Organisé dans une cinquantaine de salles, le 6e festival du film social se déroulera du 7 au 10 octobre, avec 22 films en compétition. « Il n’y a pas de thématique spécifique pour les films qui font partie de la sélection, expose son président, Alain Lopez. Le premier critère, c’est qu’ils traitent du vécu des personnes en situation difficile sur le plan social, en perte d’autonomie du fait de l’âge ou du handicap, ou sans domicile fixe, les enfants maltraités, les femmes violentés, les exilés en difficulté. Le second critère, c’est que ce soit des bons films, avec une qualité cinématographique pour être mieux au service de la représentation de ces situations difficiles. » Une production importante : 600 films visionnés pour en sélectionner une vingtaine.

La sérénité de Soleine

Dans cette sélection, un moyen métrage Québécois, Les eaux calmes, documentaire réalisé par Annie Leclair sur les maternités et la vie d’une femme devenue tétraplégique puis maman. « Les eaux calmes, commente Annie Leclair, ça représente un peu tout le cheminement de Soleine Démétré parce que je l’ai suivie pendant une décennie. J’ai pu voir sa transformation de la femme à la mère, et cette femme aujourd’hui qui se sent enfin libre et bien dans son corps grâce à la maternité. » A l’âge de 15 ans, Soleine est sortie tétraplégique d’un plongeon, et a construit sa vie de femme indépendante grâce au soutien de sa mère et de sa famille.

Soleine allaite sa seconde fille, Samüelle

« Quand je lai rencontrée, je réalisais pour la télévision une série sur les naissances et j’ai découvert qu’elle était la première femme tétraplégique à accoucher à Montréal. Cette rencontre m’a marquée ; je suis mère aussi, mon garçon avait une douzaine d’années, et concilier travail et famille était quelque chose que je ne trouvais pas si évident en tant que travailleuse autonome dans le milieu culturel. » Filmer Soleine dans sa vie de famille a fait tomber les préventions de la réalisatrice : « Je me questionnais, ça va pas être facile, j’avais certains préjugés face à sa situation et finalement j’avais envie de découvrir. Ça a été payant, si on peut dire, de la suivre aussi longtemps et de voir sa transformation. »

Léonie et Samüelle soutiennent leur maman dans la piscine familiale

Au fil des séquences, on suit Soleine et sa première fille encore bébé, Léonie, qu’elle allaite tout en voyageant. On partage la complicité du couple qu’elle forme avec Stéphane, mari dont la tendresse pudique traverse l’écran. La réalisatrice est là lors de la naissance de la seconde, Samüelle, soeurs complices qui entourent tendrement leur mère avec leurs joies d’enfants. « Je pense que les gens qui entourent Soleine évoluent dans leur manière de voir, d’envisager la vie. Moi, j’ai certainement appris à être très persévérante ; je l’étais déjà, mais avec elle il n’était pas question que le film ne se fasse pas. En ce sens d’aller vraiment au bout des choses, que quand on veut on peut. Elle m’a transmis ça, Soleine, et d’avoir cette attitude face à la vie, cet état d’être, de choisir d’être heureux et non pas d’attendre après le bonheur. Même si c’est difficile, quand on y met le temps et puis l’effort, le succès vient au bout de ça. »

Le triomphe de l’amour

La tendresse de Cécile pour Bruno

Autre film, mais de fiction, L’envoûtement, réalisé par Nicolas Giuliani dont c’est le second moyen-métrage : « Quand j’étais enfant, on allait avec mes parents dans un Centre d’Aide par le Travail pour acheter des fruits et des légumes. C’était un univers singulier et plein de surprises. Je me rappelle une expérience intrigante dans l’adolescence : un monsieur malicieux qui est allé chercher pomme de terre après pomme de terre pour faire 2kg, un moment incroyable instaurant un rapport au temps différent. » Cette expérience de vie, il la recrée dans son film mettant en action un maraîcher, Bruno, et sa compagne, Céline, travaillant et vivant dans un ESAT. Une vie tranquille jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle éducatrice qui captive l’attention de Bruno au point de l’épier, de lui dérober un bijou, de se cacher chez elle.

L'éducatrice envoûteuse

« C’est une histoire d’amour contrarié, un jeune homme installé dans une vie aimante avec sa compagne, détourné d’elle avec l’arrivée d’une nouvelle éducatrice. Il ne l’aime pas vraiment, c’est une sorte de fascination, un territoire en dehors de la morale sans intention réelle de nuire. Et avec, dans ce milieu adapté, une incapacité des encadrants à comprendre : quand ils le comprennent c’est trop tard, Bruno se cache et s’isole ; sa compagne prend la suite du récit et pose pour eux deux les mots pour redire ce qu’ils sont pour l’autre. » Une histoire sensible tournée dans un ESAT de Dordogne, Claire Vive, avec Guillaume Drouadaine et Manon Carpentier.

Bruno et Cécile enlacés dans la nuit

« Ils tenaient à incarner les personnages, pas jouer ce qu’ils sont, même si la réalité incarne la fiction. Ils sont comédiens dans la vie, travaillent dans la troupe Catalyse du Centre National de Création Adaptée de Morlaix qui propose des traversées de textes classiques ou modernes. Quitte à surprendre, ce n’est pas plus difficile, ils sont très habitués à travailler avec des professionnels. Même si Manon avait des difficultés à se déplacer sur des chemins instables, et une phobie des animaux, mouches, abeilles, au point de crier, paniquer, pleurer. Mais c’est compensé par ce qu’elle apportait par ailleurs, et sa capacité à apprendre les textes et les dire mieux que bien d’autres. Guillaume a une capacité à refaire les prises, apporter des nuances, il est habitué à jouer des personnages sans handicap. Dans ce film, il faisait fiction avec ce qu’il est dans la vie. » Tourné en 2022, la post-production de L’envoûtement n’a été achevée qu’en mai 2023, diffusé en novembre sur Arte (en replay jusqu’au 3 avril 2025). « Il a connu une belle vie dans des festivals, Clermont-Ferrand, Brive [prix Ciné + et du public NDLR], Pantin [prix des étudiants], il est présélectionné aux César 2025. C’est mon film le plus long, j’en prépare un autre, en tournage fin février prochain dans la Loire. » Une rampe de lancement vers le long métrage, espère Nicolas Giuliani, qui se dit très heureux d’avoir fait L’envoûtement.

Laurent Lejard, octobre 2024.

PS : Les eaux calmes a obtenu le prix de la Ville d’Aubervilliers lors de ce festival.

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