La bonne nouvelle est enfin arrivée : les Français peuvent à nouveau voyager depuis le 15 décembre dans toutes les régions ! Beaucoup d’incitations sont ainsi reçues sur nos messageries : « OUIGO à partir de 50€ »… « Des petits prix pour Noël »… « réservez sans hésiter »… Mais qu’en est-il de la réalité de tous les jours du voyageur handicapé moteur ou aveugle ? SNCF et ses services OUIGO discriminent-ils ou pas leurs clients handicapés par rapport aux nécessités de service ? En un mot comme en cent, la SNCF se rend-elle ou non coupable d’un refus de vente passible d’une contravention de cinquième classe qui peut mener à une amende de 7.500,00 € ou de 45.000,00 €, si elle discrimine ?
- En pratique : un client handicapé est dans l’impossibilité de réserver certains trains tels des Intercités 100% Eco auprès du service spécialisé Accès Plus qui lui est dédié. Ce service permet pourtant d’acquérir les billets de train simultanément à la réservation de la prestation d’assistance à l’embarquement et au débarquement des trains pour les voyageurs handicapés qui en ont besoin. Pour bénéficier de cette prestation « tout-en-un », ces clients doivent contacter téléphoniquement Accès Plus. Mais les billets de certains trains pourtant signalés par le pictogramme « fauteuil roulant » certifiant leur accessibilité ne peuvent être achetés par… des clients handicapés !
- Constat : une fois que ce client entre dans le statut « handicapé », il n’a pas accès à tous les trains accessibles.
- En droit : Les faits ci-dessus constituent assurément un refus de vente qui obéissent aux dispositions du code de la consommation s’agissant d’un contrat entre des consommateurs et la personne morale que constitue la SNCF, mais les dispositions de l’article L.121-11 du code de la consommation selon lesquelles « Est interdit le fait de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime » ne s’appliquent pas à la personne discriminée, très clairement.
Le législateur a en effet adapté la loi au cas d’une discrimination tenant à la personne même du demandeur – celui qui achète donc.
Le constat d’une discrimination
A ainsi été institué le délit de discrimination : « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. » (articles 225–1 et suivants du code pénal).
À ce niveau d’explication, il convient de distinguer la discrimination directe de l’indirecte.
- Discrimination directe : acte volontaire intentionnellement discriminatoire ;
- Discrimination indirecte : mesures apparemment neutres défavorisant de fait de façon importante un individu ou un groupe d’individus.
L’article 225–2 du code pénal précise les modalités de la discrimination. Elles sont les suivantes : refuser la fourniture d’un bien ou d’un service, entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque, refuser d’embaucher, sanctionner ou licencier une personne, subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ou prévue aux articles 225-1-1 (harcèlement sexuel) ou 225-1-2 (bizutage), subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ou prévue aux articles 225-1-1 ou 225-1-2, refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L. 412-8 du code de la sécurité sociale. ».
Or, les exemples de discrimination se multiplient et si certaines sont bien connues, d’autres le sont moins ou pas du tout car le juge ne les a pas encore sanctionnées. Des travaux parlementaires datant d’août 2020 tendent à démontrer que l’arsenal juridique est en effet très développé, mais insuffisamment appliqué. Le nombre de procédures ayant trait aux discriminations dans l’offre ou la fourniture d’un bien ou d’un service en raison d’un handicap est très représentatif, car de 1997 à 2003 à peine six (6) procédures ont été menées.
En revanche, la discrimination dans l’offre ou la fourniture d’un bien d’un service en raison de l’origine, de l’ethnie ou de la nationalité est nettement plus sanctionnée, alors que trente et une (31) instances ont été menées sur la même période. Quoiqu’il en soit, quelques exemples de décisions de justice ayant sanctionné des discriminations sont bien le reflet de cette réalité puisque les exemples ci-après ont fait le régal de la presse :
- Le refus d’une compagnie aérienne d’embarquer des personnes handicapées, non accompagnées, au motif que le personnel n’est pas formé pour assurer leur sécurité (Cour de Cassation 15 décembre 2015) ;
- Le refus d’un hôtelier de louer une chambre à une femme « blanche » accompagnée d’un homme noir (Cour d’Appel de Douai du 25 juin 1974) ;
- Modulation des tarifs des contrats d’assurance automobile en fonction du sexe du conducteur (Cour de Justice de l’Union Européenne du 1er mars 2011).
Rappelons que la discrimination définie aux articles 225-1 à 225-1-2, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende.
Comment obtenir efficacement réparation ?
Il appartient alors de saisir le Défenseur des Droits, en ligne ou par lettre recommandée avec accusé de réception à : Le Défenseur des droits – 3 place de Fontenoy – 75007 Paris. La demande doit toutefois être assortie des justificatifs de vos prétentions (procès-verbaux, dépôt de plainte, certificats médicaux, etc.) afin de permettre aux défenseurs de comprendre la situation et bien entendu, de justifier votre position. Le défenseur des droits examine alors votre dossier et va estimer si les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale sont réunies ou non. Il peut saisir le procureur de la République qui peut renvoyer votre dossier devant le tribunal correctionnel. Si en revanche le procureur de la République estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre, il peut émettre une recommandation de nature à régler les difficultés soulevées devant lui.
En l’absence de réponse de la personne mise en cause ou si sa recommandation n’est pas suivie, le Défenseur des droits n’a pas de véritable pouvoir de sanction mais peut obtenir la publication d’un rapport spécial publié au Journal Officiel. Le Défenseur des droits peut également procéder à la résolution amiable du différend par voie de médiation ou de transaction.
C’est ainsi que certaines décisions du Défenseur des droits ont été publiées telle la décision 2018–088 du 29 mars 2018. En l’espèce, il est ressorti de l’enquête menée par le Défenseur des droits que le refus de crédit opposé à un bénéficiaire de l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH), en raison de son handicap et de sa particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique apparente ou connue de son auteur devait donner lieu à réparation comme à la modification des conditions d’acceptation des crédits. L’établissement ayant refusé ce crédit devant rendre compte des suites données aux recommandations dans un délai de trois mois à compter de l’envoi de la décision, par courrier recommandé avec accusé de réception. Finalement, la société de crédit a modifié ses processus d’acceptation mais a refusé d’indemniser le plaignant au motif qu’il a souscrit crédit auprès d’un autre établissement financier.
Alors, quand saisirez-vous le Défenseur des Droits afin de vous permettre d’accéder à l’ensemble des trains mis à disposition par la SNCF ?
Laurence Martinet-Longeanie, avocate au barreau de Paris et juge médiateur auprès de la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (Cimeda), décembre 2020.