La Cour de cassation avait rendu, à la fin de l’année 2007, un arrêt fracassant qui relançait le débat autour de la jurisprudence dite Perruche. Le débat est désormais clos puisque la Cour de Cassation, par un arrêt rendu le 8 juillet 2008, vient de lever le voile. Plus aucun doute ne subsiste : l’enfant né handicapé et ses parents ont le droit de demander à leur médecin, et ipso facto à l’assureur de celui-ci, l’indemnisation intégrale de leurs préjudices, si le risque de handicap de l’enfant n’a pas été révélé a ses parents avant sa conception ou sa naissance, et ce dès lors que l’enfant est né avant le 7 mars 2002.
Il convient de rappeler ici la genèse du débat suscité par la jurisprudence dite Perruche, puis d’expliquer au lecteur l’état actuel du droit des victimes, pour enfin apprécier les mérites de cette jurisprudence. Le 17 novembre 2000, l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation admis l’action en réparation du dommage qui consiste en la naissance d’un enfant handicapé dès lors que le médecin n’a pas diagnostiqué ledit handicap, que le demandeur victime soit l’enfant lui-même ou ses parents. L’arrêt énonçait : « Dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec Mme X avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice de ce handicap causé par les fautes retenues ».
Dans l’affaire Perruche, une erreur d’un laboratoire confortée par une erreur du médecin avait permis de croire à l’immunité d’une femme enceinte face à la rubéole contractée par son enfant. Cette femme renonçait alors à l’interruption de grossesse, pensant qu’elle n’avait rien à craindre pour son enfant. Pourtant, elle donna naissance à un garçon qui, à l’âge adulte, est atteint de lésions neurologiques graves.
La jurisprudence dite Perruche est indéniablement une avancée pour les victimes et pour la dignité humaine. Ainsi, pour les parents de l’enfant, le préjudice qui consiste en une naissance handicapée est avéré, puisque le handicap a pour eux une incidence patrimoniale, compte tenu des dépenses spécifiques inhérentes à un enfant handicapé, tout au long de sa vie. À ce préjudice matériel, il faut ajouter un préjudice moral consistant en des troubles de leurs conditions d’existence.
Pour ce qui concerne l’enfant, la légitimité du préjudice est également justifiée. Le refus d’indemnisation du handicap est attentatoire à la dignité humaine. C’est en ce sens que s’est prononcé Pierre Sargos, rapporteur de l’arrêt rendu le 17 novembre 2000 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, en rappelant que l’indemnisation avait pour finalité de permettre à l’enfant « de vivre dans des conditions plus conformes à la dignité humaine sans être abandonné aux aléas d’aides familiales, privées ou publiques ».
Le législateur, sous la pression notamment des médecins et de leurs assureurs, est intervenu afin de mettre un terme à cette jurisprudence. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé contient ainsi en son article premier une disposition dite anti-jurisprudence Perruche aux termes de laquelle « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». Cette nouvelle disposition se voulait d’application immédiate et l’indemnisation du handicap de l’enfant non décelé avant sa naissance était ainsi transférée à la solidarité nationale. Cette solution aboutissait en fait à abandonner l’enfant à la merci de la charité publique, tant que celle-ci durerait, le privant ainsi d’une indemnisation intégrale de son préjudice corporel.
Cependant, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, réunie en Grande Chambre, décida par deux arrêts rendus le 6 octobre 2005 (Draon/France et Maurice/France) que la loi du 4 mars 2002 ne pouvait être applicable aux instances ouvertes avant l’entrée en vigueur de la loi, et sanctionna en conséquence la France pour violation de la Convention. Cette décision des instances européennes donna l’occasion à la Cour de Cassation de confirmer sa jurisprudence Perruche pour toutes les instances en cours introduites avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002. Ainsi, l’indemnisation intégrale de l’enfant et de ses parents redevenait possible, dès lors que ces derniers avaient esté en justice avant le 7 mars 2002.
La Cour de Cassation avait donc permis de repousser l’application de la loi du 4 mars 2002, permettant ainsi à certaines familles d’obtenir une juste indemnisation, à la condition que celles-ci aient au préalable introduit une action en justice. Mais il restait bon nombre d’enfants qui, faute d’avoir effectué les démarches nécessaires à temps, ne seraient pas indemnisés, ce qui créait une inégalité insupportable. Le débat fut récemment relancé lorsque la Cour de Cassation, par un arrêt rendu le 30 octobre 2007, admit la demande d’indemnisation d’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, et celle de ses parents, alors même que ceux-ci n’avaient pas introduit d’action au fond avant le 7 mars 2002. Un doute subsistait néanmoins, car le juge des référés avait été saisi en 2000.
Ce doute fut levé par l’arrêt de la Cour de Cassation rendu le 8 juillet 2008, qui admit la demande d’indemnisation du jeune Yoann, atteint d’une malformation cérébrale complexe et majeure non décelée, puisque celui-ci était né avant le 7 mars 2002, et cela même si il n’avait jamais porté le litige devant un juge avant cette date. La première chambre civile de la Cour de Cassation considère qu’il s’agit « d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi susvisée, indépendamment de la date de l’introduction de la demande en justice ». Désormais, la demande d’indemnisation du handicap non décelé avant la naissance est possible dès lors que l’enfant est né avant le 7 mars 2002. La Cour de Cassation permettait ainsi une juste et intégrale indemnisation portée à la charge de l’assureur du médecin fautif.
La loi du 4 mars 2002 est une indignité pour les victimes et la Cour de Cassation ne pourra peut-être pas défendre sans cesse sa jurisprudence. Il faut demander sans relâche le retrait de l’amendement dit anti-jurisprudence Perruche à moins que l’État, via la solidarité nationale, prenne réellement à sa charge l’indemnisation intégrale des enfants nés handicapés et de leurs familles.
Catherine Meimon Nisenbaum, avocate au Barreau,
Nicolas Meimon Nisenbaum, master2 assurances, février 2009.