État-major de la Marine nationale jusqu’en 2015, le prestigieux immeuble construit de 1758 à 1776 et qui abrita le Garde-meuble de la Couronne puis le ministère de la Marine sous Napoléon Ier est rendu à la population. De cette occupation résulte son nom actuel d’Hôtel de la Marine, faisant le pendant à celui des Monnaies qui, de l’autre côté de la rue Royale, abrite aujourd’hui l’Automobile Club de France et le Crillon, célèbre palace.
Le prestige d’une fonction
Restitué aux Français qui peuvent désormais le visiter, l’Hôtel de la Marine revient de loin : le Président Sarkozy voulait le vendre pour une transformation en appartements et commerces de luxe. Le tollé fut tel que le Président chargea l’un de ses prédécesseurs, Valéry Giscard d’Estaing, de formuler des propositions, moyen de sortir du guêpier affairiste où il s’était fourvoyé. L’ensemble immobilier est désormais partagé entre lieu patrimonial pour les parties nobles et bureaux de prestige dans les étages élevés. On peut donc visiter les grands salons d’apparat débarrassés de leur mobilier au profit d’installations multimédias, et les appartements reconstitués des deux intendants du Garde-meuble de la Couronne, Pierre-Élisabeth de Fontanieu (1767-1776) puis Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray jusqu’en 1792. C’est leur somptueux cadre de vie que le Centre des Monuments Nationaux, gestionnaire des lieux, s’est efforcé de restituer en concevant les différentes pièces comme si leurs occupants venaient d’en sortir. Inconvénient de cette démarche par ailleurs fort poétique : mobilier et tableaux sont peu éclairés; tant pis pour les Boucher, Vigée-Lebrun et autres Largillière…
L’intérêt majeur de la visite réside en grande partie dans ces vastes « petits appartements », témoins de la haute position des titulaires de la charge. Sous Louis XV et XVI, le Garde-meuble royal stockait, nettoyait, rénovait, fabriquait, ruche dont le patron jouissait d’un grand prestige : salle à manger, chambres à coucher, bureaux, antichambres, cabinet des glaces, salle de bains avec eau chaude courante, toilette, etc. Les parquets d’époque, dont certains marquetés, ont été rénovés, sur lesquels on déambule sans les mornes tapis de protection habituels. Une partie des décors a été retrouvée sous les ajouts des différents occupants, d’autres recréés à partir des inventaires (dont les soieries), des meubles, objets et tapisseries acquis auprès d’antiquaires ou dans les ventes publiques. Un véritable travail de limier pour retrouver le mobilier Riesener, Gaudron ou Jacob, entre autres fameuses estampilles.
Accessible ou pas accessible, telle est la question
Comme il est encore de règle, l’accueil des visiteurs handicapés est assuré mais l’accessibilité reste en chantier : fauteuil roulant et cannes sièges disponibles (il n’y a ni chaises ni bancs dans les salles), appli web Langue des Signes Française et Internationale (LSF/LSI) en cours de production, plans tactiles en cours de finalisation et bientôt à l’accueil, audiodescription en préparation pour intégrer le guide de visite (Confident) au son binaural, visites en Langue des Signes Française dès le 1er semestre 2022 et mallette pédagogique à suivre.
Demeure toutefois un sérieux problème : « la distribution des pièces des appartements de l’Intendant […] ne permet pas d’y circuler en fauteuil », précise la page web Accessibilité du monument. La largeur des portes étant de 75cm, une partie des fauteuils roulants ne peut y circuler mais il n’y a aucune raison valable de les interdire tous, d’autant que l’auteur de ces lignes a effectué une visite complète avec son fauteuil de 67cm de large sans rien heurter ! Il est donc urgent qu’une solution pragmatique soit trouvée pour lever cette restriction qui réduit la découverte, pour les seules personnes en fauteuil roulant, aux salons d’apparat (certes généreusement pourvus en interfaces multimédias), à la loggia offrant un panorama spectaculaire sur la place de la Concorde, et à la splendide collection Al Thani (antiquités et art de l’islam) qui bénéficie d’un écrin digne d’elle. Après une restauration à 132 millions d’euros, il est difficilement compréhensible qu’en 2021, un tel monument à vocation internationale, visant l’excellence, soit imparfaitement accessible.
Laurent Lejard, décembre 2021.