « Il sera totalement accessible, pour ouverture en mars 2022. Il accueillera la Cité internationale de la langue française. Il reste de l’époque François 1er le grand escalier d’honneur, l’escalier de la Reine à plafond à caissons, la chapelle. Le 1er étage recevra un parcours sur la langue française. La sortie s’effectuera dans la cour du jeu de paume de François 1er, avec une découverte de ses sculptures. » L’autre jeu de paume des Orléans, purgé de tout décor ancien, deviendra un auditorium. Le château n’a pas été choisi au hasard pour célébrer la langue française, c’est dans ses murs que fut signée une Ordonnance imposant le français dans les actes officiels.
En Bourgogne à une heure de route de route au nord-ouest de Dijon (Côte d’Or), c’est l’étonnant château de Bussy-Rabutin qui devrait devenir entièrement accessible fin 2021. Roger de Rabutin, comte de Bussy (1618-1693), cousin de Madame de Sévigné, fut militaire, courtisan et écrivain à la plume acéré. Et ses écrits lui ont valu d’être exilé dans son château qu’il a orné de tableaux représentant des courtisans, chacun avec quelques propos et une maxime qui en définissent les qualités et les défauts. « Un ascenseur hors-oeuvre sera construit sur l’arrière pour desservir l’étage, avec un cheminement depuis l’entrée. » De quoi accéder aux tableaux des rois et de leurs maîtresses, des chefs de guerre, de courtisanes agrémentés de commentaires plus ou moins désobligeants, une plongée dans le XVIIIe siècle flamboyant.
Depuis deux ans au monastère royal de Brou (Bourg-en-Bresse, dans l’Ain, lire ce reportage), les appartements de Marguerite d’Autriche situés à l’étage sont accessibles par un ascenseur depuis le premier cloître. Les visiteurs handicapés ont également accès à la tour du cloître, au jubé, à la salle des États. Dans le même département, le château de Ferney a été totalement restauré, avec la création d’un cheminement de l’entrée au rez-de-chaussée, un accès au jardin avec une étude en cours pour en finaliser les aménagements, l’étage desservi par un ascenseur : « Voltaire y a vécu 20 ans, le château est en partie restitué à son époque. » Les visiteurs déficients visuels disposent d’une maquette tactile du château au XVIIIe siècle intégrant des éléments de décor, un plan en relief du domaine, et les Sourds d’un visioguide en langue des signes française.
D’autres sites doivent rouvrir l’an prochain, tel l’oppidum d’Ensérune, village gaulois actif du VIIIe siècle avant notre ère au Ve siècle, proche de Béziers (Hérault). Le site sera doté de cheminements accessibles, d’un nouvel espace d’accueil et d’un musée rénové tout en conservant les vitrines en verre et bois qui en font le charme. Ouverture prévue en décembre 2021. Au sud ouest, la Cité médiévale de Carcassonne (Aude) va entrer en chantier : « On va terminer la restauration du chemin de ronde pour boucler le circuit de visite. »
En Bretagne, le site des alignements de Carnac (Morbihan) est en travaux d’amélioration des cheminements, et la Maison des mégalithes a été mise en accessibilité ; un ascenseur dessert l’étage, des toilettes adaptées ont été installées, le parking refait, et des dispositifs de médiation tous handicaps n’attendent plus que leurs visiteurs. Jusqu’en mars, l’accès au site mégalitique est libre et gratuit, puis d’avril à octobre il n’est plus parcourable qu’en visite guidée commentée. Si toutes les promesses de mise en accessibilité énoncées par le président du CMN, Philippe Bélaval, en mars 2013 (Mont-Saint-Michel, château d’Azay-le-Rideau) ne se sont pas traduites en réalisation, d’autres sites historiques et prestigieux n’attendent que vous… quand vous pourrez vous y rendre.
Laurent Lejard, décembre 2020.