Au fil du temps, l’action Capitale Européenne de la Culture est devenue un enjeu important de visibilité et notoriété pour les villes de l’Union Européenne depuis la première édition en 1985. Ce sont désormais plutôt des villes moyennes qui sont désignées, deux ou trois par an en faisant « tourner » l’attribution parmi les pays membres ou associés. Et en 2028, ce sera le tour de la France dont le ministère de la Culture, chargé d’étudier les candidatures nationales, a retenu Bourges, Clermont-Ferrand, Montpellier et Rouen. Mi-décembre, il n’en restera qu’une. Mais que disent les candidates aux personnes handicapées ?
Train culturel pour tous à Bourges
Qui se souvient que la capitale du Berry a reçu les premières (et dernières) rencontres Art Culture et Handicap, en octobre 2003 ? Située au centre géographique de la France, Bourges (Cher) est la plus petite des villes candidates, avec 65.000 habitants. Commissaire général de la candidature, Pascal Keiser invoque un engagement de la Région Centre Val de Loire en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés, qu’il veut suivre pour les équipes de Bourges 2028, et mise sur le travail du chorégraphe Eric Minh Cuong Castaing pour impliquer des personnes handicapées dans les projets artistiques. « On a décidé de créer un projet PMR [personnes à mobilité réduite], en invitant les visiteurs à venir dans Le Train des belles différences, avec des personnes handicapées, des personnels médicaux de 3 autres villes européennes, Genève, Bruxelles et Düsseldorf, pour cocréer un spectacle et développer une connaissance des contraintes de déplacement bas-carbone des personnes handicapées. » Une mobilité écologique culturelle accessible à tous, en quelque sorte. Autre projet : générer dans les écoles des rencontres pour travailler sur la compréhension et l’acception de la différence, en développant des projets de danse mixte handi-valide.
Si les personnes handicapées seront impliquées dans d’autres projets, affirme Pascal Keiser, elles devront surmonter quelques écueils locaux. Les pouvoirs publics s’intéressent peu ou pas aux besoins spécifiques des habitants handicapés ou à mobilité réduite pourtant nombreux, les institutions culturelles de Bourges ne mènent pas d’actions d’accessibilité culturelle, et le centre historique est difficilement circulable, voire dangereux du fait d’une trentaine d’années d’abandon des secteurs pavés de rues pourtant très touristiques ; la municipalité ne s’est toujours pas engagée pour leur réfection, malgré les remontées fréquentes de chutes et blessures, 30 ans après avoir reçu le tout culture-handicap !
Au coeur du Massif Central
Clermont-Ferrand 2028 veut mobiliser de nombreuses villes de 22 départements et 4 régions, et développer des camions musées. « Nous voulons proposer une destination nature culture, croiser les données sur l’accessibilité, porter un message disant que les zones rurales sont considérées par l’Union Européenne », justifie Violaine Moreau, chargée des publics et de l’inclusion. La candidature s’appuie sur l’action au long cours de Massif Central pour tous portée par AcceSens, avec l’objectif de doubler le nombre de sites référencés. « On a innové avec le handi-opéra Tous en Scène », ajoute Violaine Moreau qui reconnaît que cette réussite a été contestée par la Région : « On espère que les tensions vont se résoudre avec cette candidature », espère-t-elle. Un comité d’accessibilité regroupant des acteurs du territoire a été créé, avec l’humoriste aveugle Lee Voirien, pour promouvoir l’accès physique et la participation aux événements culturels. Et des appels à projets visent à « rendre visibles les invisibles, dont des personnes polyhandicapés pour les mettre en relation avec des artistes. »
L’organisation vise 100% de lieux accessibles, ce qui est réalisable à Clermont-Ferrand, aisée à visiter, circuler et vivre, mais il en sera autrement dans les bourgs et villages : « On va créer un observatoire des publics pour être au plus près des besoins, les données ne sont actuellement pas croisées, précise Jules Rimbaud, responsable des Relations publiques. On veut mettre en place des actions de médiation innovantes. On travaille avec Isabelle Saurat, la déléguée interministérielle à l’Accessibilité, pour qu’elle nous accompagne ces prochaines années, pour une labellisation progressive Tourisme pour tous. » L’Auvergne deviendra-t-elle le premier territoire handi-friendly ?
Culturelle et déjà engagée
Ville dynamique du Languedoc, Montpellier 2028 veut mobiliser les territoires du département de l’Hérault dans son programme. Elle mise sur l’écologie et les déplacements en vélo et transports collectifs pour développer des actions mettant en action culturelle l’évolution des territoires, la ville n’étant plus accueillante aux voitures depuis le développement d’un intelligent réseau de tramway (bientôt gratuit), tout comme les bus. Outre des établissements culturels diversifiés, Montpellier peut compter sur une importante population d’étudiants qui participe à sa movida. « Les questions d’accessibilité universelle et d’inclusion sont au coeur de notre démarche, justifie la porte-parole de la candidature. Nous nous sommes appuyés sur notre dispositif des Appels à Projets (1,4 millions d’euros de budget mutualisé entre toutes les collectivités partenaires de la candidature) pour soutenir l’accessibilité dans la création et la diffusion artistique et patrimoniale du territoire. »
Les institutions culturelles sont impliquées dans l’accessibilité culturelle, proposant régulièrement des visites audiodécrites ou LSF d’expositions (musée Fabre, MO.CO), des adaptations de spectacles de théâtre (13 Vents) ou d’opéra intégrant même l’accueil des publics handicapés psychiques ou mentaux, et des Sourds. « Dans notre dossier de sélection finale, nous avons affirmé avec force notre volonté de permettre l’accès à la culture au plus grand nombre […] Nous avons acté notre engagement envers les publics aux besoins spécifiques par la mise en place d’une « Charte commune de l’inclusion et de l’accessibilité » dont l’ensemble de nos partenaires devront être signataires (institutionnels, opérationnels, prestataires, bénévoles, sponsors, fournisseurs…) afin de garantir l’égale participation des publics à tous nos événements (communication, médiation, accès, accueil, accompagnement…). »
Rouen entre mer et terre
La candidature de Rouen 2028 dépasse également le territoire urbain pour intégrer la Seine Normande, du Havre à Giverny. La ville est en effet un important port fluvial située sur un fleuve encore parcouru par du trafic marchandises. « Nous souhaitons créer une capitale représentative de sa population, qui favorise la rencontre, la diversité et la mixité, expose François Hervé, chargé de mobilisation citoyenne et jeunesse. Cela concerne l’information, la communication, la signalétique, le choix des lieux et des artistes. Notre volonté est d’éviter la stigmatisation et le travail en silos. » Un groupe de travail Accessibilité fédère des acteurs du handicap et de la santé mentale, pour sensibiliser, partager les pratiques et créer des solutions communes et lisibles. « Nous souhaitons que ce projet sensibilise et participe au changement des regards, poursuit François Hervé. Par exemple, nous travaillons avec 20 hôpitaux psychiatriques (CHR) autour d’un projet de lieu d’exposition, de résidence d’artistes et de créations avec les personnes qui fréquentent ces structures. Certains artistes sont porteurs de handicaps ou ont des troubles psychiatriques. Nous soutenons également des projets de création artistique portés par des Établissements pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés. »
Les institutions rouennaises proposent actuellement peu d’actions d’accessibilité culturelle, dans un contexte de tension financière qui a contraint l’opéra à supprimer des spectacles au printemps dernier. Si la ville est assez aisée à parcourir et visiter, certains secteurs pavés sont nettement plus ardus, telle la place où Jeanne d’Arc fût brûlée vive. « Toutes nos opérations de préfiguration et prototypes à partir de 2024 intégreront des dispositifs test pour vérifier et améliorer notre accessibilité à destination des personnes expérimentant des différences fonctionnelles, ajoute François Hervé. La plus grande partie de notre programme sera accessible à toutes et tous, avec ou sans aide spécifique. » Une grande partie, mais pas tout…