Hormoz présente sa photo : « On voit une mère et son enfant, comme toutes les mères elle s’inquiète pour son fils, ils sont au jardin d’enfants. À un moment, elle a peur de ne plus le voir. » Son fils vient d’apparaître joyeusement au bout d’un toboggan tubulaire, alors qu’elle se focalisait sur Hormoz face à elle : elle avait perdu son fils de vue. Dans cette photographie, la relation mère-fils séparés pendant quelques instants montre toute la fragilité de la vie.
La maman, Anissa, est née avec une infirmité motrice cérébrale qui l’empêche de marcher hors de chez elle, où elle utilise un déambulateur en fonction de ce que font ses enfants Djiby (6 ans et demi) et Ibrahim (1 an et demi). Cette famille, Hormoz l’a suivie en douceur, pour en montrer l’intimité affective, la parentalité, et la restitue avec des photos non posées, prises sur le vif : « C’était très important, sans m’imposer, qu’ils arrivent à m’oublier, précise le photographe. Je ne voulais pas de postures figées, pour casser l’image que l’on peut avoir du fauteuil roulant, mais des photos dynamiques, parce qu’en plus c’est la réalité. Il y avait des écueils esthétiques à éviter comme le fauteuil électrique ; dans les séances de prises de vues en intérieur, j’ai imposé le fauteuil manuel. »
Ce projet photographique À notre chair est le second qu’Hormoz réalise sur l’intimité d’une femme handicapée. Et il s’inscrit dans un travail plus large sur des personnes handicapées. « Le mot handicap est assez vaste, couvre des réalités très différentes, commente Hormoz. Et comme je pense qu’on est tous pas si différents que ça, j’avais envie de le dédramatiser et de le faire passer au second plan dans les photos. » Un travail en rupture avec les photos sociales ou très réalistes, misérabilistes, grotesques, burlesques que l’on voit régulièrement.
Autre photo : Anissa est en fauteuil roulant sous un abribus, Djiby est assis sur ses genoux. « Là, c’est après le rendez-vous avec le médecin, explique Hormoz. Avec toute l’inquiétude. Est-ce que le père vient les chercher ? Il y a le regard des autres dans la rue. » Le travail photographique s’est étalé de la grossesse d’Anissa attendant son second fils, Ibrahim, aux quelques premiers mois du nouveau-né. « J’ai fait la connaissance d’Hormoz grâce à une amie, Cindy, qui a fait avec lui une série de photos sur la vie sexuelle en établissement médico-social, justifie Anissa. Je lui ai dit mon envie de parler de la parentalité malgré le handicap. Lorsque je suis tombée une première fois enceinte, j’ai vu pas mal de gens surpris, même ceux qui travaillent dans le médical. Il y avait encore pas mal de tabous. »
C’est ce désir d’être parent qu’elle a confié aux yeux d’Hormoz pour qu’il l’expose au monde : « Lors de la première séance, j’étais seule et il était très compliqué pour moi d’apparaître un peu dénudée. Mais sur les autres photos avec mon mari, c’était plus facile, je pouvais penser qu’on était seuls, en fait. » Ainsi Hormoz a-t-il pu capter la tendresse et l’amour d’un couple et de ses enfants. « Je suis très fière de ces photographies, conclut Anissa. Elles représentent exactement ce que je voulais faire passer. »
Laurent Lejard, juin 2023.
À notre chair, série de 13 photographies, est exposée du 6 au 19 juin 2023 à Paris, à la Mairie du 19e, 5-7 place Armand Carrel. Entre libre. Vernissage musical avec Mary Dnellon (Virgin Prunes) et Rrose Selavy (LibaTion) le 13 juin à 18h30.